Vases Communicants, décembre 2016, avec Dominique Hasselmann

Les Vases communicants se déroulent le premier vendredi du mois depuis juillet 2009, à l’initiative de François Bon et Jérôme Denis. Marie-Noëlle Bertrand coordonne les publications et stimule les échanges sur le blog associé le rendez-vous des Vases. Il existe aussi une page Facebook. Aux blogueurs de se rencontrer à leur façon, de définir un thème, d’associer des images ou du son à leur texte, l’idée étant d’aller écrire sur le blog de l’autre.
On peut retrouvez la liste des Vases Communicants du mois de décembre ici.

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J’accueille avec joie et curiosité Dominique Hasselmann. Textes, photos, vidéos, il aime tout. Son blog Métronomiques nous interpelle, nous déroute, nous comble. À découvrir.
Nous avons décidé d’un partage autour d’un échange de photographies. Ville/Campagne. Vallée perdue/Horizon perdu. Vous verrez bien… Une exploration en deux volets. Voici la sienne. Mon texte Vers l’horizon perdu [1/2] est à retrouver sur Métronomiques.

VERS L’HORIZON PERDU [2/2]

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Nous avions trouvé ce village un peu par hasard, en naviguant sur Internet. Il nous avait plu parce qu’il était apparemment abandonné, nous ne serions donc pas soumises à des visites de touristes ou à des voisins grincheux. L’abbaye pouvait être retapée sans problème, une architecte des environs s’y était attelée et nous disposions maintenant d’une grande maison bien à nous, avec une dizaine de chambres et un confort spartiate qui nous plaisait tout à fait : ce lieu de méditation gardait ses hautes voûtes, ses pierres de taille et un parfum mystique aptes à élever nos âmes et nos corps.

Il avait suffi de faire fonctionner le bouche à oreille (plus tard le bouche-à-bouche viendrait) pour que nous nous retrouvions ensemble à une vingtaine de femmes. Cette communauté ressuscitait un peu les espoirs de l’après-68 où, las des expériences politiques plus ou moins avortées (maoïsme, spontanéisme, trotskysme, anarchisme…) nombre de militants partirent « s’établir » loin des usines et rejoindre quelque part, au Larzac ou à Ibiza, l’utopie américaine des hippies et autres amateurs du mythe fondateur « On the road again ».

Pour vivre ici, nous avions installé une mini-boulangerie grâce au four à pain délaissé et nous avions créé dans le vaste jardin un joli potager qui, grâce à un soleil généreux, nous fournissait tomates, haricots, radis, concombres, pommes de terre. Concernant la viande et le poisson – nous n’étions pas toutes végétariennes voire, pour l’une d’entre nous, « végétalienne » – un supermarché ouvrait ses portes à une dizaine de kilomètres et, à tour de rôle, nous prenions la Kangoo pour aller nous ravitailler. Continue reading →

vers l’horizon perdu [1/2]

Ce texte a été écrit dans le cadre des Vases Communicants en liaison avec celui de Dominique Hasselmann qu’on peut retrouver ici.

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il sortait en général avant la tombée de la nuit — sans doute qu’il n’aimait pas le soleil —, il sortait de l’immeuble et se faufilait dans le flot des voitures et des passants en se faisant remarquer le moins possible — sans doute qu’il n’aimait pas se distinguer non plus, raison pour laquelle il portait des vêtements de couleur neutre, pantalon gris, gabardine d’un genre que tout le monde porte en ville et qui n’éveille aucun soupçon, jamais de chapeau ni autre fantaisie

tout de même cette façon singulière qu’il avait de se glisser entre les éléments qui encombraient son parcours : arbres, bancs, lampadaires, poussettes, fourgonnettes, laissait imaginer qu’il était suivi ou même étroitement surveillé ou qu’il pensait l’être, ce mouvement rapide du bras qui rabattait le pan du manteau tout en jetant un regard derrière lui, cette inquiétude perceptible au front, cette accélération du pas, cette réticence à dire parler sourire, même au boulanger qui lui servait quotidiennement sa baguette de campagne, voire un gâteau le samedi soir, rarement deux, ce qui laissait supposer qu’il vivait seul dans cet immeuble d’où il avait surgi comme en retard juste avant la fermeture des boutiques du quartier, certaines demeurant éclairées au-delà des horaires affichés sur la porte, chose qu’il avait bien notée et dont il profitait souvent Continue reading →

de l’océan 1/2

Ce te texte a été publié le premier vendredi de septembre 2016 sur le blog de Marie-Christine Grimard dans le cadre des Vases Communicants.

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À la surface, ça court ça glisse comme sur une peau. On voit les petites langues levées par le vent puissant.
La ligne de rencontre entre ciel et mer est dure et précise, sans nuages.
Comme soulignée à la plume violette.

Les vagues s’annoncent au loin, à bonne distance de la côte. Chacune ressemble à une boursoufflure. Puis à une faille à travers le bleu brossé d’écume, à une tranchée. On y voit l’intérieur du ventre de la mer. On voit combien dedans ça bouscule et rugit, ça brasse et fracasse. Un corps d’homme serait irrésistiblement aspiré, emporté, chamboulé, avant d’être rejeté à demi-mort sur le sable.

Quand nous étions jeunes, nous enfants de la côte, nous adorions les tempêtes. Elles soulevaient des vagues énormes et remplissaient les criques jusqu’à la goule à marée haute, refoulant la marmaille estivante sur les bancs qui bordaient la corniche. Nous espérions l’orage qui ne manquait pas d’arriver autour du 15 août, accompagné d’un bref coup de vent. Ce jour-là nous enfourchions nos vélos pour gagner des rivages plus sauvages à l’écart du bourg. Plages réputées dangereuses. On ne disait rien à personne. On y allait, on déposait nos vélos à travers les genêts et on se jetait dans la bataille. Pendant plusieurs heures.
Cette ivresse à éprouver la force démente de l’eau,
le corps broyé,
les membres écartelés, la chevelure mêlée de sable et de sel.
Jusqu’à épuisement.
Chaque mur déferlant nous avalait, proposant quelque chose d’effrayant, et nous poussions des cris que nul n’entendait à cause du fracas monumental. Nous n’avions jamais peur, nous n’avions aucune mesure du danger. Parfois une vague plus vicieuse que les autres nous déportait vers la barrière noire des rochers. Nous sortions roués de coups, éraflés, ensanglantés. Nos mères nous demanderaient où donc nous étions encore allés nous fourrer. Nous dirions que ce n’était rien, ces bobos. Rien du tout. De toute façon nous nous en moquions, le paysage et le vacarme étaient nôtres, l’océan nous possédait, nous ne voulions rien d’autre qu’appartenir à ce monde qui nous avait vus naître et qui nous poussait vers l’avant avec en germe la conscience de la phosphorescence et de l’extrême beauté.

Photographie : Port Bourgenay, Vendée – ©Marie-Christine Grimard, 2014

Vases communicants de septembre, avec Marie-Christine Grimard

Premier vendredi de septembre. Période caniculaire. On a besoin de frais, d’océan . Et c’est Marie-Christine Grimard que j’accueille dans ma page.

Son blog s’appelle Promenades en ailleurs. Marie-Christine aime ressentir et donner à ressentir. Elle aime photographier. « Elle aime avancer tout droit, seule sous le vent. » Nous avons le même goût des paysages de mer. Voilà pourquoi je lui ai proposé l’océan en partage autour d’un échange de nos photographies.
Nous voici réunies pour chevaucher les déferlantes. Un texte en deux volets. Pour commencer voici le sien.

DE L’OCÉAN (2/2)

falaise, côte atlantique, photographie de Françoise Renaud

Ce matin l’air a un goût saumâtre.
Ou peut-être n’est-ce que mon état d’esprit du jour…
Le vent d’ouest laisse sur mes lèvres un goût amer, un goût de rentrée !

Dernier matin ; j’ai rangé la maison, nettoyé le réfrigérateur, remisé les fauteuils de jardin, vérifié l’irrigation des hortensias, bouclé les valises.
Avant de fermer les volets sur la saison achevée, j’irai faire un dernier tour sur la falaise histoire de regarder la mer danser, histoire de ne pas oublier les heures dorées de cet été envolé.
Je sais qu’il sera là, m’attendant comme chaque matin au bord de la falaise.
Je sais qu’il me verra approcher de son regard latéral et qu’au dernier moment il poussera un cri strident pour me signifier de ne pas franchir la limite qu’il a choisi pour nos échanges.
Je m’arrêterai tout au bord du sentier et l’écouterai en silence.
Il me racontera le parfum des embruns mêlés de résine de pin, le bruit des galets glissant sous l’écume, la chanson secrète des coquillages nacrés.

Je lui dirai le sourire que l’océan dessine sur le visage des enfants, la caresse que le vent distille dans les cheveux de ma fille, le frisson du sable ondulant entre mes orteils lorsque la vague se retire.
Il m’aidera à me souvenir du temps sucré des jours de liberté.
Et quand la brume se lèvera sur la mer, je prendrai la route.
Je laisserai les kilomètres défiler et mon esprit vagabonder sur ce rivage blond.

Il me restera quelques nuits pour rêver, à plat-ventre sur le sable, le menton sur les paumes, les cheveux ondulant sous le vent en phase avec les graminées de la dune.
Il suffira de ne pas se réveiller, pas encore, pas tout de suite.
Sur ce matin de rentrée…

Photographie : Côte atlantique  ©Françoise Renaud, 2015

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Les Vases communicants se déroulent le premier vendredi du mois depuis juillet 2009, à l’initiative de François Bon et Jérôme Denis. Marie-Noëlle Bertrand coordonne les publications, stimule et inscrit les futurs échanges sur le blog associé le rendez-vous des vases. Il existe aussi une page Facebook. Aux blogueurs de se définir un thème, d’associer des images ou du son à leur texte, l’idée étant d’aller écrire sur le blog de l’autre.

Mon texte de l’océan (1/2) est à retrouver ici chez elle.

existence soudain fragmentée

Ce te texte a été publié le 5 août 2016 sur le blog de Marie-Noëlle Bertrand dans le cadre des Vases Communicants.

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Nuit jour. Dedans dehors. Corps agissant, résonnant, travaillant, pleurant, communiquant, dormant, se taisant. Les murs sont des frontières entre le ciel illimité et la chambre où ils vivent. C’est la matière qui les guide. La matière du réel, du dehors et du dedans, de la nuit et du jour, du désir et de l’ombre. De l’univers dans tous ses états. Parfois ils se demandent de quoi il s’agit, là sur cette terre, dans ce monde tel qu’il s’est façonné autour d’eux. Ils savent éprouver joie, contrariété, terreur. Mais quand la matière se fige, ça fait des creux dans le temps. Juste après, les heures ne passent plus de la même manière. Les cœurs sont brisés. L’avenir anéanti.

Drames toujours.

Inscrits dans l’ocre du sable.

Ils apprennent le dernier en date par la télévision, par la Toile. Le lendemain au café ou sur le marché en faisant les courses. Un coup de folie entre nuit et jour. Haine et colère. Tout le monde en parle, parle de l’existence soudain fragmentée. Le dehors a fait irruption dans le dedans. L’architecture des bâtiments se moule autour du corps des hommes et des femmes qui pleurent devant le carnage  — personne n’aurait pu l’empêcher d’arriver. Brèches. Chambres noires. Froid et chaud. Certains voudraient s’en retourner dans les espaces du ventre d’où ils sont venus  ou d’un autre semblable, petites huttes en peau munies d’une porte pareille à une vulve — une forme qui s’oppose au rectiligne des rues, des écrans, des fenêtres. Qui s’oppose à la douleur. Pour s’y abriter. Jusqu’au soir. Mon amour. Je te tiens par la main. Il ne t’arrivera rien.

Photographie ©Marie-Noëlle Bertrand

Vases communicants d’août, avec Marie-Noëlle Bertrand

Premier vendredi d’août. Je reçois Marie-Noëlle Bertrand sur Terrain fragile. Avec joie. Les Vases Communicants ont suscité notre rencontre.

Marie-Noëlle est blogueuse depuis 2010. Son blog : La Dilettante
Elle se définit comme passeuse de l’écriture des autres. Elle sème des fragments de textes, isolés ou combinés. Aussi des sons et des photographies. Elle partage sa récolte avec ceux qui lui rendent visite. Elle dit aussi : « Je ne « travaille » pas beaucoup. Éclectique et dilettante, je suis… ».  Ajouter qu’elle côtoie beaucoup les livres, travaillant en bibliothèque.
Nous avons décidé d’écrire chacune sur une photographie de l’autre et je la remercie pour ce partage.
Voici son texte : Dérisoire. Vous trouverez le mien
chez elle ici : Existence soudain fragmentée.

 

S’ouvrent les vannes du plaisir

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Pour bricoler, il n’était pas à son affaire mais il aimait bien y mettre son grain de sel quand quelqu’un d’autre s’y collait. Dans ces moments-là, nous le surnommions « la mouche du coche ».

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Mais le jardin, là c’était autre chose. Ne sait si on doit parler de passion ou de lien à la terre. Lui qui, jusqu’à son retour du service militaire, s’était occupé à divers travaux agricoles, descendait chaque jour dans les entrailles de la terre — il était mineur de fond. Il consacrait son temps libre aux jardins potagers agrémentés de quelques fruits et fleurs.
Dans mon souvenir, il en a toujours fait au moins deux et là il ne me viendrait pas à l’idée de remplacer faire par un autre verbe comme l’on nous y incitait dans les exercices scolaires. Faire le jardin, c’est tout à la fois l’agencer et en prendre soin.

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Les outils n’étaient pas aussi bien rangés qu’ils le sont là. Leur place était contre la paroi du garage et ils étaient chargés sur la brouette ou dans le coffre de la voiture en fonction des travaux qu’il projetait.
Des verbes fusent : biner, désherber, bêcher, piocher, ratisser,  sarcler, planter, fumer, repiquer, labourer, faucher… presque tous corrélés à des outils que je serais incapable de reconnaître.
La pelote, la grosse ficelle qu’on déroule, on la tend entre les deux piquets pour que le rang soit droit ; un jeu d’enfant auquel nous affectionnions de nous prêter. Suivre le fil avec la pioche,  creuser un léger sillon pour accueillir les graines. Les recouvrir, arroser légèrement, voir naître une rivière dérisoire dans la terre sèche.

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Deux verbes nous faisaient prendre la poudre d’escampette : cueillir et ramasser. Les cornichons d’abord, il les récoltait aux aurores afin qu’ils ne forcissent pas sous la chaleur du soleil  — c’est vrai que chez nous les cornichons nous les adorons quand ils sont petits. Il fallait les brosser avant de les immerger dans la marinade que nous préparions avec ma mère.
Le pire, notre cauchemar d’enfants : les haricots verts que nous devions équeuter et effiler. Par bonheur, il les plantaient habituellement dans le jardin de mon oncle qui vivait avec mes grands-parents. Ils étaient toujours prêts, en le voyant passer avec les seaux remplis de ces maudits légumes, à nous délivrer de cette corvée.

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Mon frère, à qui il a transmis cette inclination, a pris le relais. Il m’arrive de me régaler de ses exquises productions légumières. S’ouvrent alors les vannes du plaisir des mots, des gestes et des goûts retrouvés.

 

Photographie ©Françoise Renaud, Dans l’atelier de mon père, 2016

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Les Vases communicants se déroulent le premier vendredi du mois depuis juillet 2009, à l’initiative de François Bon et Jérôme Denis. Marie-Noëlle Bertrand coordonne les publications et inscrit les futurs échanges sur le blog associé le rendez-vous des vases. Il existe aussi une page Facebook. Aux blogueurs de se définir un thème, d’associer des images ou du son à leur texte, l’idée étant d’aller écrire sur le blog de l’autre.

le lac

Ce te texte a été publié le 1er juillet 2016 sur le blog de Louise Imagine dans le cadre des Vases Communicants.

photographie, Louise Imagine

Il avait eu envie de faire la traversée. Le temps était limpide, le lac posé au milieu du paysage, contours nets et précis. Même au fond là-bas — on s’en rend compte sur la photo. Il distinguait chaque arbre, chaque bosquet, chaque petite plage de galets clairs. Aussi les silhouettes humaines qui déambulaient et les voiliers tirés au sec sur la grève. Plein de confiance, il était entré dans l’eau et il était parti. Lentement. Posant sa nage, regardant à droite à gauche, sans se soucier des algues en lanières enracinées au fond de l’eau qui venaient caresser son ventre. Tout allait bien. Il avançait au rythme des bras qui refoulaient l’eau vers l’arrière et des jambes qui fouettaient sous la surface. Au bout d’un moment il s’était senti en forme et il avait décidé de crawler. Une nage qui exige de s’immerger, de perdre ses repères. Du coup il ne pouvait plus surveiller le décor comme avant, seulement dans les espaces brefs de la respiration. Et l’air de rien il avait commencé à dévier de sa trajectoire, juste un peu au début — certainement à cause du courant qu’il avait négligé de considérer. Mais plus il s’éloignait du rivage, plus le courant devenait sensible et plus il s’écartait. Étant donné son manque d’entraînement, il était rapidement revenu à la brasse. Alors il avait constaté combien il s’était écarté de sa ligne de départ. Pas grave. Il avait poursuivi, certain d’accomplir son projet.

Forcément il avait fini par s’essouffler. Une fatigue subite lui était venue dans les jambes et l’eau lui avait paru plus sombre, peuplée de créatures dangereuses. Il avait senti l’effroi le gagner pareil à un frisson glacé et sa nage s’était déréglée, mouvements désordonnés au point qu’il ne progressait plus ni dans un sens ni dans l’autre. Il avait commencé à s’affoler, son cœur s’était emballé, il avait levé les bras en l’air pour faire signe, espérant qu’on le verrait depuis la base nautique, il avait même tenté de crier, mais le vent était en train de forcir — comme tous les jours à la cette heure-là — et les moniteurs rentraient les voiliers, s’occupaient des gréements, ils ne regardaient pas le paysage.

Des petites langues de plus en plus féroces se levaient à la surface du lac et cinglaient sa figure. Il avait résisté mais l’eau rentrait dans sa bouche, dans sa gorge. Soudain il avait eu l’impression d’étouffer, tout était allé très vite, ses mains avaient battu la surface de l’eau comme si quelque chose de sauvage l’attirait vers le fond. Irrésistiblement. Les lanières rugueuses avaient entouré ses jambes pour le faire céder. Puis plus rien. Le silence du vent frappant l’ombre.

La petite l’attendait sur la rive. Sagement. Corps auréolé d’une fine poussière.

Photographies ©Louise Imagine

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Les Vases communicants se déroulent le premier vendredi du mois depuis juillet 2009, à l’initiative de François Bon et Jérôme Denis. Marie-Noëlle Bertrand coordonne les publications et inscrit les futurs échanges sur le blog associé le rendez-vous des vases. Il existe aussi une page Facebook. Aux blogueurs de se définir un thème, d’associer des images ou du son à leur texte, l’idée étant d’aller écrire sur le blog de l’autre.

Vases communicants de juillet, avec Louise Imagine

Premier vendredi de juillet. Une journée chaude. Et c’est Louise Imagine que j’accueille avec joie.

Louise codirige actuellement la revue graphique et littéraire La Piscine. Elle est également directrice de la collection photographique Horizons chez Publie.net.
Je l’ai rencontrée récemment, en chair et en os. À présent je découvre ses ouvrages. Certains titres m’interpellent fortement. Inlands, BlancsÉtranges passerelles jetées soudain entre nous comme des évidences. Posée là, une question qui est aussi la mienne : La poésie, la peinture : que disent-­elles, en somme ?
Et puis ses photographies. Travaux souvent exposés (Transphotographiques, rencontres d’Arles) et édités (Blancs, Instant T, La Croisée des Marelles), photographies de plateau, portraits, reportages… tout l’intéresse. L’enfance, les rivages, l’intime… décidément au cœur de notre rencontre.

Nous voici donc réunies à la croisée de l’image et de la poésie, entre énigme et lumière. Nous avons écrit sur un duo de ses photos. Et pour commencer voici son texte.

LE LAC

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L’été à peine installé, la pluie l’avait accueilli.
Aucun nuage n’en avait pourtant annoncé la venue.

La journée s’était déroulée chaudement. Une de ces journées claires où l’on prévoit par hasard de se retrouver entre amis au bord du lac.

Nous avions préparé le pique-nique et les bouteilles d’eau, entassé à la va-vite maillots et serviettes dans un grand sac, pris les masques de plongée des petites, la crème solaire en spray — plus facile à étaler. Nous avions marché quelques temps côte à côte, pressées d’arriver, et malgré nos pieds soulevant la poussière, nos têtes déjà naviguaient dans l’eau douce, apaisante, barbotaient aux côtés des algues noires et poissons argentés.
Après avoir quitté la route, nous nous étions engagés sur le chemin caillouteux Continue reading →

Vases communicants de mai, avec Christophe Sanchez

Premier vendredi de mai. Je reçois Christophe Sanchez sur Terrain fragile.

Je le connais peu – très peu. Je l’ai vu en photo les pieds dans l’eau au bord de la mer. Je fréquente son blog FUT-IL où il écrit Les gens, ses promenades, ses lectures. J’ai aimé le texte Le buffet pour sa précision, L’espingoin autour de son père d’origine étrangère. Il a l’air d’apprécier les plaisirs simples, » les pieds dans les sandalettes qui glissent sur les cailloux, l’odeur du plein printemps qui s’aligne sur nos pas. » Alors je suis contente que vous le connaissiez aussi.
Christophe Sanchez écrit en ligne depuis dix ans. Il est co-revuiste à la revue littéraire et graphique
La piscine. Nous nous sommes proposés un échange libre. Voici son texte.

 

La montre-oignon

Il avait une montre dans sa poche. Pas une vulgaire montre-bracelet, banale, avec son ornement en cuir ou en métal ; pas une montre commune, pas de celles qu’on met au poignet tous les jours – comme tout le monde. Non, il avait une montre-oignon ! Alors, ça ! C’était étrange ! Comment avait-on pu marier une montre et un oignon pour en faire un seul et même objet ? Ou plante potagère ? Parce que, finalement, de quelle espèce était sa montre-oignon ? Où la trouvait-on ? Chez l’horloger ou le primeur ? Mi-temps, mi-primeur. Une primeur du temps, sans nul doute : une fraîcheur de première qualité, une montre-oignon cueillie du matin avec la rosée qui perle sur la trotteuse. L’objet – parce qu’il s’agissait bien d’un objet, je le voyais bien, même si le doute n’arrêtait pas de tourner ses aiguilles dans ma tête – faisait onduler les heures sur sa face d’oignon, à grands coups de tics et de tacs dérobés sous un bulbe de verre. Continue reading →

ne rien perdre

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Il va sans souci. Sans fatigue. Plus léger à l’heure fraîche. Il va, porte le vent. Glisse au flanc du versant. S’incurve, se resserre quand il faut, bientôt raidit sa pente pour entraîner vers le col.
On va avec lui, on le suit — on lui fait confiance.
On essaie de sentir tout ce qu’il y a dans l’instant de formes, de textures, de parfums, de murmures. On ne veut rien manquer. La couleur de l’air. Le ruiné du rocher. Le port des arbres rares. La sensation d’altitude. Et puis le dessin des crêtes contre le ciel, les nuages échevelés, la résonance de l’horizon. Le tressaillement des bêtes cachées. Toutes ces choses émanant du dehors proposées au cours de la marche, cette profusion d’événements minuscules engageant le regard et les autres sens, nous reconduisant dans le giron de la nature. Finalement nous procurant un sentiment de plénitude et d’amour sans réserve pour ce monde qui bouleverse.
Sentiment qui gagne en nous. Pénètre. Continue reading →

Vases communicants d’avril, avec Marlen Sauvage

Pour les Vases Communicants d’avril en hommage à Francis Royo, c’est Marlen Sauvage que je reçois chez moi comme sur ma terrasse au bord d’un ruisseau face à la montagne.
Nous habitons presque le même pays, par choix. Elle, la Lozère, la Cévenne des Gardons. Moi, la lisière sud. Nous avons eu envie d’écrire sur quelque chose du paysage, chacune à partir d’une proposition photographique de l’autre.  Les photos proposées nous ont guidées vers le thème du chemin sans que nous l’ayons prémédité.

Marlen Sauvage tient un blog appelé LES ATELIERS DU DÉLUGE. Elle y a écrit : « Peut-être devait-elle se faire à l’idée que sa vie ne serait plus qu’une succession d’instants de solitude à déguster des olives vertes accompagnées d’un verre de vin blanc sur la terrasse d’une villa, à La Marsa ou ailleurs, sous un ciel lavande. […] « 
Et voici son texte à partir d’une de mes photographies.
Vous trouverez le mien ICI SUR SON BLOG.

Et te perds…

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Va va va marche cours pense renifle écoute flâne rêvasse et te perds… inutile de connaître la route, elle mène la danse, elle te mène, suis-là ; avance au gré du sol ton pas s’y fera bien, au gré des feuilles avance, des fougères au printemps de leurs crosses, à leur rousseur, ralentis, au gré du temps avance, d’un bout de ciel, d’une lune sans halo, d’un coteau chevelu de chênes verts, d’une montagne au loin prise sous la neige ; suis la route, la tienne se dessine déjà, ne crains pas d’user tes chaussures, et si les broussailles obscurcissent ton horizon, si dans les sous-bois les lianes entravent ta marche, si tu t’opposes à l’impénétrable, adresse-toi au rouge-queue, à la mésange charbonnière, aux insectes transparents, aux toiles d’araignées scintillantes, suspendues aux branchages, aux clôtures, à l’herbe courte des prairies, aux voix dans le silence, laisse de tes cheveux dans les ronces épaisses, jette un regard aux mousses, aux minuscules coquilles d’escargots blancs, empoigne les bruyères dans leur arborescence et teste leur solidité, elles blessent parfois, caresse les plantes grasses surgies de la faille du rocher, reconnais l’élégance des aristoloches, coupe-toi au schiste tranchant, réjouis-toi d’un mica sur ta route. Continue reading →

Parcelles habitées, vases communicants, mars 2016

Voici le texte que j’ai écrit dans le cadre des Vases Communicants de mars. Échange heureux avec Anne-Sophie Bruttmann.

parcelles habitées

parcellesHabitées_photoanneSophieBruttmann

Parking numéro 10. Voiture couleur gris métallisé. Un homme penché à l’intérieur examine le dessous des sièges avec une lampe de poche. Il cherche un mégot, cheveu, bout de papier avec numéro de téléphone, objet égaré. Un début de preuve d’infidélité. Il doit être en colère pour s’acharner comme ça. Ou malade. Dans les deux cas il est malheureux. Et j’ai peur de ce qu’il va lui faire, à elle. Je souhaite soudain que les piles de la lampe se vident pour qu’il arrête.
Emplacement 12 (j’ai décidé de numéroter les places en nombres pairs pour m’y retrouver). Grosse tâche d’huile. Quelqu’un a eu des ennuis récemment.
Emplacement 18. Véhicule à carrosserie noire d’une marque peu répandue (je n’y connais rien en voiture). Deux types s’embrassent. Se fouillent sous les habits jusque dans les plis de peau et même à l’intérieur du corps. L’un pèse sur l’autre, ils s’agitent. Je passe au large. Quand ils auront fini, ils se démêleront, se quitteront. À vrai dire, ça m’est un peu égal.
Places 20 et 22. Réservées pour les handicapés.
La 32, plus loin à longer la berge. Break foncé avec banquette arrière repliée et forme allongée côté coffre. Je crois d’abord à un cadavre. Et puis je vois que ça respire. Quelqu’un là, oui. Une femme. Elle vit dans sa voiture depuis qu’elle a perdu enfants et appartement. Elle se débrouille comme elle peut. Au jour le jour. Elle a empilé ses deux valises pour pouvoir allonger les jambes et elle a étendu sa serviette de toilette par-dessus pour la faire sécher. La nuit, elle se recouvre d’une toile cirée de la même couleur que la banquette pour se cacher — ne pas se faire violer. Il y a l’eau du fleuve pas loin. Elle se lave avec avant d’aller au travail.
Plus loin encore, sous le pont de la voie ferrée. Encoignure de la taille d’un carton replié de machine à laver. Un sans-logis l’a investie. Il a planté un panneau Halte là pour signifier son campement et il lance des canettes vides à qui veut s’approcher. L’agressivité le protège.

Je continue à marcher. Plus loin. Plus loin
Le gris devient noir. La nuit étend ses bras sur ces mille territoires minuscules. Habités. Hantés.
Broie la ville et ses âmes perdues.

Photographie : ©Anne Sophie Bruttmann, février 2016

Le couteau

Dans le cadre des Vases Communicants du mois de février, j’ai éprouvé beaucoup de joie à partager avec Philippe Castelneau, écrivain, libraire, ami en littérature. Nous avons échangé des photographies personnelles et nous avons écrit chacun sur la photo de l’autre.

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Il lui manquait un peu de lumière dans la tête, c’est vrai. Aussi un doigt qui était passé dans la scieuse. Ses mouvements étaient brusques, mal maîtrisés. Parfois il tendait ses bras au ciel comme ça et il souriait. Les gens disaient qu’il était né avec de l’avance, qu’il n’avait pas grandi comme les autres. Garçon puis petit homme. Un mètre cinquante, pas plus. Sa mère n’était pas assez solide pour cette vie, il ne lui était resté que son père qui l’avait toujours laissé faire comme il voulait — à quoi bon l’embêter ? Il l’appelait le petiot.
Sa seule possession au petiot : un couteau — pas question de le lui enlever. Il s’en servait pour manger. Coupait des lamelles d’oignon et des bouts de pain. Quand il avait fini, il essuyait la lame sur sa cuisse et il sculptait des figurines – olivier, chêne, parfois bois de vigne. Des formes humaines toujours. Pour ça il était adroit, il avait de la minutie. Il parlait dans une langue trop ancienne pour être déchiffrée sinon par les gens du cru et par son père qui un jour était tombé dans la vigne. Il avait rampé sous les pampres pour aller s’effondrer au pied de l’arbre, le plus beau de la combe. Mort. Continue reading →