motifs luzerne

carnet d’installation | 21 mai 2023

| rien vu rien entendu, soudain le soir le champ d’en face s’était retrouvé changé, l’herbe fourragère par terre | toute coupée | et on n’avait rien entendu rien remarqué | tu as vu ? le champ de l’autre côté, il a été fauché, l’ami de la Grande Faye a dû passer | le lendemain le tracteur jaune et vert est revenu au milieu de l’après-midi, drôlement nerveux, rapide, avec à la manœuvre une petite silhouette bondissante à l’intérieur de la cabine — a priori une femme, sans doute la femme de la Grande Faye | de loin elle a fait un signe de la main, visiblement pressée, pas le loisir de discuter, la course après le temps la météo, surtout couper remuer balloter avant que la pluie vienne | et c’est vrai qu’elle en a mis du cœur à sillonner toute la surface, retournant avec son attelage-râteau la matière de luzerne si légère déjà jaunie en peu d’heures, alors dessinant des motifs éphémères sur le coteau | alternance vert séché jaune grillé, vert séché jaune grillé | et ça lui allait drôlement bien à elle, la femme en pull jaune de la Grande Faye qui en fait habite le Grand Neyrat, bondissante et menue, de dessiner comme ça le plancher du paysage avec son engin à la façon d’un pinceau-gomme sur un écran d’ordinateur |

| vent favorable, lumière douce sur les îlots d’herbe odorante désormais privée des murmures du vent |

| en fait tout est allé bien vite dans la saison, la croissance de la luzerne, le fauchage, l’aération, l’emballage en rouleaux prêts à embarquer sur remorque pour attendre la prochaine saison d’hiver à l’abri, plus tard être mangée par les bêtes limousines à l’étable | je n’aurais pas cru | plus rapide que la croissance des fruits ou celle des roses trémières que je guette au fil d’un vieux mur |

Photographie Françoise Renaud©, mai 2023

écrire depuis la racine des prairies

carnet d’installation | 28 avril 2023

| vivre avec le dehors permet d’écrire autrement |

| vivre avec le dehors permet d’écrire depuis des zones non explorées de soi | d’écrire depuis la racine des jardins, depuis les fleurs de pissenlit et les nids tapis dans les hortensias, depuis le pré fleuri qui existe bel et bien, ce pré qui couvre le coteau au-delà de la maison et révèle ces jours-ci sa richesse en graines progressivement poussées attisées épanouies, et même des petits bulbes, et des orchis et des renoncules et des hampes de plantain et des salades amères | écrire depuis le sol jusqu’au ciel en perpétuelle agitation et recomposition | écrire depuis chaque tige élevée par on ne sait quel prodige d’eau et de soleil, sans engrais, juste feuilles mortes, déjections d’oiseaux et poudres de pollen transportées dans l’atmosphère | vivre le dehors avec intensité, ressortir juste avant la nuit pour mieux voir au ras de la prairie avec la lumière horizontale les teintes rouges plus vivaces, le dessin impeccable des feuilles typique de chaque espèce, la cohabitation des genres, la colonisation des espaces, et par-dessus tout ce monde affolant, la couronne des arbres en train de s’épaissir de jour en jour sous la force des sèves |

| écrire depuis le coin des yeux, depuis la racine des cheveux après l’observation minutieuse et le travail obscur du rêve |

| écrire comme on prie comme on supplie pour s’emplir de cette force du pré en métamorphose, la route est encore longue, cette nuit une petite pluie est venue graisser la terre du potager en pleine naissance, l’air est calme et comblé de chants, les bêtes sont à l’œuvre | la prairie bruisse de ses habitants invisibles |

Photographies Françoise Renaud©, Prairie variations, 29 avril 2023

fond du jardin

L’année de ses douze ans peut-être, loin en arrière, sorte de niche au sortir de l’enfance. En fait il y a plusieurs instants de même nature dont elle pourrait s’emparer et fouiller. L’un avec la grand-tante, l’autre avec le frère, l’autre avec les chiens, tous assemblés en cette même heure, durée d’une visite en ce village où son père a été recueilli à la fin de la guerre. Le village se situe dans l’arrière-pays maritime fait de bocage, champs de pommiers et prés riches en herbe pour les gros animaux. Le père reconnaissant souhaite entretenir le lien avec ceux qui lui avaient proposé leur chambre à patates pour gîte et l’avaient nourri en des circonstances difficiles. Sans doute veut-il aussi donner à voir ses enfants, fille et garçon, qui grandissent si bien. De beaux enfants en somme.  

C’est en hiver, le jardin semble mort, les bâtiments de la ferme tassés et bien alignés le long du chemin. Elle aime les reconnaître dans l’instant où la voiture dépasse l’étang, bifurque à droite et se range sur le terre-plein. Tout de suite les chiens alertés se précipitent, leur lèchent les mains sitôt qu’ils descendent. Les enfants n’ont que faire des adultes qui échangent des nouvelles un moment au jardin puis s’installent dans la cuisine pour partager une cerise à l’eau-de-vie ou un blanc sec — elle a déjà évoqué ces conversations autour de la table au bois noir griffé par l’usage et a déjà décrit les objets posés sur le buffet devant le miroir déformant. Venez donc par ici, je vais vous donner un gâteau. La tante qui vivra bien au-delà des cent ans, a la voix bourrue. Gentille. Sa face grimace, lèvres fendillées, poils au menton. Franchement elle n’aime pas trop l’embrasser, cette tante-là, elle n’aime pas l’odeur de son sarrau pas lavé. Mais ce regard affûté qu’elle a, comme l’œil noir d’une poule qui secoue la tête d’un bord sur l’autre. Mais cette pogne aussi qu’elle a, solide et intraitable pareille à un vérin de pressoir. Mais oui vous pouvez en prendre deux. Allez mes petits ! Un dans la bouche, un dans la poche. Ils se servent et repartent en courant vers le fond du jardin avec les chiens. Là, un drôle d’appentis entouré de broussailles. Porte déglinguée qui ne tient qu’avec un pauvre crochet. Curieux qu’ils ne l’aient jamais remarqué. Ils entrent, la porte se referme brusquement derrière eux à cause d’une rafale de vent, c’est sombre et sale et encombré. Dehors les chiens gémissent. Elle retient le bras de son frère. On ne devrait pas, on va se faire gronder. Pourtant elle ouvre grand les yeux, s’accroupit, il y a des craquements de planches et de tôle, pas de fenêtres sinon un trou dans le mur du fond, il fait froid, elle pose les mains sur les formes autour d’elle pour essayer de les reconnaître, cageots, meubles remisés, toiles d’araignée, vieux sacs de jute, elle ne sait plus où est son frère, ça sent le vieux, la fumée, le cafard, la pomme pourrie, le légume fermenté, toute la pénombre chargée d’histoires effrayantes. Un des chiens aboie dehors. Elle voudrait savoir pourquoi, elle voudrait les rejoindre. Hiver. Une forme a bougé dans le recoin contre le mur. Elle recule, porte la main vers sa poche où elle a rangé le biscuit.

étreindre

journée du 25 janvier

Quoi tenter d’étreindre ce matin en ces heures de gel encore.

Ciel pâle alors qu’en arrière du versant il y a davantage de couleur. Puis elle vient la couleur et remplit la vallée. Dans la timidité de l’hiver. Une gamme de jaune ocré mêlé de blanc et de beige rosé. Irruption brusque du soleil à dépasser le versant. Et cette longue trace blanche de l’avion qui amorce sa descente vers la plaine et la mer là-bas toute plate.

Elles deux caquètent se précipitent l’une contre l’autre. En attente de grain ou d’herbe. Elles gloussent parlent vraiment quand je passe. Je leur parle aussi. Elles me suivent observent chaque mouvement de ma silhouette. Demeurent vigilantes à ma voix. Elles ne connaissent que cela entre tanière double haie de framboisiers et ganivelles fabriquées avec du bois de rivière. Le rythme de leur attente. La pulsation chuchotée de leurs petits cœurs sous les plumes. Et puis cette flambée joyeuse en battements d’ailes effrénés quand j’entre avec de la pitance à distribuer.

Scintillements du jour. Soleil au maximum du possible en cette saison. S’incline sur ma lecture.

Il n’y a pas de récit, pas d’événement notable. Parfois simplement un sursaut dans la poitrine qui raconte la vie simple ici et maintenant.

Je cherche la couleur au jardin mais il n’y a presque pas. Tas de végétaux qui sèchent et se décomposent chaque jour un peu plus. Les tiges de glaïeul encore dressées sont devenues rousses. Écoulement permanent de l’eau. La rive n’est qu’enchevêtrement de bois délavés branches brindilles touffes d’herbe gelées bouts de clôture charriés par d’anciennes inondations puis chahutés rochers pris dans la masse végétale. Un peu plus haut, une petite plage aux cailloux lisses comme triés par le courant. Gris foncé gris clair et blanc.

Chatte tapie dans une jardinière. Elle croit que personne ne la voit. Elle affûte son espionnage. Chaque traque est un commencement. Chaque saut, une ligne dessinée dans l’espace, un franchissement.

La courge coupée en deux offre sa chair sur la table de cuisine. Graines humides attachées les unes aux autres qui seront mises à sécher. Y tailler des quartiers. Peler la peau. Dans ce geste prêter attention à la trajectoire du couteau qui détache l’écorce de la matière consommable. La courbe tracée dedans. La force qu’il faut pour faire avancer le couteau. Contenus comme inscrits dans l’orangé de la chair le goût le velouté le parfum de la soupe.

De quoi s’emparer à présent que le vent est rentré, vent du nord frigorifiant soufflant par les collines les berges les ruelles.

Le feu danse salvateur. Tourbillons flammes élans dans le désordre bois sombre braises. J’offre mon corps au feu après le froid comme s’il s’agissait d’un soleil comme au premier jour de la vie. Je profite de la peau qui se réchauffe en fourmillements un peu douloureux. Cède à l’attraction de la contemplation du brasier qui active souvenirs agonies séparations dans l’avancée irréductible des secondes qui nous pousse hors du champ.

regarder, regarder encore, saisir des choses imperceptibles et essentielles
ensuite trouver le chemin de l'écriture

et non il n'a pas neigé mais c'est un peu ce sentiment de blancheur et de silence que j'ai recherché 
et puis user seulement de phrases courtes et simples, 
sans virgules... 
juste des points classiques...

Photographies : FR, au jardin en hiver 2018

étoiles

du grec ancien ἀστήρ / astḗr, « étoile »

aster, plante vivace de la famille des astéracées qui explose en fleurs après l’été, se développe en belles touffes et parfois en hauteur, appelée aussi « marguerite d’automne »

voici ceux plantés en mon jardin il y a quelques années. Je les aime, ces plantes simples, fournies et colorées, délicieuses à regarder, vastes bouquets épanouis alors que les arbres perdent leurs premières feuilles… Leurs jolies têtes un peu mal coiffées sont autant de points vibrants contre la lumière déclinante. Généreuses et tenaces, elles annoncent le passage vers l’autre saison, celle des nuits longues et des soleils obliques, des pluies et des grisailles, celle où la maison devient le siège du feu devant lequel on s’installe pour lire écrire penser manger… mais pas encore le temps venu pour cela… d’abord goûter à cette palette bleu mauve violette, caresser leurs corolles d’un léger mouvement de la main.

peuple des fleurs

Je me demande parfois si je fréquente le même monde que celui qu’on donne à voir à la télévision. Quand je sors de chez moi à la nuit tombée, c’est un chambardement d’étoiles qui emplit la voûte et la route est noire, progressant le long de la petite rivière qui coule de façon permanente dans son lit de cailloux. Lit du ciel, lit de l’eau. Le bruit de mes pas dans le gravier prend une allure démesurée. Tous les bruits sont plus sensibles qu’ailleurs à cette heure, sous les tuiles, dans les charpentes, les planchers. À cause du silence. Entre veille et sommeil je les perçois. Il faut que j’apprenne à décrire tout cela pour mieux le distinguer encore, qu’il s’agisse des bruits, des rumeurs dans la nuit, des couleurs, des herbes et des fleurs dans le jour.

Ici on se sent seul au monde et on peut vivre heureux. Toujours ce quelque chose de grisant dans les cimes des grands arbres immobiles qui s’efforcent à chaque seconde et de toutes leurs forces d’atteindre la lumière.

Les fleurs ne se posent pas de question. Elles ameutent leur peuple par vagues successives dans le même ordre, parfois en léger décalage avec la saison d’été précédente et en fonction des nouvelles plantations, presque se déchaînent comme enragées. L’ordre végétal continue de m’impressionner par sa profusion et sa vivacité : organes végétaux avec ou sans inflorescences, tiges lianes lancées à l’assaut, branches épineuses féroces, graminées légères et ondulantes, d’autres soumises ou griffeuses plumeuses, folie de formes coexistant et combattant pour l’espace la lumière et l’eau, folie de corps enchevêtrés grimpants et rampants s’épanchant s’étouffant jusqu’à porter des graines à faire jaillir dans l’espace avoisinant ou à offrir à tous les vents.

De chez moi j’envisage l’étendue verticale végétale du versant comme un monde en soi, un monde au long de la vallée pareille à une gorge douce régulièrement ravinée par les eaux violentes d’automne. Je dois progresser dans mes observations dans l’espoir d’y distinguer le passage de certains animaux sauvages — chevreuils renards sangliers blaireaux serpents simples mulots —, tous vivant et furetant au-dessous la ligne d’horizon.

Photographies Françoise Renaud, juin 2021

bientôt planter

Le monde est à nouveau réduit, son souffle affecté, le franchissement de ses frontières contrôlées. Alors l’essentiel de ta vie se déroule dans le périmètre de ces  vieux murs en pierre grise dont tu ne connais pas vraiment l’histoire. Ils dessinent avec précision le territoire, sorte de petit pays blotti au flanc du versant balayé par les vents et les brumes, pays qui est devenu le tien il y a quelques années et dont tu as la garde. Et tu sais combien la terre réclame d’être bêchée bousculée engraissée, chaque année transformée en humus propice à la germination. Tu sais que les fraisiers aiment ranimer leurs touffes après l’hiver — déjà ils poussent des fleurs à travers le paillage. Tu te concentres sur la tâche jour après jour, tu ne penses pas au monde qui grince, juste aux gelées qui peuvent survenir, aux plantules encore fragiles qui attendent dans la serre. Tu chasses les escargots à la main après la pluie. Tu nettoies les allées, même si aucune herbe n’est maudite, chacune digne d’observation, de considération. Tu installes des pierres prises au lit de rivière et des petites barrières pour dessiner les parcelles. C’est un véritable dessin que tu réalises à la surface de la terre. Oui, le jardin est un dessin à ton échelle, invisible d’en-haut sans doute, région miniature façonnée selon ta manière et ton cœur, fragments d’une mosaïque plus vaste capable de t’apporter de la plénitude et de te relier au ciel.

 

Photographies Françoise Renaud,  jardin cévenol, 15 avril 2021

 

 

sols panthère

sols tavelés tachetés piquetés — sols ambre et carmin — sols tapissés cramoisis imprégnés de pluie — copeaux de bois et minuscules pousses presque mousses — feuilles fauves bousculées par un vent en petites rafales — comme réfugiées autour des troncs — aussi dans les angles des murets ou près des bordures de pierres ou dans des cachettes inaccessibles le long des traverses qui conduisent à la rivière — rapaces au ciel

— en attente —

ne sait ce qu’il adviendra, mutation, décomposition, transformation, remaniements profonds — gel et silence à venir — sols méditation — sols panthère sonnant la pleine saison où descend la lumière

 

Photographies Françoise Renaud (27 oct 2020)

rêverie de septembre

Matinée d’errance au jardin.

Les pluies violentes d’il y a quelques jours ont frappé puis embaumé l’espace — aster dahlia sauge sédum véronique anémone hydrangea graminée —, partout floraisons tardives fragiles bouleversantes en alternance avec le désordre des touffes herbeuses et des hampes desséchées lourdes en graines et encore courtisées d’insectes. Je prends tout, vais à leur rencontre, observe dans le détail espèces et variations — chacune me tient durablement sous sa coupe —, me nourris d’un massif puis de l’autre, et aussi du corps en son entier exposé là dans les parcelles de ce champ pareil à une planche botanique, corps divers et complexe que j’ai contribué à composer ces dernières années au hasard de mes trouvailles, qui désormais vit en dehors de mes soins et de mes désirs telle une entité n’appartenant qu’à la nature.
Je m’interroge sur ce qui préside à un développement si prodigieux entre deux solstices malgré l’agression des canicules, l’incessante compétition entre les espèces, l’instabilité grandissante des saisons. Le hasard — en partie sans doute —, la recherche innée d’équilibre des architectures végétales, l’improvisation propre aux vivaces. En tout cas cette puissance du vivant a tendance à me donner confiance. J’en prends bonne mesure, associant l’orée de cet étrange automne et l’insistante beauté du monde.

Il y a aussi en cet endroit une multitude de signes infimes et très anciens que je porte en moi, indices appris il y a longtemps dans le jardin de mon père (petites poires brunissantes, feuilles brossées par une rafale de vent, porte de la serre à la peinture écaillée, arrosoir abandonné, outils usés bien rangés), autant de signes qui se manifestent et se superposent au réel, dessinant une sorte de mosaïque tout à fait personnelle composée de couleurs vives, d’éclats de lumière, de corolles, de mousses spongieuses, de fragments de carapaces et de brindilles, le tout organisé dans mes mémoires — ou plutôt désorganisé — pareil à une rêverie, soudain stimulé par les surprenants jaillissements de l’automne.

 

Photographies Françoise Renaud – En mon jardin cévenol, 26 septembre 2020

 

 

mes petits paysages

chaque jour mes petits paysages changent… les détails, les floraisons, les organisations, les alternances de mauve et d’orangé, petits riens qui font reconnaître le vivant, pulsant de seconde en seconde au rythme de l’univers infini…
faut il vraiment des mots pour les accompagner ? ils sont tout à la fois : fragilité, rappel à l’éphémère, leçon de vie, beauté
bien pour cela que je les admire et les partage

Photographies Françoise Renaud,  26 juin 2020

en mon for intérieur – jour #19

 

admirer cette terre qui se relève (dévastée par l’eau  il y a cinq ans)

approcher, planter, apprivoiser chaque saison un peu plus, conjuguer couleurs et vibrations, développer d’improbables combinaisons en bordure ou le long des murailles ou entre pierres tels des serpents de lumière

partager sa beauté avec ceux qui œuvrent à nous tenir debout vivants
parce que moi je ne fais pas grand chose pour aider sinon demeurer sage

têtes graciles

entrevues ces jours-ci
surgies au cœur des feuilles mortes en décomposition
palpitations fragiles, irréelles
(indices de printemps)
mais comment donc se fabrique la matière dans un ordre chronologique à jamais inchangé ? tellement fascinant de les voir revenir chaque année comme si elles n’en pouvaient plus d’attendre : architecture, nombre de pétales, coloris, velouté

les plantes ont leur code, leur mémoire, elles ont des yeux et des antennes, elles excellent dans la précision de leur arrangement et dans la reconnaissance qu’elles ont de l’air et de la lumière

retenir encore ces temps précieux à l’heure des tempêtes qui dévastent

 

Photographies © Françoise Renaud, 11 février 2020, Sud Cévennes

rosée pareille à une sueur

ce matin au jardin
humidité dans l’ombre du versant et ça frémit perle sourd de la matière profonde de la nuit, si beau… sur les feuilles, sur les fins brins de l’herbe, sur le gras des feuilles, ça perle ça sourd une espèce d’eau pure qui se manifeste en molécules si petites qu’elles se faufilent par les pores des cellules et investissent la peau des fleurs, glissent dans le berceau des feuilles, stagnent à la faveur d’un pétale velouté ou d’une écorce cirée capables de conserver la perle au plus long du matin jusqu’à ce que la chaleur l’absorbe

Photographies Françoise Renaud, octobre 2019

 

l’été passé

ce monde propose tant de spectacles, c’est bête à dire, mais quoi inventer d’autre ? tout est là, dans ces feuilles, ces corolles, ces expansions végétales nées de simples graines qui se mettent à vibrer à pousser, j’aime tant cela que je ne cesse de les regarder, d’en louer la démesure, d’en être fascinée, d’en faire des images, d’en faire aussi des salades et des mets savoureux, tout ce qui se mange de cette poésie vivante et passagère pour nourrir l’intérieur du corps de ses résonances et ses délices

Photographies françoise renaud, été 2019

quand la terre appartenait à tous ses habitants

poursuivre ce journal de convalescence au rythme de la solitude, des événements de rien et des vents de printemps

27 mai
« Chacun allait où il voulait et y restait aussi longtemps qu’il voulait »… ainsi écrivait Stephan Zweig dans Le monde d’hier, souvenir d’un européen, c’était en 1942… aujourd’hui passeports certificats autorisations spéciales sont nécessaires pour circuler : rétrécissement de l’espace, disparition d’espèces animales et végétales, pollution généralisée, tout le monde veut aller partout, consomme du voyage — mais pour quoi faire  ? —, contribuant à la dégradation de l’eau, de l’air, des rivages, des milieux naturels, et pillant les ressources
tout cela t’effraie et tu veux définitivement porter ton attention sur ce qu’il est possible de faire au quotidien pour cesser de salir détruire, te fondre dans le décor avec humilité, devenir léger Continue reading →

danse du présent

24 mars. Déjà la danse du présent avec la mystérieuse remontée des sèves : couvre-sols revenus du néant soudain refleuris (on ne s’en était pas rendu compte jusque là, c’est arrivé vite) / petites touffes entre les pierres / fleurettes à orner la salade et à manger / jaune ficaire et jaune narcisse / étranges boutons qui s’épanchent en rosace ou en bec de perroquet. L’intime brusquement surgi, visible, l’intime qui rejoint les corps fatigués de l’hiver et les rires des enfants qui courent dans les chemins, l’intime fait de cellules nouvelles rompant franchement avec la pierre qui structure les espaces habités : murs qui retiennent les traversiers / galets / gravats qui composent la route en chantier / tas de sable pour le chantier et tas de gravier aussi / soubassement de la maison / béton du parking. L’intime végétal presque chair au point qu’on en oublie le sable et le béton et le bruit du chantier, en tout cas proche de la chair, une chair saisie de couleurs délicates… beau beau, étonnant même si on a toujours vécu avec ce genre d’événement sur cette planète… applaudir, traquer les renflements sur les rameaux, les bosses, les fentes, et ça n’est que le commencement…

 

Photographies : Françoise Renaud, mars 2019

le parc de Sceaux

Ce texte a été écrit récemment pour une lecture autour des œuvres de Raymond Berthelot sur le thème ‘VOYAGES DE L’EAU’,  du 23 au 25 novembre 2018 à Montpellier.

 

Regarder la toile.
Se laisser capter par le mystère, par la symétrie des espaces et par le ruissellement constant de l’eau.
Bientôt l’apercevoir, lui qui marchait dans les parages.

Il avait franchi les grilles, puis il avait dépassé le château et à présent il marchait dans le parc. On aurait dit au hasard. Il aimait cet endroit, les peupliers, les tilleuls, les statues au croisement des sentiers. Il aimait la vue du canal au Nord, depuis la terrasse des Pintades. Il trouvait en ces lieux une sorte d’apaisement dont il avait besoin et donc il y venait souvent. Il franchissait les grilles, dépassait le château et puis il s’avançait en marchant tranquillement dans le parc.
Sans doute que sans le formuler clairement – tout se passait à l’intérieur de lui, dans la touffeur de ces lieux complexes réservés à la pensée et à la méditation –, il appréciait le côté monumental de ces jardins, les perspectives, les massifs boisés traversés par de longues allées, les lignes vertes à l’infini. Il oubliait la ville et le bruit. C’était un peu comme une source nouvelle, juste à sa portée capable de dissiper toute formes de tracas — les siens et ceux de la cité – et d’engendrer comme une vive poésie. Continue reading →

lettre à un ami disparu

La toute première fois que l’on s’est vus, vous aviez franchi le seuil et vous étiez entrés tous les deux dans la boutique. Si proches. Le lien a pris tout de suite. C’est ainsi. Les relations, c’est comme de la cuisine humaine, ça prend ou ça ne prend pas. On ne peut rien y changer. Et c’est comme ça qu’entre nous tous, ça s’est passé.
Depuis combien de temps déjà ?

Est-ce donc si important de mesurer le temps ? N’est-ce pas plutôt l’intensité et la vérité des instants partagés qui vont rester au cœur, instants volés au gré des jours et des itinéraires à travers le pays, instants autour d’un thé, d’un repas, d’une exposition, d’un festival de cinéma, conversations au jardin et petits signes d’attention sans cesse renouvelés.
Par la suite nous avons regardé ensemble le ciel et les arbres plantés sur la montagne. Ou encore l’horizon, le ruisseau en été en hiver. Le soleil se couchant au bord du causse, la brûlure de l’été dans la terre, l’incandescence au-dessus de nos têtes. Ce soir-là le repas était si bon : truite fumée de la rivière voisine, crudités, douceurs. Autour de nous, Mère nature. Et puis un panier de prunes mûres et des bouquets de tournesols.
Les regards et les gestes construisent le lien, tu le savais. Et puis ton nom, prédestiné.

Rien n’est perdu de tout cela.
Les molécules émises par nos souffles et nos mots échangés sont restituées au monde par la voie sauvage.
Sur les hauts plateaux tibétains, les vautours font le guet autour des dépouilles déposées par les hommes d’en-bas, mangent les yeux et les entrailles, facilitant ainsi la réintégration de la chair au sein de la matière primordiale. Les vautours nourrissent leurs corps d’oiseaux géants, ensuite leurs ailes remplissent le ciel de leur puissance tout comme les nuages. Jusqu’au cosmos.

Ce soir nous regarderons le ciel avant que la nuit tombe et nous verrons les nuages et les oiseaux et nous saurons que tu seras dans les parages.

 

Photographie : ‘Pour René’, Françoise Renaud, automne 2018

 

de l’effet des orages

Nous vivons désormais sous régime tropical.
Matinées somptueuses, soleil perçant à travers une brume lourde finissant par réjouir la terre. Et puis ça vient du nord ou du sud-ouest, on ne le voit pas se dessiner, ça surgit presque, ça pèse, ça gronde, ça s’obscurcit, et puis dans l’après-midi ça lâche.
Jamais en continu. Parfois toute petite pluie juste fraîche à la peau — on peut continuer à jardiner, cueillir des fraises, répartir le paillage au pied des aubergines —, parfois comme une poche qui crève, frappant les cerises presque mûres.
On voudrait tellement les préserver au seuil de les cueillir.
Les salades, elles, s’en moquent : petite mâche, roquette, sucrine, romaine.  Encore quelques reines des glaces qu’il est temps de manger. Partout le végétal exulte. Je n’ai pas assez de mains ni de temps pour couper l’herbe qui monte et se répand sitôt que j’ai le dos tourné.

rite de passage

elle observe les flancs de forêt déchiquetés, les affleurements de roche visibles entre le peu de végétation rogné par l’hiver, brûlé, décomposé, sinon les arbres forts capables de tenir encore du temps et les bosquets épineux coriaces
et pour la première fois elle éprouve le sentiment que la saison froide est pareille à un rite de passage, un rite épuisant qui condamne les corps d’homme à la retraite et à l’enfouissement sous les vêtements, les animaux à courir à perdre haleine à travers les versants pour dénicher des racines maigres ou à se blottir dans des recoins discrets protégés des prédateurs, si possible un peu confortables pour attendre attendre, attendre que les flux s’activent à nouveau dans l’air et sur la terre

et c’est vrai qu’elle rechigne à se soumettre à l’inclinaison du temps comme au mal ou à la douleur, pourtant elle mesure bien ce qu’il faut de patience pour que tout se reconstitue de la matière des fleurs et de la pulpe des fruits, bien plus tard alors qu’on a oublié le pincement du gel et les étendues blanches figées au lever du soleil dans les mois les plus rudes, et elle connaît le bonheur de croquer une cerise bien ventrue ou de mordre dans une pêche de vigne — elle a connu plusieurs cycles complets entre anéantissement et renaissance depuis qu’elle vit en territoire sauvage —, mais elle rechigne quand même, c’est difficile pour elle ce passage austère, ce parcours obligé, cette phase incontournable avec soleil bas et brume flottant au-dessus des ruisseaux, ramures de châtaignier presque mauves dans la subtile palette des montagnes cévenoles

le monde est persévérant et si confiant dans ses affaires, elle le sait, il semble pas mal se débrouiller en dépit de ce qui l’abîme ou le détruit

en cet hiver qui rogne et endort son île, elle espère l’émergence de l’herbe et des premiers pissenlits, mais il n’est pas encore question de cela

au loin elle observe les masses humides portées par d’invisibles ascendances qui remontent de la mer pour abreuver plaine et montagne, courants complexes reliées aux mécanismes des océans et aux circulations des vents — car il faut bien remplir les nappes phréatiques et rasséréner les plantes éprouvées par les canicules répétées —, alors elle pèse combien elle aussi a besoin de repos, rien d’autre à faire en ces mois ternes sinon sentir son point d’ancrage, son point d’équilibre, activer sa respiration la plus douce possible lorsqu’on marche sous la pluie au sein du paysage en train de se reconstituer — finalement irréel qu’il soit saturé d’eau ou enneigé ou gelé —, en train de chuinter grogner murmurer, passage largo d’un mouvement symphonique dont l’ampleur nous échappe, où les âmes de nos disparus se promènent seules au long des rivages immobiles

Photographie Françoise Renaud, 2017 

 

cinéma d’automne

la lumière file de l’autre côté du versant, met le feu un instant… juste un instant, ça ne dure pas et ça peut échapper à celui qui ne regarde pas… bien sûr qu’on ne peut pas être sans arrêt aux aguets et regarder le monde, faire attention à tous les détails, observer la lumière par exemple, cette manière qu’elle a parfois de frapper la terre ou l’arbre, ou sentir la saison qui fait des siennes — même si on ne sait plus très bien ce qu’elle réserve, la saison —, par exemple l’automne qui fait son cinéma d’automne d’autant qu’il n’y a pas eu d’eau cette année quand il aurait fallu et les arbres souffrent, pas seulement les arbres, les arbustes aussi et les herbes, tout grillé brûlé irrémédiablement, rien à faire pour les sortir de là, et il y a des gens qui s’en rendent compte et qui le disent parce qu’ils savent regarder les arbres, ils  les connaissent à force de les fréquenter… des gens du pays qui connaissent chaque parcelle, chaque traversier, chaque once de territoire dans un rayon de plusieurs kilomètres, aussi des gens dont c’est le métier, des savants du végétal, mais ces derniers ont beau être experts, pas plus que les autres ils n’ont les moyens d’intervenir pour changer la réalité présente, c’est une évidence pour tout le monde que les rouages se détraquent — lentement mais sûrement — à force de tirer sur la corde comme si tout allait rester à jamais splendide tout comme au commencement de la création, les animaux aussi le savent , ils descendent plus bas dans les vallées et défoncent les barrières pour aller fouiller plus profond dans les potagers, trouver des racines, betteraves oubliées, espèces tubercules ou fruits tombés bien qu’en voie de pourrissement, de quoi tenir un jour encore… c’est vrai qu’ils annoncent un peu d’eau cette semaine, un peu seulement alors qu’il en faudrait beaucoup, malgré tout j’en perçois les bienfaits comme si elle ruisselait déjà dans les pores du sol, là où il n’y a plus que l’os, le dur, la pierre, la roche-mère

Photographie : Juste avant le crépuscule, Françoise Renaud, 21/11/2017

en ce moment

Au jardin
ça pousse l’air de rien,
partout ça sort,

ces bulbes enfouis en terre à l’automne ont fait émerger des choses fragiles et veloutées. Fraîches. Si fraîches qu’on croit à une illusion d’optique, contours doucement renflés comme de la chair vivante. De même la couleur. Improbable. Accouplement d’une pâleur, d’un rose aurore et d’une teinte plus poudrée qui se serait laissée disperser par la brise, brise qui plonge et redessine sans cesse le fil du ruisseau dans ce paisible et menaçant paysage.
Pourtant ces derniers mois il a gelé neigé venté, terre nue secouée.
Plus rien.
Terre sombre en mottes injectée de cailloux.
Et maintenant que l’air se fait tendre, les sèves s’agitent, des matières naissent. C’est miraculeux, épatant. Les pétales s’ébrouent comme de petits animaux joyeux. Et on ressent cette joie, presque une légère euphorie.
L’aspect éphémère y est sûrement pour quelque chose.

Photographie : Au jardin, Françoise Renaud 2017

 

lieux occupés

Certains lieux comptent plus que d’autres au cours d’une vie d’homme. La maison d’enfance par exemple. Peu importe son aspect ou la nature de son jardin. Avec ou sans cabanon. Borné de grillage ou de haies. C’est là qu’une certaine géographie du paysage a commencé à s’inscrire dans le corps et dans la mémoire.
Une nourriture qui serait venue par le dehors.
Par la nature de l’air.
Par la pierre des murets, les arbres au voisinage, le ciel dans tous ses états par-dessus les toitures. Par les herbes poussées au hasard des recoins dans une once de terreau gorgée de graines en sommeil. Par la nature des lumières diffusées à travers les rideaux. Les coloris, les transparences, les sons provenant de la rue, les vents faufilés par la cheminée en hiver, les orages d’août. Rien ne se serait construit pareillement de nous sans ces éléments nécessaires pour grandir, sans ces gris ces bleus, sans ces palettes de couleurs, ces murmures et fracas qu’on mémorise avec une surprenante précision quand on est haut comme trois pommes, que tout semble crier fort autour de nous et qu’on parcourt indéfiniment le jardin, en courant ou rampant. Jardin pareil à un espace immense, à un alpage. Aussi forcément les odeurs attachées aux saisons, aux activités de la famille et aux périodes de fête.

Ainsi les lieux occupés s’inscrivent dans l’itinéraire personnel. Appartements, maisons. Ils laissent empreinte quels que soient la durée d’occupation, la forme des fenêtres, la tapisserie, la lumière, l’ambiance, les bruits divers. Tels différents tableaux de notre galerie intime.

Extrait du roman de Françoise Renaud ‘ Retrouver le goût des fleurs’, à paraître en 2017
Photographie ©Sylvia Bahri

après la pluie

La pluie d’hier était douce et bienfaisante après des jours de brûlure. Le jardin semblait s’ouvrir.
Envie de saisir l’instant avec les moyens du bord. Au plus simple. Saisir ce qui était là au dehors près de moi. Perles au creux des feuilles, corolles vives, formes multiples. Ne pas se demander comment faire pour renforcer la profondeur ou la couleur. Seulement regarder. Tout pousse et se transforme. Accroupie dans la terre mouillée, je me suis laissée conduire.
La nature et son observation quotidienne me remplissent de force.

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Photographies ©Françoise Renaud, août 2016

Vases communicants d’août, avec Marie-Noëlle Bertrand

Premier vendredi d’août. Je reçois Marie-Noëlle Bertrand sur Terrain fragile. Avec joie. Les Vases Communicants ont suscité notre rencontre.

Marie-Noëlle est blogueuse depuis 2010. Son blog : La Dilettante
Elle se définit comme passeuse de l’écriture des autres. Elle sème des fragments de textes, isolés ou combinés. Aussi des sons et des photographies. Elle partage sa récolte avec ceux qui lui rendent visite. Elle dit aussi : « Je ne « travaille » pas beaucoup. Éclectique et dilettante, je suis… ».  Ajouter qu’elle côtoie beaucoup les livres, travaillant en bibliothèque.
Nous avons décidé d’écrire chacune sur une photographie de l’autre et je la remercie pour ce partage.
Voici son texte : Dérisoire. Vous trouverez le mien
chez elle ici : Existence soudain fragmentée.

 

S’ouvrent les vannes du plaisir

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Pour bricoler, il n’était pas à son affaire mais il aimait bien y mettre son grain de sel quand quelqu’un d’autre s’y collait. Dans ces moments-là, nous le surnommions « la mouche du coche ».

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Mais le jardin, là c’était autre chose. Ne sait si on doit parler de passion ou de lien à la terre. Lui qui, jusqu’à son retour du service militaire, s’était occupé à divers travaux agricoles, descendait chaque jour dans les entrailles de la terre — il était mineur de fond. Il consacrait son temps libre aux jardins potagers agrémentés de quelques fruits et fleurs.
Dans mon souvenir, il en a toujours fait au moins deux et là il ne me viendrait pas à l’idée de remplacer faire par un autre verbe comme l’on nous y incitait dans les exercices scolaires. Faire le jardin, c’est tout à la fois l’agencer et en prendre soin.

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Les outils n’étaient pas aussi bien rangés qu’ils le sont là. Leur place était contre la paroi du garage et ils étaient chargés sur la brouette ou dans le coffre de la voiture en fonction des travaux qu’il projetait.
Des verbes fusent : biner, désherber, bêcher, piocher, ratisser,  sarcler, planter, fumer, repiquer, labourer, faucher… presque tous corrélés à des outils que je serais incapable de reconnaître.
La pelote, la grosse ficelle qu’on déroule, on la tend entre les deux piquets pour que le rang soit droit ; un jeu d’enfant auquel nous affectionnions de nous prêter. Suivre le fil avec la pioche,  creuser un léger sillon pour accueillir les graines. Les recouvrir, arroser légèrement, voir naître une rivière dérisoire dans la terre sèche.

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Deux verbes nous faisaient prendre la poudre d’escampette : cueillir et ramasser. Les cornichons d’abord, il les récoltait aux aurores afin qu’ils ne forcissent pas sous la chaleur du soleil  — c’est vrai que chez nous les cornichons nous les adorons quand ils sont petits. Il fallait les brosser avant de les immerger dans la marinade que nous préparions avec ma mère.
Le pire, notre cauchemar d’enfants : les haricots verts que nous devions équeuter et effiler. Par bonheur, il les plantaient habituellement dans le jardin de mon oncle qui vivait avec mes grands-parents. Ils étaient toujours prêts, en le voyant passer avec les seaux remplis de ces maudits légumes, à nous délivrer de cette corvée.

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Mon frère, à qui il a transmis cette inclination, a pris le relais. Il m’arrive de me régaler de ses exquises productions légumières. S’ouvrent alors les vannes du plaisir des mots, des gestes et des goûts retrouvés.

 

Photographie ©Françoise Renaud, Dans l’atelier de mon père, 2016

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Les Vases communicants se déroulent le premier vendredi du mois depuis juillet 2009, à l’initiative de François Bon et Jérôme Denis. Marie-Noëlle Bertrand coordonne les publications et inscrit les futurs échanges sur le blog associé le rendez-vous des vases. Il existe aussi une page Facebook. Aux blogueurs de se définir un thème, d’associer des images ou du son à leur texte, l’idée étant d’aller écrire sur le blog de l’autre.

outils de jardinier

Atelier de mon père

Nouvelle saison, nouvel état des choses de la nature.
Comme si on lui adressait la parole après un long temps de silence. La nature se retourne, semble dire « C’est mon tour à présent. ». Et elle parle plus fort. Elle s’ouvre au vent frais, renoue avec la lumière, fourrage à droite à gauche.
On le sent tout de suite quand le printemps arrive.

Les oiseaux sont devenus très présents dans le grand fleuve du ciel. Un rapace plane au-dessus du versant boisé, je l’ai repéré ces jours-ci et j’ai noté la courbe particulière de ses rémiges. Et les arbres, les buissons, toutes les plantes ont beaucoup à faire. L’herbe — toutes sortes d’herbe — se débrouille avec les murs effondrés, les fissures, les amas de gravats. Elle part en conquête partout, quel que soit le support. Même sur le caillou ou presque, elle arrive à ramper,  s’infiltrer.
Je l’admire, l’herbe. Vivacité, ténacité, débrouillardise. Elle a tous les talents.
C’est donc l’heure pour le jardinier de passer en revue ses outils. Il va en avoir besoin, chaque jour, s’il veut reconquérir son petit monde et le faire prospérer.

D’abord ses mains, précieux instruments. Elles doivent être capables de fouiller la terre, extirper les racines de chiendent, rassembler les cailloux pour les jeter à la rivière. Juste comme ça, sans outil. Avec la pince des doigts et la force des petits muscles qui habitent la paume jusqu’au poignet. Pour cela, il taille court ses ongles afin qu’il soit plus commode de les tenir propres. Il passe en revue ses gants de travail, d’ailleurs tous fichus, bons à jeter. Il l’ajoute sur la liste des prochaines courses. Et aussi des chaussures en plastique. Ensuite il va dans l’abri où il range ses pelle, bêche, binette, râteau, fourche et autres instruments pour racler creuser etc. Il les nettoie, huile les fers. Et aussi le bois des manches. Il fait l’inventaire de ses graines, tuteurs et pots à semis. Il nettoie sa brouette. Il est tout absorbé par ce qu’il fait. Sa parcelle est déjà labourée, l’allée débroussaillée, et il a porté quelques sacs de fumier au milieu du futur jardin. Il veut être fin prêt pour le moment où ça va commencer.
Après les saints de glace.
Le mauvais temps n’en finit pas.
Depuis longtemps le jardinier a choisi son camp. Il est du côté de la nature et de la renaissance quel que soit le prix à payer, le labeur à produire. Il travaillera son jardin comme le peintre sa toile, il y mettra sa poésie. À présent il est impatient. Il a juste soif de la chaleur du soleil.

texte écrit au printemps 2016 pour le Petit Journal de Saint-Laurent- le -Minier , n°39
Photographie ©Françoise Renaud – Série Dans l’atelier de mon père

comment s’écrit le jardin

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Fleurs, légumes. Je les mêle au jardin. Duo élégant et parfait.
J’aime tellement les cultiver ensemble comme si l’avenir était inscrit entre leurs sillons conjugués, comme s’ils amplifiaient notre utilité et notre fierté de jardinier. Je les entoure de soin. Ils poussent là pas loin de moi, ils semblent à leur place. Les récolter pour les manger me coûte.

Fleurs, légumes. Rien qu’un graine au commencement, un petit cœur de matière qui ne demande qu’à se développer. Rhizome, tubercule, fragment de tige apte à raciner. Il suffit de peu : eau, terre, soleil en suffisance. Chaque fois je m’étonne de réussir. Une tige pointe. Puis plus vite. L’existence s’exprime dans la diversité des organes en croissance, dans la fougue des feuillages s’épaississant en liberté — que parfois je dois guider sous peine de voir mon territoire envahi. Aussi dans ces formes douces et colorées, corolles destinées à orner les allées ou se muer en légumes.

J’envie le temps dont disposent les végétaux. J’admire leur irréductibilité. Fleurs, légumes, combinaisons subtiles. Dans le jardin ou dans l’assiette. Le gracieux et l’intime de la terre.

Photographies ©Françoise Renaud, juillet 2016

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