petite neige

carnet d’installation | 18 janvier 2023

la neige s’est invitée sans qu’on n’y prenne garde, ça s’est passé pendant la nuit si bien que tout était silence avant que le jour se lève, ça ressemblait à un souffle au cœur inaudible, un silence animal d’un genre qui n’a plus cours nulle part ailleurs que dans les forêts à cause de l’élargissement des villes, silence vibrant des arbres fouettés brossés tissés de poussières sauvages, cris de bêtes, attente aussi, et tout ce blanc niché dans les parties intimes de la terre des mousses des fruits

la neige s’est invitée comme cadeau de janvier, parenthèse entre deux journées, elle a habillé mon nouveau paysage, redessiné les écorces et les herbes, créé une nouvelle géométrie

je l’ai saluée et j’ai prié pour qu’elle dure le temps de mes images volées

Photographies FR – 18 janvier 2023

étreindre

journée du 25 janvier

Quoi tenter d’étreindre ce matin en ces heures de gel encore.

Ciel pâle alors qu’en arrière du versant il y a davantage de couleur. Puis elle vient la couleur et remplit la vallée. Dans la timidité de l’hiver. Une gamme de jaune ocré mêlé de blanc et de beige rosé. Irruption brusque du soleil à dépasser le versant. Et cette longue trace blanche de l’avion qui amorce sa descente vers la plaine et la mer là-bas toute plate.

Elles deux caquètent se précipitent l’une contre l’autre. En attente de grain ou d’herbe. Elles gloussent parlent vraiment quand je passe. Je leur parle aussi. Elles me suivent observent chaque mouvement de ma silhouette. Demeurent vigilantes à ma voix. Elles ne connaissent que cela entre tanière double haie de framboisiers et ganivelles fabriquées avec du bois de rivière. Le rythme de leur attente. La pulsation chuchotée de leurs petits cœurs sous les plumes. Et puis cette flambée joyeuse en battements d’ailes effrénés quand j’entre avec de la pitance à distribuer.

Scintillements du jour. Soleil au maximum du possible en cette saison. S’incline sur ma lecture.

Il n’y a pas de récit, pas d’événement notable. Parfois simplement un sursaut dans la poitrine qui raconte la vie simple ici et maintenant.

Je cherche la couleur au jardin mais il n’y a presque pas. Tas de végétaux qui sèchent et se décomposent chaque jour un peu plus. Les tiges de glaïeul encore dressées sont devenues rousses. Écoulement permanent de l’eau. La rive n’est qu’enchevêtrement de bois délavés branches brindilles touffes d’herbe gelées bouts de clôture charriés par d’anciennes inondations puis chahutés rochers pris dans la masse végétale. Un peu plus haut, une petite plage aux cailloux lisses comme triés par le courant. Gris foncé gris clair et blanc.

Chatte tapie dans une jardinière. Elle croit que personne ne la voit. Elle affûte son espionnage. Chaque traque est un commencement. Chaque saut, une ligne dessinée dans l’espace, un franchissement.

La courge coupée en deux offre sa chair sur la table de cuisine. Graines humides attachées les unes aux autres qui seront mises à sécher. Y tailler des quartiers. Peler la peau. Dans ce geste prêter attention à la trajectoire du couteau qui détache l’écorce de la matière consommable. La courbe tracée dedans. La force qu’il faut pour faire avancer le couteau. Contenus comme inscrits dans l’orangé de la chair le goût le velouté le parfum de la soupe.

De quoi s’emparer à présent que le vent est rentré, vent du nord frigorifiant soufflant par les collines les berges les ruelles.

Le feu danse salvateur. Tourbillons flammes élans dans le désordre bois sombre braises. J’offre mon corps au feu après le froid comme s’il s’agissait d’un soleil comme au premier jour de la vie. Je profite de la peau qui se réchauffe en fourmillements un peu douloureux. Cède à l’attraction de la contemplation du brasier qui active souvenirs agonies séparations dans l’avancée irréductible des secondes qui nous pousse hors du champ.

regarder, regarder encore, saisir des choses imperceptibles et essentielles
ensuite trouver le chemin de l'écriture

et non il n'a pas neigé mais c'est un peu ce sentiment de blancheur et de silence que j'ai recherché 
et puis user seulement de phrases courtes et simples, 
sans virgules... 
juste des points classiques...

Photographies : FR, au jardin en hiver 2018

arbre blanc

 

Je regarde autour de moi et dénombre avec stupeur les corps touchés, abîmés, souffrants, abattus même parfois — une véritable hécatombe comme après un affrontement meurtrier, une bataille à l’ancienne. L’ennemi n’accorde pas de trêve. Et même ceux que je croyais âmes proches et capables d’élargir leur vision choisissent la facilité et quittent le pré pour se cacher dans leur maison confortable, ils ne viennent pas aider à recoudre et huiler les membres blessés, à soulager les peines. Il faut se passer d’eux tant pis. Avancer en dehors d’eux. Ne pas les oublier pour autant, juste penser qu’ils ne sont pas taillés pour ce genre de combats.

Je regarde autour de moi ce que l’hiver fait au temps, au bois, à l’herbe. Ce que la neige fait au rocher, aux mousses, aux versants. Ce que la brume fait au paysage.
Je regarde chaque chose du monde, chaque écorce.

Il y aura des cicatrices à cause du gel et de l’eau et de la brume,
à cause du fer qui a coupé la peau,
à cause des paroles qui n’ont jamais été dites.

Depuis que j’ai passé le seuil de cette année nouvelle, les jours ne sont presque jamais cléments. Je dois composer avec cette nouvelle donne. L’après-midi je vais voir l’arbre blanc pas loin d’ici, regarde comment il fait pour résister et continuer à fabriquer de la matière.
Parfois je voudrais m’endormir dans la forêt.
Bientôt nous panserons nos plaies.

Photographies  Françoise Renaud, janvier 2021

en mon for intérieur – jour #25

J’ai décidé en ce vendredi particulier, jour #25 du confinement, de publier un texte achevé tout juste hier, en réponse à une proposition Ateliers de François Bon autour de Pierre Bergounioux — un atelier intitulé : temps référentiel & temps du récit.
Ou encore : « de comment rendre compte narrativement d’un morceau complexe du réel avec durée »

 

la blancheur

Un long moment elle a parcouru les endroits de sa vie récente à la recherche d’un événement cyclique, d’une circonstance, d’une simple scène qu’elle aurait observée ou à laquelle elle aurait participé et qui se serait répétée suffisamment de fois pour être saisie en écriture et restituer une sensation de temps écoulé, mais elle n’a pas trouvé. Depuis qu’elle vit par ses propres moyens, elle s’est appliquée à échapper aux traditions et aux obligations familiales. Pas de vacances dans la même maison à la mer ou à la campagne — pas de vacances du tout —, pas de lieux fétiches, pas tellement d’habitudes. Une nouvelle fois elle s’oriente vers l’enfance alors que les parents dictaient la marche à suivre et décidaient de la tournure des choses. Et dans ce monde où ils étaient tous nés, dans ce pays qui était le leur, les fêtes chrétiennes s’imposaient pareilles à des bornes immémoriales, précieuses car constituant la partition du temps et concourant à l’organisation de la société rurale, occasions d’inviter la famille, d’assister ensemble aux cérémonies et de partager un repas. Mais elle n’avait jamais aimé les messes, les banquets et tout ça. Une réaction envers sa mère qui elle au contraire se réjouissait de ces rassemblements, les entourait en rouge sur le calendrier et veillait à leur réussite. Ne lui restait plus qu’à se carrer dans sa solitude, garder ses distances tout en se demandant pourquoi il fallait être dérangé par autant de monde à la fois, faire semblant d’être content, bien se tenir quoi. Et de cet événement qui survenait au cœur d’avril et qui chamboulait les rythmes domestiques, elle se souvient à priori de peu de chose. Continue reading →

à portée de corps

tout cela à portée de corps, de regard
ça coule, ça progresse, ça rebondit, ça abreuve les animaux qui vont sans entraves
on est forcément étourdi par cette course perpétuelle, cette grâce, cette musique parce qu’elle est issue du sédiment primitif, du blanc de la naissance et de la mort, de la brume qui noie les anciennes forêts poussées sur des versants vertigineux en bordure des zones habitées, parce qu’elle se moque de l’histoire, des aventures passées, ne se préoccupe que du présent

malgré l’intensité du spectacle, la fatigue n’a de cesse de nous poursuivre, le désir de plaire étroitement conjugué au besoin de consolation impossible à satisfaire tandis que le temps se déploie, ou plutôt se resserre et s’amaigrisse au point qu’on s’effraie, qu’on tressaute au moindre bruit dans les fourrés

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en ce moment

Au jardin
ça pousse l’air de rien,
partout ça sort,

ces bulbes enfouis en terre à l’automne ont fait émerger des choses fragiles et veloutées. Fraîches. Si fraîches qu’on croit à une illusion d’optique, contours doucement renflés comme de la chair vivante. De même la couleur. Improbable. Accouplement d’une pâleur, d’un rose aurore et d’une teinte plus poudrée qui se serait laissée disperser par la brise, brise qui plonge et redessine sans cesse le fil du ruisseau dans ce paisible et menaçant paysage.
Pourtant ces derniers mois il a gelé neigé venté, terre nue secouée.
Plus rien.
Terre sombre en mottes injectée de cailloux.
Et maintenant que l’air se fait tendre, les sèves s’agitent, des matières naissent. C’est miraculeux, épatant. Les pétales s’ébrouent comme de petits animaux joyeux. Et on ressent cette joie, presque une légère euphorie.
L’aspect éphémère y est sûrement pour quelque chose.

Photographie : Au jardin, Françoise Renaud 2017

 

coin du feu

Hier matin. Ouvrant les yeux.
On ne voit pas le jour comme d’habitude qui filtre entre les rideaux. On sent quelque chose de différent. Le réveil n’indique plus l’heure. Grand silence en dehors de la rumeur de rivière.

Il y a que la neige est tombée en abondance depuis le milieu de la nuit.  Dix centimètres au moins. Comme dans les histoires qu’on raconte aux enfants. Et tout est changé. Plus rien ne marche dans la maison, une ligne électrique a dû être endommagée par la chute d’une branche ou d’un arbre entier. Plus rien ne marche, il faut s’organiser. Dégager l’escalier pour ne pas tomber, éviter de se casser une jambe, atteindre le bûcher. Revenir avec tout ce qu’il faut pour lancer un feu. Au plus vite. Le nourrir. Le feu est une nécessité au cœur de la blancheur. Le feu est à la fois lumière et chaleur. Le grand poêle émaillé couleur majolique devient un petit coin très actif, centre de la maison et du quotidien capable de répondre à nos besoins, si évidents ce matin-là. Continue reading →

de l’océan 1/2

Ce te texte a été publié le premier vendredi de septembre 2016 sur le blog de Marie-Christine Grimard dans le cadre des Vases Communicants.

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À la surface, ça court ça glisse comme sur une peau. On voit les petites langues levées par le vent puissant.
La ligne de rencontre entre ciel et mer est dure et précise, sans nuages.
Comme soulignée à la plume violette.

Les vagues s’annoncent au loin, à bonne distance de la côte. Chacune ressemble à une boursoufflure. Puis à une faille à travers le bleu brossé d’écume, à une tranchée. On y voit l’intérieur du ventre de la mer. On voit combien dedans ça bouscule et rugit, ça brasse et fracasse. Un corps d’homme serait irrésistiblement aspiré, emporté, chamboulé, avant d’être rejeté à demi-mort sur le sable.

Quand nous étions jeunes, nous enfants de la côte, nous adorions les tempêtes. Elles soulevaient des vagues énormes et remplissaient les criques jusqu’à la goule à marée haute, refoulant la marmaille estivante sur les bancs qui bordaient la corniche. Nous espérions l’orage qui ne manquait pas d’arriver autour du 15 août, accompagné d’un bref coup de vent. Ce jour-là nous enfourchions nos vélos pour gagner des rivages plus sauvages à l’écart du bourg. Plages réputées dangereuses. On ne disait rien à personne. On y allait, on déposait nos vélos à travers les genêts et on se jetait dans la bataille. Pendant plusieurs heures.
Cette ivresse à éprouver la force démente de l’eau,
le corps broyé,
les membres écartelés, la chevelure mêlée de sable et de sel.
Jusqu’à épuisement.
Chaque mur déferlant nous avalait, proposant quelque chose d’effrayant, et nous poussions des cris que nul n’entendait à cause du fracas monumental. Nous n’avions jamais peur, nous n’avions aucune mesure du danger. Parfois une vague plus vicieuse que les autres nous déportait vers la barrière noire des rochers. Nous sortions roués de coups, éraflés, ensanglantés. Nos mères nous demanderaient où donc nous étions encore allés nous fourrer. Nous dirions que ce n’était rien, ces bobos. Rien du tout. De toute façon nous nous en moquions, le paysage et le vacarme étaient nôtres, l’océan nous possédait, nous ne voulions rien d’autre qu’appartenir à ce monde qui nous avait vus naître et qui nous poussait vers l’avant avec en germe la conscience de la phosphorescence et de l’extrême beauté.

Photographie : Port Bourgenay, Vendée – ©Marie-Christine Grimard, 2014