fond du jardin

L’année de ses douze ans peut-être, loin en arrière, sorte de niche au sortir de l’enfance. En fait il y a plusieurs instants de même nature dont elle pourrait s’emparer et fouiller. L’un avec la grand-tante, l’autre avec le frère, l’autre avec les chiens, tous assemblés en cette même heure, durée d’une visite en ce village où son père a été recueilli à la fin de la guerre. Le village se situe dans l’arrière-pays maritime fait de bocage, champs de pommiers et prés riches en herbe pour les gros animaux. Le père reconnaissant souhaite entretenir le lien avec ceux qui lui avaient proposé leur chambre à patates pour gîte et l’avaient nourri en des circonstances difficiles. Sans doute veut-il aussi donner à voir ses enfants, fille et garçon, qui grandissent si bien. De beaux enfants en somme.  

C’est en hiver, le jardin semble mort, les bâtiments de la ferme tassés et bien alignés le long du chemin. Elle aime les reconnaître dans l’instant où la voiture dépasse l’étang, bifurque à droite et se range sur le terre-plein. Tout de suite les chiens alertés se précipitent, leur lèchent les mains sitôt qu’ils descendent. Les enfants n’ont que faire des adultes qui échangent des nouvelles un moment au jardin puis s’installent dans la cuisine pour partager une cerise à l’eau-de-vie ou un blanc sec — elle a déjà évoqué ces conversations autour de la table au bois noir griffé par l’usage et a déjà décrit les objets posés sur le buffet devant le miroir déformant. Venez donc par ici, je vais vous donner un gâteau. La tante qui vivra bien au-delà des cent ans, a la voix bourrue. Gentille. Sa face grimace, lèvres fendillées, poils au menton. Franchement elle n’aime pas trop l’embrasser, cette tante-là, elle n’aime pas l’odeur de son sarrau pas lavé. Mais ce regard affûté qu’elle a, comme l’œil noir d’une poule qui secoue la tête d’un bord sur l’autre. Mais cette pogne aussi qu’elle a, solide et intraitable pareille à un vérin de pressoir. Mais oui vous pouvez en prendre deux. Allez mes petits ! Un dans la bouche, un dans la poche. Ils se servent et repartent en courant vers le fond du jardin avec les chiens. Là, un drôle d’appentis entouré de broussailles. Porte déglinguée qui ne tient qu’avec un pauvre crochet. Curieux qu’ils ne l’aient jamais remarqué. Ils entrent, la porte se referme brusquement derrière eux à cause d’une rafale de vent, c’est sombre et sale et encombré. Dehors les chiens gémissent. Elle retient le bras de son frère. On ne devrait pas, on va se faire gronder. Pourtant elle ouvre grand les yeux, s’accroupit, il y a des craquements de planches et de tôle, pas de fenêtres sinon un trou dans le mur du fond, il fait froid, elle pose les mains sur les formes autour d’elle pour essayer de les reconnaître, cageots, meubles remisés, toiles d’araignée, vieux sacs de jute, elle ne sait plus où est son frère, ça sent le vieux, la fumée, le cafard, la pomme pourrie, le légume fermenté, toute la pénombre chargée d’histoires effrayantes. Un des chiens aboie dehors. Elle voudrait savoir pourquoi, elle voudrait les rejoindre. Hiver. Une forme a bougé dans le recoin contre le mur. Elle recule, porte la main vers sa poche où elle a rangé le biscuit.

en mon for intérieur – jour #5

 

rien n’a changé au dehors, même rumeur de l’eau, même lumière qu’hier

je n’ai pas mis la radio ni la télé, je préfère lire, j’attrape sur la table La panthère des neiges de Sylvain Tesson (livre commencé il y a deux jours), en sa compagnie je me mets à l’affût, cherche la bête sur le flanc de la haute montagne, épie les reflets de pelage à travers les rocs, les canons argentés, les pentes en ruine, les versants gelés, je quête l’infini dans cet instant offert à la bousculade des pensées et qui pourtant sans cesse s’élargit et s’écoule pour constituer la matière de l’attente, soudain je crois la voir installée au cœur du paysage glacial, oui là-bas sur l’autre versant elle somnole à l’abri d’une terrasse de roche comme lovée sur sa propre chaleur, elle lève la tête, hume l’air froid, fille et reine souveraine en son immense territoire gelé, je voyage à 4500 m d’altitude et je sens le vent et l’odeur de silex, sa silhouette fauve et magnifique en repos dans mon champ de vision, je ne la lâche pas dans ma lunette d’observation, j’attends qu’elle se déploie et coule dans le décor, ondulante, majestueuse, apte à perpétuer sa lignée, sa silhouette finissant par se confondre dans ma mémoire pareille à une scène géante peuplée de vies animales, d’arbres touffus, de souffles et de murmures, aussi d’événements minuscules enfouis depuis le commencement qui ont forcément contribué à mon éveil
dans cette géographie grandeur nature je berce la bête fauve et solitaire dans mon rêve, elle devient le poème incarné
vieille de cinq millions d’années elle détient en son corps tous les visages

le sommeil de ma prochaine nuit bercera encore la vision d’elle nonchalante

onze fois trente-trois

1
Une femme aux cheveux blancs marche dans le hall de l’aéroport à pas menus, un peu perdue. Elle s’apprête à se rendre au bout du monde pour voir sa fille unique. Elle vient d’avoir 88 ans.

2
Il ne dit rien quand elle revient de l’hôpital. Pourtant il est mort de peur, peur qu’elle ait encore une faiblesse et qu’elle y passe. Le souvenir de leur première rencontre lui revient, pareil à une obsession.

3
L’homme au visage d’enfant conduit une jeep suffisamment étroite pour emprunter le chemin qui conduit à son champ d’oignons. Un jour elle passe juste à côté et il lui parle. Il lui dit que les pommiers ont besoin d’eau en été.

4
Le père est mort récemment dans cette maison. Les enfants parlent de lui, surtout le fils qui n’a pas réussi à se défaire du joug que son géniteur exerçait sur lui. Le fils fait beaucoup de sport pour oublier, il court il court jusqu’au bout de ses forces.

5
Un jour il lui dit qu’elle ne peut pas savoir combien il l’aime — quelque chose d’impossible à mesurer. Alors se dessinent en arrière-plan les visages de celles qu’il a connues avant, juste pour le plaisir, et il voit combien sa vie a basculé.

6
Née dans un pays du  nord, elle décide à 60 ans d’aller vivre dans le sud. À cause du soleil, enfin c’est ce que les gens pensent. En vérité elle s’est enfuie  — elle a toujours voulu tuer son père qui maltraitait sa mère.

7
L’homme noir a vieilli mais la nature de sa musique n’a pas changé ni le son de son saxophone. Il traverse l’atlantique pour la revoir. Quand elle lui serre les mains, il la regarde dans les yeux et voit ce qu’elle est devenue.

8
Cary a toujours été bel homme et il a multiplié les aventures amoureuses. Sur le divan du psychanalyste il parle de sa mère qui lui a toujours écrit de belles lettres mais était incapable de l’aimer. Il commence à comprendre pourquoi il a gâché une bonne moitié de sa vie.

9
Ses enfants ont quitté la maison pour conduire leur vie ailleurs, une chose qu’elle ne peut pas supporter. Un matin, devant ses élèves, elle perd subitement le contrôle de sa voix et elle s’effondre. Comme un crash d’avion.

10
Refusant de se conformer aux offres de la société, une jeune fille cherche sa voie. Son amour pour le théâtre prend toute la place. Elle vient d’être choisie pour tenir le rôle d’Antigone avec une troupe d’amateurs.

11
Déjà douze ans qu’il souffre d’un cancer. Il est assis au bord de la mer et il raconte à son amie écrivain comment, à travers cette épreuve, son esprit s’est ouvert. Ou plutôt son cœur.

textes créés par Françoise Renaud dans le cadre de l’atelier d’été 2017 proposé par François Bon : Et si je vous dis personnages ?
La consigne, c’était  : en bref, faire émerger un personnage en trois phrases tout au plus
Illustration : Alfred Kubin (1877-1959)

vers l’horizon perdu [1/2]

Ce texte a été écrit dans le cadre des Vases Communicants en liaison avec celui de Dominique Hasselmann qu’on peut retrouver ici.

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il sortait en général avant la tombée de la nuit — sans doute qu’il n’aimait pas le soleil —, il sortait de l’immeuble et se faufilait dans le flot des voitures et des passants en se faisant remarquer le moins possible — sans doute qu’il n’aimait pas se distinguer non plus, raison pour laquelle il portait des vêtements de couleur neutre, pantalon gris, gabardine d’un genre que tout le monde porte en ville et qui n’éveille aucun soupçon, jamais de chapeau ni autre fantaisie

tout de même cette façon singulière qu’il avait de se glisser entre les éléments qui encombraient son parcours : arbres, bancs, lampadaires, poussettes, fourgonnettes, laissait imaginer qu’il était suivi ou même étroitement surveillé ou qu’il pensait l’être, ce mouvement rapide du bras qui rabattait le pan du manteau tout en jetant un regard derrière lui, cette inquiétude perceptible au front, cette accélération du pas, cette réticence à dire parler sourire, même au boulanger qui lui servait quotidiennement sa baguette de campagne, voire un gâteau le samedi soir, rarement deux, ce qui laissait supposer qu’il vivait seul dans cet immeuble d’où il avait surgi comme en retard juste avant la fermeture des boutiques du quartier, certaines demeurant éclairées au-delà des horaires affichés sur la porte, chose qu’il avait bien notée et dont il profitait souvent Continue reading →

grande muraille

Quelque part sur la frontière nord de la Chine, entre IIIe siècle et XVIIe siècle…

Life on Mars

Tout là-bas, le soleil en chute libre.
Quelqu’un le suit des yeux. Un homme.
Il sait que, lorsque la terre sera plongée dans les ténèbres, l’astre continuera de peser sur la mémoire du corps. En particulier sur les paupières, petites plaies et brûlures ne pouvant s’arrêter de suppurer. Pupilles brûlées aussi, pellicule opaque troublant la vue. Et c’est pareil pour chacun des hommes du chantier.
Ajoutés à ça, la poussière, le sable, la poudre issue des roches qu’ils taillent polissent et transportent sur leur dos.
La sueur qui pique la peau aux écorchures, repoussée d’un mouvement quasi automatique du poignet.
Si cruel ce pays désertique, torride le jour, glacial la nuit, avec des hordes de barbares qui déferlent pour dérober le peu qu’ils ont, quand bien même ils se trouvent défendus par une garnison de soldats — car ce n’est pas la main-d’œuvre qu’ils protègent, plutôt la muraille en train de se construire, et aussi les victuailles et les tentes du campement hérissées d’étendards où ils séjournent tous.

Une fois le soleil enfui, l’ombre met à nu les souffrances, corps rompus abattus sous des bâches.
Un court répit.
Quelques heures gémissantes.
Le rêve les emporte loin — rien d’autre que le rêve pour tenir —, loin dans le giron doux des femmes, mères et amantes laissées en arrière ou simplement inventées, loin dans la tendresse d’une progéniture perdue.
Ses rêves à lui ont la dureté du granit extrait à cœur de montagne, matière primitive, lave, fluide sanglant, si bien qu’il préfère leur faire barrage — il ne survivrait pas à l’appel de ces choses douces inaccessibles. Il choisit de se remplir du monde en train de se construire en dépit de la douleur et de la faim. Il épie le vent, les nuages, les herbes, les arbustes, les bêtes qui fuient dans leurs terriers. Il respire rumine le monde comme on marche, vivant tout simplement, la chute du soleil révélant chaque soir la topographie des lieux — il le sait, chaque soir il regarde — et, dans l’instant précis où l’astre chute, la véritable courbure de l’univers. C’est là sa plus grande joie.

Des siècles plus tard, des voyageurs équipés d’appareils à photographier viendront admirer ces formidables fortifications. Ils s’égaieront pépieront telle bande d’oiseaux gris et repartiront comme ils sont venus sans rien percevoir de la profondeur infinie du temps et de la couleur violente de la terre, nourrie de sang humain et de crépuscules.

 

texte inspiré par Life on Mars, photographie de Rick Glay, 2013

falaise sans fin (12)

Sunset, Caspar David Friedrich

L’attirance entre Mowglia et Mermel pourrait m’entraîner si loin que j’en ai le vertige.
Patienter pour l’écrire.
Plus tard peut-être dans une autre saison ou pourquoi pas dans un livre.
Aujourd’hui accorder de l’attention à leurs deux corps marchant hésitant s’observant, agissant l’un vers l’autre comme au ralenti – j’aime approcher cette tension des nerfs muscles sangs sèves ivresses –, se mouvant dans une atmosphère quasi liquide habitée de particules limoneuses et d’algues microscopiques au sein de laquelle se reflète par instants la multitude des visages amants depuis les prémices du monde, ce grésillement des désirs, à moins qu’il ne s’agisse simplement du frisson des ramées qui recouvrent le berceau où ils se sont couchés pour la première fois,
en alerte,
doigts dessinant d’étranges glyphes à même la peau.

Et suivre la courbe du ventre pour comprendre que l’enfant est au bord de naître. En plus d’une mère au visage tendre dans l’ombre verte, il y aura un père pour lui sur cette terre.
Après, les laisser tranquilles – ils ont tant à faire entre désir et venue de ce fils qu’ils appelleraient Pöli. Plutôt surveiller Riks du coin de l’œil.

 

Riks n’a rien oublié de son passé, de sa responsabilité de chef de cordée, des camarades perdus en chemin. Rien oublié de ce qu’il était venu chercher, poussé par la misère et les rêves insensés des siens. Mais à son tour il trébuche sur l’envie de s’installer, de faire halte dans ce giron de montagne.
Car il faut bien reconnaître que la menace s’était dissoute à force de semaines, que Yuli avait rangé son fusil. Progressivement les enfants avaient recommencé de sourire, la hardiesse était revenue dans la démarche des femmes, l’espace des possibles recomposé en dépit des différences de mœurs et de langues après tant de souffrance. Riks savait que la vie reprend son cours comme la végétation après la crue. Décidément trop tôt pour se reposer. Et il possède une chose au cœur, un murmure, qui l’incite à aller plus loin, à vouloir poursuivre la route pour ne pas oublier d’où il vient et de quoi il est fait, à descendre le torrent rivière puis fleuve jusqu’à la mer pour découvrir d’autres villages, peut-être des villes, des ports, des bords de mer, des îles.
Quand il était jeune, il avait lu dans un livre qu’il existait des îles si grandes qu’elles ressemblaient à des continents, que des animaux singuliers les habitaient, protégés des mutations génétiques et adaptés aux conditions arides ou pluvieuses au contraire. Il ne savait pas si c’était vrai. Toujours est-il qu’il voulait voir des îles, des déserts. Il voulait voir davantage.
Un matin avant le lever du soleil, c’était sûr, il partirait. Seul.

Clod, jeune homme fragile, marqué par les circonstances tragiques du voyage, semblait pourtant se remettre, sanglots et fureurs peu à peu réduits en somnolence, sa tête plus haute, son teint plus coloré. Il aidait à la préparation des farines, fabriquait les galettes de céréales et s’occupait d’alimenter le four pour les cuire. La communauté l’avait accepté. Tous louaient son pain et sa gentillesse. Riks pensait qu’il avait trouvé sa place, que son cœur serait bientôt consolé.

 

Au pli du bras des trois hommes, un motif en étoile

encre métallique, vestige de l’origine gravé tatoué qu’ils soient éveillés ou endormis qui se déformerait avec le vieillissement progressif de la peau, comme se décompose sous l’effet de la lueur descendante la ligne de nuages grumeleux visible depuis le sommet de la falaise, immobile, hostile, inhabitée.

(fin de la saison 1)

Illustration : Sunset, de Caspar David Friedrich 1830-1835 (25 × 31 cm), musée de l’Hermitage

falaise sans fin (11)

surprise view, photographie de Bona Mangangu, 2015

Mowlia la douce, Mowlia la guérisseuse, la bienveillante.

Elle garda l’œil sur le malade le jour la nuit, sa concentration était extrême. Parfois elle murmurait des mots à son attention, des phrases incantatoires, tandis qu’elle lavait sa plaie, rafraîchissait ses joues et sa poitrine, ou simplement demeurait à l’écoute. À certains moments il semblait aller mieux puis il retombait profond dans le puits. La fièvre le pétrifiait contre la couche. Les démons couraient en lui comme du feu. Pourtant elle s’obstinait, mouvements précis des mains ajustés aux impulsions du corps souple, habité du désir d’arracher cet inconnu aux limbes, coûte que coûte.
Alors que Mermel luttait, Riks et Clod avaient été installés dans une maison voisine, au-dessous d’une réserve à foin. Le chasseur qui s’appelait Yuli leur avait entravé les mains avec une corde et avait bloqué la porte.
Plusieurs nuits d’affilée, ils avaient entendu le hululement des rapaces nocturnes, le raffut des rongeurs dans les greniers, quelques pleurs d’enfant, et ils s’étaient demandés combien d’habitants comptait le village. Une question les obsédait : qui était la femme au ventre plein – fille ou femme de Yuli, comment savoir. Ils ne se confiaient rien de ce qui les tourmentait, ils attendaient simplement la montée du jour, veillant à tour de rôle comme par habitude.
Quand un nouveau soleil sortait de terre, une fillette leur portait de la soupe de légumes dans un pot et une sorte de fromage qu’ils ne connaissaient pas, fort bon d’ailleurs, qu’ils dévoraient jusqu’à la dernière miette. Le temps était devenu flou, décompte abandonné des semaines et des mois écoulés depuis leur départ, depuis la chute des compagnons dans le vide, depuis le combat contre les oiseaux noirs. Sans doute qu’ils s’en moquaient, ces données n’ayant plus de réelle incidence sur leur proche devenir. Ils ne se fiaient plus qu’à la saison, qu’à la chaleur.

 

Un matin Yuli revint. Il n’avait pas de carabine.

Il coupa la corde qui retenait leurs poignets, les fit sortir et les entraîna plus haut dans les pâturages pour l’aider à récolter le lait des brebis. Tout se passa si bien avec les animaux qu’ils eurent bientôt la liberté d’errer à leur guise en lisière de forêt. De loin, il arrivait qu’ils aperçoivent quelques hommes à cheval. Des rapaces aussi dans le champ du ciel. Leurs silhouettes et les élans de leur parade nuptiale ne leur étaient pas inconnues.
En redescendant au village, ils croisaient quelques femmes qui baissaient craintivement la tête avant de se faufiler dans les maisons. Et ils la rencontraient, elle, Mowlia. Chaque fois ils se demandaient de qui était l’enfant qu’elle portait.
Mowlia avait vu l’œil de Clod injecté de sang et elle lui avait fabriqué une pâte à humidifier et déposer sur la paupière. Elle lui avait montré comment s’y prendre.
Finalement la patience paya.
L’œil de Clod guérit et Mermel devint capable de se redresser sur la couche. La première fois qu’il se leva, il marcha jusqu’à la porte pour contempler la lumière qui glissait contre les flancs de la montagne. Il était étonné d’être là. Il avait oublié l’avant. Il était comme neuf et le regard qu’il portait sur le monde était infiniment doux, comme influencé par le corps rond de Mowlia.

 

Entre ces deux-là un lien s’était créé, pas de doute. Un lien fait de silence et de corps en fièvre.
Le soir ils se rapprochaient l’un de l’autre, insensiblement. Il n’était pas besoin qu’ils se regardent et qu’ils en fassent davantage pour que les autres sentent leur proximité – leur désir.
Riks craignait que cette connivence n’éveille les foudres du chasseur patriarche et chef de tribu. Pourtant une chose le rassurait : en l’espace d’une saison, Yuli était devenu presque amical et eux étaient passés du statut de prisonnier à celui d’homme libre. Ils étaient même devenus des membres à part entière de la communauté. Ils s’étaient taillés des bâtons pour diriger les bêtes, avaient sculpté des écuelles pour la soupe et des petits outils pour manger. Tout le monde les appelait par leurs prénoms et ils connaissaient ceux des douze enfants qui recherchaient leur présence parce qu’ils étaient différents et stimulaient leur imagination. Une langue avait commencé entre eux à s’inventer, faite des différents langages pratiqués par les peuples des deux versants – les racines communes facilitaient bien les choses.
La falaise, elle, demeurait invisible, loin vers le nord, avec son lot d’incertitudes et de créatures maléfiques.

(à suivre)

Photographie : Surprise view, de Bona Mangangu, 2015

falaise sans fin (10)

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Ils empruntèrent une passerelle branlante sur un bras de torrent, puis un raidillon suivi d’une descente bordée d’arbres aux feuillages vernissés. Le soleil s’amenuisait, habillant les cimes d’un ruissellement doré. Toujours sous la menace de l’arme et portant le corps geignant de Mermel, ils abordèrent bientôt un vallon qu’on ne pouvait soupçonner en cheminant le long des rives.
Là, quelques maisons regroupées sur la pente offerte au sud. Des animaux en pâture, un peu plus haut.
Accroupie près d’un banc de pierre, une femme semblait guetter leur venue.

Elle était vêtue d’une robe en cuir, pièces cousues et consolidées par endroits avec des lanières. Jeune, yeux clairs. Dans l’échancrure de la robe, on devinait la beauté de sa peau.
Elle semblait trier des graines dans un bol. Ou alors des petites baies noires.

 

C’était si étonnant de la voir là, dans cet état nonchalant, adonnée à une activité paisible, qu’ils en avaient oublié le chasseur et le fusil. Ils avaient aussi oublié leur fatigue et ils continuaient à avancer vers elle comme aspirés par l’aimant de ses yeux et le velouté de ses bras pareil à une promesse de résurrection. L’espoir les fouettait au visage.
L’espoir d’être bien traités. Nourriture et repos.
L’espoir d’être soignés. De retrouver une vie normale.
Car s’il y avait des femmes, ça voulait dire qu’il y aurait moins de violence et davantage de compassion. Ça voulait dire aussi que le village pouvait abriter des familles avec des enfants, des jeux, des rires. Un peu comme chez eux, dans ce pays du nord qu’ils avaient quitté depuis de nombreux jours, quand la douceur de l’air revenait après les longs hivers ou le soir quand ils se réunissaient autour des feux. Et s’il y avait des troupeaux, ça voulait dire qu’il y aurait de quoi manger et que les hommes qui gardent les bêtes sont toujours plus humains que les autres.
Là-dessus le chasseur cria quelque chose – sans doute le nom de la femme. Et elle se leva, fine et majestueuse, sans effort – en cet instant ils surent qu’elle portait un petit – et disparut dans la maison proche.

Riks et Clod voulurent déposer leur fardeau sur le seuil, mais ils comprirent aux petits coups répétés contre leurs nuques qu’il leur fallait la suivre, entrer à leur tour. Le chasseur resta dehors, assis sur le banc. Continue reading →

falaise sans fin (9)

bona_pierre

Le bougre. Il les tenait en joue.
Pas question de faire les idiots. Seulement montrer sa bonne volonté, donner l’impression de se soumettre en attendant de savoir de quoi il retournait exactement.

 

Parvenu à leur voisinage, il s’était mis à décrire autour d’eux une sorte de cercle, pas à pas, tout en les dévisageant dans le détail. En même temps il grimaçait, tordait sa bouche. Pour sûr il se méfiait des étrangers et il n’était pas prêt à s’en laisser conter. Mais tant qu’il les tenait sous la pointe de son arme et qu’il les obligeait à baisser le regard, il était tranquille. Il respirait leurs odeurs. Mais on sentait chez lui une certaine dose d’hésitation. Parce qu’il se demandait d’où ces types-là pouvaient bien venir, fagotés comme ça, avec de drôles de couteaux à la ceinture et des outres fabriqués d’une façon qu’il ne connaissait pas.
Bientôt il commença à les frapper à l’épaule avec le canon de l’arme et, tout en poussant des grognements, il entreprit de les diriger vers l’homme blessé.
Ils obéirent. Continue reading →

falaise sans fin (8)

On aurait dit que leur souhait avait été exaucé.
Enfin quelque chose arrivait, un événement qui venait percuter le cours de leur voyage. Mais ce quelque chose était une menace, un coup de semonce qui avait entraîné l’évanouissement du corps de Mermel, et bien sûr ils n’avaient rien souhaité d’aussi extrême. Sans doute un projectile qui l’avait percuté en pleine poitrine pour qu’il s’effondre comme ça. D’un bloc.
Ou alors à la gorge.
Une flèche, un boulet, une poignée de grenaille.
Et cette agression inattendue — souvent ils avaient repensé à l’attaque des oiseaux noirs — les poussait à déguerpir à travers cet espace qui leur avait paru jusque là inhabité, tous les deux debout encore, devenus fous, comme poursuivis par un essaim de guêpes ou un mastodonte en colère, tandis que le troisième n’était plus qu’une masse abattue sur le sol.
Cela se passait à environ 1h de l’après-midi. Ordinairement une bonne heure pour forcer le pas.
Mais cette fois ce n’était pas la lumière qui les exhortait, c’était la peur d’être tirés comme des lapins par un snipeur.

Pas de bruit.
Pas de mouvement sinon de brefs vols d’oiseau.
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falaise sans fin (7)

Ils s’étaient accordés trois jours, trois jours pour manger, dormir – pas question de poésie, seulement de récupération –, trois jours au terme desquels ils avaient prévu de se remettre en route, de traverser les forêts pour atteindre les vallées où des hommes avaient dû se regrouper et s’installer en hameaux, en villages. Enfin, c’est ce qu’ils supposaient. Ils rêvaient de la rencontre, proche à présent. Et ils étaient confiants, remplis de cette croyance naïve qui les avait poussés à quitter leur pays hostile pour trouver mieux.

Clod, toujours fragile, lança un dernier regard vers la cabane comme s’il en regrettait la protection tandis que les autres déjà s’étaient engagés dans les sous-bois pentus, peuplés de brume et de chaos granitiques. Difficile de s’y déplacer, le sol était limoneux et glissant, il fallait se cramponner aux arbres, aux lianes, à tout ce qui se trouvait sur le passage pour ne pas déraper.
Au fil de la descente, la végétation devenait de plus en plus luxuriante. Souvent des amorces de torrent cavalaient à la faveur de pans rocheux puis se regroupaient à la faveur des replats en petites nappes d’eau turbulente avant de repartir dans la pente. L’eau était si claire qu’on voyait l’ondulation floue des herbes accrochées au fond et aux courtes berges. Parfois ils entendaient des bruits de branches. Ils s’immobilisaient, craignant – ou désirant – qu’il s’agisse d’un trappeur ou d’une troupe de chasseurs. Mais non, rien. Seulement des bouquetins en fuite en train de s’abreuver qui s’étaient effrayés de leurs foulées. Ou un ours à ses affaires.
Bientôt, et sans avertissement, ils débarquèrent sur une plateforme plus dégagée qui bordait un canyon.
Et ce fut là un spectacle incroyable. Continue reading →

falaise sans fin (6)

Comment savoir ce qu’il y avait dans cet abri qui s’était trouvé à point nommé sur leur chemin alors qu’ils erraient, dévalant le versant recouvert de forêt, aveuglés par la lumière vive du couchant, prêts à se précipiter dans la mort, ayant perdu toute réflexion à cause de l’épuisement, et donc tout moyen de la reconnaître ?

[Ou plutôt comment puis-je décider, moi, l’auteur de cette histoire qui me dépasse et me pousse dans mes retranchements, de ce que mes personnages allaient trouver, enjambant un pan de muret effondré et repoussant le fouillis des branchages pour en atteindre l’entrée ? Y avait-il du danger ? Une bête qui avait fait de ce lieu son repaire ? Des brigands embusqués?
Je vais leur allouer une chance. Je peux au moins faire ça pour eux car j’ai grande conscience des périls vécus durant leur voyage, conscience aussi de leur état physique. Depuis qu’ils ont quitté leur pays, ils n’ont pas pris le moindre repos, ils ont gravi une falaise réputée infranchissable et ils ont combattu des oiseaux diaboliques – ils en portent les stigmates – sans compter le froid, le vent, la faim, la terreur, le désespoir.
S’étendre sur un matelas d’herbe ou de paille, s’oublier dans le trou béant du sommeil, s’oublier…
Voilà ce que je suis en mesure de leur accorder, au moins jusqu’à ce que le soleil fasse le tour de la terre et les surprenne enfouis dans le vaste giron de l’anéantissement.]

Cette cabane, des générations d’hommes y avaient trouvé refuge et l’avaient retapée au gré des transhumances et des campagnes de chasse. Il y avait de la litière propre pour se coucher, des outres en peau et une source à proximité pour les remplir, il y avait des pierres réunies en foyer et même un tas de bûches prêtes à servir. Les murs étaient imprégnés d’odeurs de lichen et de gibier grillé, aussi du suint des êtres qui avaient séjourné là, arrivés on ne sait d’où, comme eux, livrés aux violences de leur destin. Et maintenant que le jour était complètement achevé et que le rythme de leurs cœurs s’était accéléré à cause de la joie d’avoir trouvé un gîte, ils pouvaient lâcher prise, s’effondrer – leurs muscles collés aux os aussi pesants que du linge mouillé – et céder au silence des ténèbres.

Au cœur de la nuit, Clod cria.
Il rêvait. Il rêvait qu’il tombait, qu’il se faisait arracher les yeux.
Il rêvait qu’il mourait. Continue reading →

falaise sans fin (5)

Les derniers mètres leur semblèrent faciles. Ils les franchirent sans s’en apercevoir. Même s’ils étaient morts de faim et raidis par une fatigue incommensurable, ils exultaient d’avoir vaincu la falaise et leurs consciences semblaient avoir évacué d’un coup le poids des épreuves encourues : les monstres ailés, le vertige, la peur noyant le ventre.
Oui, la peur – sûrement leur pire ennemi.

Riks atteignit le premier le sommet, une sorte une vire composée de grandes dalles érodées par le gel intense, suffisamment spacieuse pour les accueillir. Il arrima sa corde solidement et aida ses compagnons à se hisser près de lui.
Tous les trois mouraient d’impatience, ils voulaient voir ce qui se tramait de l’autre côté, ils voulaient savoir à quoi ressemblait l’autre pays. Mais la lumière mordorée du couchant commençait à envahir la vallée et estompait la plupart des détails. Debout dans le vent glacé, ils n’envisageaient qu’une immense plaine qui s’enfuyait à perte de vue sous un ciel orné de nuages gris violet et rouge orangé, et d’ailleurs leurs yeux bleu pâle – une espèce d’innocence récemment révélée – étaient enflés, comme brûlés en dedans, ils ne pouvaient donc récolter qu’une impression diffuse des éléments du paysage.
Une chose est sûre, ils prirent conscience de l’espace qui s’ouvrait devant eux, ils virent la raideur de la pente, ils ne pensaient ni à la prière ni à la mort, ils ne pensaient qu’à glisser au-delà de cette ligne de crêtes pour quitter le vent, la froidure et les reflets de neige, atteindre – comment dire ? –, atteindre le paradis.
Tout retour en arrière était désormais impossible.

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falaise sans fin (4)

Les oiseaux disparurent comme ils étaient venus. Sans aucune raison apparente. Ils se dispersèrent d’un coup dans la vallée, du côté des forêts, laissant les grimpeurs frappés par le retour impressionnant du silence. La peur avait creusé un trou en eux. La peur de tomber à cause des attaques des créatures, la peur de tout perdre. Et maintenant que le danger était écarté, il leur semblait que ce trou rendait leurs sensations plus fortes, et aussi plus subtiles — sensations du monde du dehors et du monde du dedans. Il leur fallut un certain temps pour sortir de l’hébétude.
Enfin, ils osèrent relever la tête.
Lentement. Très lentement. Comme s’ils émergeaient d’un rêve torturé.

Lentement ils firent le point sur leurs blessures. Ils avaient les oreilles déchiquetées, les mains et le cou ensanglantés, et le froid les avait pénétrés à cause de l’immobilité. Il y avait aussi une sorte de bourdonnement qui tournait dans leurs crânes, une sorte d’ivresse – peut-être le mal des cimes – qui venait affûter la fatigue et la faim, exalter la magie du silence.
« Eh vous deux, est-ce que ça va ? »
Enfin, Riks avait parlé. Il avait la voix rauque.
« Vos yeux, ça va ? »
« Oui. Je crois que oui. Mais faudrait continuer, le temps compte. »
C’était Mermel qui avait répondu. Peut-être qu’il avait crié, incapable de maîtriser les sons qui sortaient de sa gorge.

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falaise sans fin (3)

Au-delà des montagnes, s’étendait un autre pays, un pays bien plus clément que celui où ils étaient nés, de cela ils étaient persuadés — voilà d’ailleurs ce qui les conduisait. Un pays différent aux conditions de vie meilleures avec des rivières qui fertilisaient les jardins, des arbres qui produisaient des fruits en quantité. Nul n’y mourait de faim et les enfants jouaient à autre chose qu’à la guerre. Peut-être qu’en arrière-plan, il y avait chez ces hommes-là qui s’affrontaient à la falaise l’envie de compter parmi les membres importants de leur communauté, de s’inscrire dans l’histoire. Oui, ça aussi ça comptait, ça les poussait à se dépasser. Avaient-ils vraiment d’autre choix alors qu’ils se trouvaient accrochés tels des pantins dans l’immensité minérale, à mi-chemin entre terre et ciel, que de repousser leurs limites, d’aller au bout d’eux-mêmes.

Près de dix jours qu’ils étaient partis.
Ils se souvenaient seulement du nombre de nuits passées dans les niches de rocher. Et un nouveau matin était en train de se lever, le temps splendide, le ciel céruléen.
Pour la première fois ils apercevaient les sommets et ils se demandaient où diable ils allaient bien pouvoir se faufiler dans cette ligne de crêtes acérées, dressées contre l’espace tel un rempart infranchissable.
Toujours se concentrer sur la grimpe.
Se laisser guider par les failles, les fissures, les lignages du rocher. Ils verraient bien ce qui se passerait.

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falaise sans fin (2)

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Ils n’étaient plus que trois désormais.
Comme ils avaient largement progressé en altitude, leur souffle se faisait plus court et leurs muscles avaient tendance à se tétaniser à cause de l’effort continu qu’ils produisaient pour se hisser. Leur mental, sérieusement entamé par la disparition de Päl et de Ernst, était chauffé à blanc. Il y avait aussi que le jour passait.
Riks, chef de troupe, estima que la lumière serait vite insuffisante et qu’il n’était donc pas raisonnable de continuer. Il proposa de se réfugier dans cette niche rocheuse en surplomb qu’ils venaient d’atteindre à la façon de certains oiseaux, accroupis, bien serrés les uns contre les autres pour résister à la baisse de la température, toujours brutale après le coucher du soleil. Il leur fallait reprendre quelques forces.

En silence ils mâchèrent un peu de viande séchée, avalèrent le reste de sirop de bouleau contenu dans ces outres en peau de chèvre qu’ils portaient accrochées à leurs ceintures. Puis ils regardèrent les masses de brouillard qui remuaient à leurs pieds. Elles se teintaient de cendre jusqu’à se confondre aux ténèbres qui semblaient venir de très loin. De là-bas, par-dessus la forêt sans limites. Ils pensaient aux familles dans l’attente — dans l’inquiétude forcément. Et ils pensaient à la falaise qui leur avait volé deux de leurs frères.
Le  cri de l’un et de l’autre — les deux étaient de même nature — avait déjà empreint la couleur de leurs rêves.
Bientôt la nuit fut totale.

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falaise sans fin (1)

L'immuable et l'éphémère, Felip Costes

Certains avaient eu l’intuition d’un passage à travers les montagnes, d’un col, d’un chemin de fortune qui pouvait les conduire de l’autre côté vers un pays plus facile et ils avaient décidé de se mettre en route. Les Anciens disaient que c’était inutile, que d’autres déjà avaient cherché cette voie et n’en étaient jamais revenus. Deux corps avaient été retrouvés au pied de cette falaise qui délimitait les territoires, dépecés par des mâchoires d’ours. Fallait-il qu’eux aussi s’aventurent en terrain hostile et s’offrent à des batailles sans issue, tout ça pour satisfaire leur soif de rêve ? Non, décidément ils ne souhaitaient pas les voir partir, le clan y perdrait sa jeunesse. Mais ceux qui avaient l’intuition d’un passage avaient un feu qui brûlait dans leur poitrine et ce feu s’appelait l’espoir. L’espoir d’une terre meilleure, d’une terre douce et riante. Depuis qu’ils étaient nés, ils avaient vu combien tous autour d’eux souffraient du froid et de gerçures infectées, combien il était pénible de ramasser les écorces et les tubercules en suffisance, combien les nourrissons mouraient. Le gibier était rare, décimé par des maladies étranges. Une sorte de malédiction qui durait depuis on en savait quand. Décidément, rien ne pouvait les détourner de leur projet, pas même l’avis des Anciens.

Ils étaient cinq.
Les femmes du clan leur avaient cousu des sacs faciles à porter à l’épaule et le forgeron leur avait fabriqué des pitons à planter dans les fentes. Ils avaient aussi préparé des cordages en chanvre, affûté leurs flèches et aiguisé leurs lames de couteau. Ils étaient prêts à tout affronter, même le diable.

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