lettre à un ami disparu

La toute première fois que l’on s’est vus, vous aviez franchi le seuil et vous étiez entrés tous les deux dans la boutique. Si proches. Le lien a pris tout de suite. C’est ainsi. Les relations, c’est comme de la cuisine humaine, ça prend ou ça ne prend pas. On ne peut rien y changer. Et c’est comme ça qu’entre nous tous, ça s’est passé.
Depuis combien de temps déjà ?

Est-ce donc si important de mesurer le temps ? N’est-ce pas plutôt l’intensité et la vérité des instants partagés qui vont rester au cœur, instants volés au gré des jours et des itinéraires à travers le pays, instants autour d’un thé, d’un repas, d’une exposition, d’un festival de cinéma, conversations au jardin et petits signes d’attention sans cesse renouvelés.
Par la suite nous avons regardé ensemble le ciel et les arbres plantés sur la montagne. Ou encore l’horizon, le ruisseau en été en hiver. Le soleil se couchant au bord du causse, la brûlure de l’été dans la terre, l’incandescence au-dessus de nos têtes. Ce soir-là le repas était si bon : truite fumée de la rivière voisine, crudités, douceurs. Autour de nous, Mère nature. Et puis un panier de prunes mûres et des bouquets de tournesols.
Les regards et les gestes construisent le lien, tu le savais. Et puis ton nom, prédestiné.

Rien n’est perdu de tout cela.
Les molécules émises par nos souffles et nos mots échangés sont restituées au monde par la voie sauvage.
Sur les hauts plateaux tibétains, les vautours font le guet autour des dépouilles déposées par les hommes d’en-bas, mangent les yeux et les entrailles, facilitant ainsi la réintégration de la chair au sein de la matière primordiale. Les vautours nourrissent leurs corps d’oiseaux géants, ensuite leurs ailes remplissent le ciel de leur puissance tout comme les nuages. Jusqu’au cosmos.

Ce soir nous regarderons le ciel avant que la nuit tombe et nous verrons les nuages et les oiseaux et nous saurons que tu seras dans les parages.

 

Photographie : ‘Pour René’, Françoise Renaud, automne 2018

 

11 commentaires

  1. Les amis ne disparaissent jamais vraiment. Ils transcendent la mort et nous accompagnent toute notre vie. Très beau et touchant texte. Merci Françoise.

    • Tu as raison. Étonnant comme les êtres survivent autour de nous, même privés de souffle. Étonnant comme nous les revoyons exécutant un geste ou parlant ou marchant. Tant que nous sommes vivants, ils continuent le chemin avec nous.

  2. jacqueline Vincent

    Nous sommes reliés toujours… Les traces restent dans le ciel, la nature et les mots. Je crois profondément à ces signes qui ravivent dans nos cœurs, nos pensées et nos corps la présence d’un être cher, parent ou ami, et dont la disparition n’effacera rien. Ils sont des compagnons de route, notre force pour continuer…. Jacqueline

  3. Ils ne sont jamais loin, les êtres que l’on aime, que l’on estime. Toujours près de nous soit dans les nuages ou dans l’air mais tout près comme tu l’exprimes si bien Françoise.
    Il avait un prénom évoquant ce fait et tu le fais remarquer, toujours vivant dans nos cœurs ceux que l’on n’oublie pas.
    Très beau texte, profond qui fait réfléchir.
    Encore merci Françoise

  4. Jean-Luc Rocher

    Les amis disparus vivent dans nos coeurs , ils nous accompagnent. Parler d’eux est un hommage qu’on leur rend.
    Merci Françoise pour ce très beau texte

  5. Françoise Toursel

    Merci pour ce beau texte… les amis , les parents disparus font encore longtemps partie des vivants …tant qu’il y aura quelqu’un pour penser à eux, pour parler d’eux , et perpétuer leur souvenir.

  6. FRANCIS GINESTET

    Merci pour cette invitation à ressentir les forces de l’Esprit de l’ami disparu.
    Voir dans la nature les signes de cet Esprit qui ne s’éloignerait donc jamais trop des vivants aimés.
    Tes mots apaisent et rendent la disparition moins insupportable.
    Mais il y a les nuits noires où l’absence devient terreur du gouffre sans fin.
    Les petits matins froids où l’absence devient violence, révolte contre la vie qui continue, torrent puissant d’eau glacée.
    Relire alors tes mots.
    Espérer le soleil qui chasse les ténèbres, le vent qui soulève les brumes.
    Attendre le premier signe de celui qui fait croire qu’il n’est plus là.

  7. J’ai perdu un ami très cher il y a 9 ans. Moi qui ne suis pas du tout versé la dedans, j’ai reçu pendant 8 jours des « signes » d’une manière totalement incroyable l’année dernière. Émouvant et étrange.

    • Troublants ces signes qui nous ramènent vers eux. Créations de nos esprits ? illusions ? interprétations dans le sens de nos désirs ? Peu importe. Ils sont en nous et nous les aimons toujours sans les voir.

  8. Merci pour ce beau texte, Françoise, rien n’est perdu de ce que l’on a partagé, c’est vrai… ça se tient quelque part, dans un repli du temps, et il n’appartient qu’à nous de le faire revivre.

  9. angogna chantal

    ma chère Françoise, je crois à une naissance à autre chose après la vie. J’ai perdu ma grand-mère et une nuit elle s’est manifestée. Très doux, un respect intraduisible par les mots mais une émotion indicible.
    Je suis sûre de retrouver un jour les êtres aimés et disparus et cela me réconforte.
    Ton ami est tout proche de toi c’est sûr.
    Doux baisers et pensées de tendre amitié pour toi.

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