carnet d’installation | 1er décembre 2023

On m’avait promis un bel automne fort en couleurs et il est arrivé, flamboyant ravageur. Pendant plusieurs semaines le paysage a pris feu en dépit des pluies fréquentes. En sous-bois et dans les fossés, le roux inédit des fougères promis à se décomposer tel un socle moelleux substitué à la terre. Ces derniers jours, des constellations d’oies cendrées ont traversé le ciel en direction du sud-ouest. Un ami attentif à la nature m’a raconté qu’elles allaient retrouver leurs roselières d’Espagne. J’ai essayé de dénombrer les oiseaux mais leurs cris mêlés m’impressionnaient trop et me détournaient de mon projet. Je les ai laissées à leur vol puissant, à leur vaste nuage en voyage. Les belles ruminantes, elles, ne s’en souciaient guère, installées dans les prés gras comme des reines, leurs robes limousines assorties au camaïeu des feuillages. Et puis le froid est arrivé. Les arbres ont commencé à se dépouiller. Dans la lumière d’un soleil furtif, leurs écorces se distinguent parfois en noir et blanc contrastant vivement avec les taillis encore colorés d’ambre. Bientôt la fin des feuilles et le début de la nudité.

Les bêtes sont rentrées à l’étable et les jardins n’ont plus rien à donner. J’ai cueilli les tomates vertes avant les premières gelées pour les mettre en confiture avec de fines lamelles de citron. Aussi quelques maigres poivrons un peu tachés et les toutes dernières courges abandonnées sur le champ. Les parcelles repartent à l’abandon, il faudra tout recommencer. Tout en pensant aux forces qui me faudra convoquer pour cela, je remercie mon plant de Salvia elegans d’exprimer encore tant de fleurs en ces marges glacées. Tout peut se manger chez elle, feuilles longues et pétales pourprés.

J’assiste bouche bée au spectacle de la mise en dormance, tente de l’écrire avec la nuit qui s’annonce. Déjà les cieux s’immobilisent. Déjà la brume s’insinue au cœur des petites forêts, affûtant le silence, préservant le mystère de ce monde que je connais à peine.

Photographies ©Françoise Renaud, au proche de chez moi, novembre 2023

15 commentaires

  1. un chouette message d’Isabelle Ch. que je me permets de partager ici…

    « Parcouru ce jour ton Carnet d’installation, je pensais juste commencer et j’ai tout lu entrainée par tes mots. Ils sont un antidote en ce mois de décembre quand la pluie et le gris me mettent l’araignée les pattes à l’envers, ils me donnent envie de chausser les bottes pour monter dans le potager endormi, profiter encore des plumeaux tout rouillés de l’amarante dont les graines l’année prochaine gagneront encore du terrain, du pourpre partout, mais que je laisserais, je les trouve si beaux comme les coques ébouriffées des nigelles fanées mes préférées qui n’attendent que le printemps. Je retiens cette belle phrase : « en écrivant je place les choses dans le tableau à leur place, j’ajuste et m’oblige à préciser leur présent pour fixer les images quelque part dans mon avenir, pour ne pas oublier ».  »
    Isabelle

  2. Gwenn d’An Drinded

    Magnifique promenade en terre inconnue, merci pour ce partage, qui relance le désir de dire à mon tour les émerveillements de par chez moi…
    Bon retour à l’intérieur, prends soin de toi à présent que le dehors n’a plus besoin de tes attentions…

    • ton passage-surprise par cette page, l’une des dernières de mon carnet d’installation… peut-être encore un texte avant de le clore…
      oui, à présent se tourner vers l’intérieur de soi….
      merci Gwenn

  3. Jacqueline Vincent

    Un tableau aux couleurs de l’automne finissant qui donne envie de sentir les bottes s’enfoncer dans le tapis de feuilles qui bruissent sous les pas.
    C’est cette musique, qui est venue chuchoter à mon oreille, la beauté d’un monde qui va s’endormir avant de renaître…

    • Le sentiment fort que l’hiver est étroitement lié à la saison qui précède, à ce flamboiement qui entraîne la chute des feuilles et dénude le paysage. L’un ne va pas sans l’autre…
      On va attendre la renaissance en prenant le temps d’écrire et de rêver…

  4. Entrons en hibernation au coin du feu, à défaut de pouvoir migrer avec les oies cendrées. Mais surtout n’oublions pas de nous réveiller et de sortir début mars pour guetter leur retour.

    • oui, le passage des gros oiseaux m’a touchée, c’était beau, inattendu, cette agitation qui prenait toute une part de ciel
      et tu as raison, oui nous allons attendre leur retour… nous en reparlerons !

  5. Jolis tableaux naturels pour une naturaliste passionnée. Et passionnante ! L’année qui tombe avec le bruit des fracas humains…

  6. ghislaine audoire

    toujours du plaisir à lire tes lignes et m’imprégner de tes clichés qui les accompagnent…
    tu as le vrai regard du photographe qui sait s’ajuster le temps de quelques secondes pour capter la pose de la nature s’offrant au fil des saisons… et de nous transmettre avant tout, au delà de l’objectif, les mots qui expriment si bien ta perception de tant de beautés de nature offertes sans retenue…
    merci de nous aider ainsi à ne pas perdre de vue… ces environnements généreux que l’on ne sait pas toujours bien regarder !
    merci de ces cadeaux – Gys

    • plaisir de te retrouver ici pour une fois, oui tellement de plaisir au partage…
      changer imperceptiblement le regard de l’autre pour qu’il happe encore davantage ce monde étrange qui nous entoure…

  7. Il fut un temps où j’habitais « hors nature » ou presque et où je souhaitais hiverner pour revoir le printemps. Les choses ont changé, tes mots éclairent mes envies de regarder, admirer, profiter de cette saison, si belle, ces couleurs uniques, les vols d’oiseaux migrateurs. Tout ce qui rendra le printemps encore plus éclatant.

    • un printemps viendra, on ne sait pas lequel… j’ai confiance car le seul et unique que j’ai vécu ici m’a éblouie et m’a révélé toutes les essences d’un jardin inconnu
      ne cessons jamais de regarder et d’admirer, même en hiver… tant à voir, tu le sais…

  8. Que de beautés ! Ces fougères ont un charme fou…
    le rideau de la féerie va tomber en même temps que les dernières feuilles . Et déjà se profile l’espoir du renouveau. Repos pour tout le monde!! Repli sur soi et sur le chez-soi.
    Bisous ma belle!

  9. oui ma douce j’aime les saisons intermédiaires, l’automne avec ses magnifiques couleurs qui dit que tout va s’endormir sous la neige de l’hiver et le printemps ébouriffant qui annonce l’été et ses chaleurs solaires.
    Calfeutrons-nous en l’attendant devant les feux de bois et la magie de Noël à venir en attendant de se réchauffer au soleil des beaux jours.
    Merci pour toutes ces belles photos

  10. Plaisir irruptif dans le bon sens de l’effet de découverte, à lire tes propos de carnets en phase avec la saison déclinée autour de toi. L’automne est un fauve doux qui se débarrasse de ses verts , il est roux comme toi, c’est un frangin écureuil qui parle le langage des arbres et des fougères, tu parles comme lui dans son sillage furtif, les oiseaux migrateurs ont plus d’ampleur dans le voyage mais ils disent aurevoir en escouades. Tu peux compter sur eux, eux savent que tu es unique , le nez en l’air ( c’est pour cela que tu t’enrhumes dans ce carnet. Non ?

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.