j’ai commencé un livre et chaque phrase est si forte que je suis dans l’incapacité d’avancer ma lecture… je reste là et je relis, impossible de tourner la page, tout se passe comme si ces quelques mots — peu de mots — avaient le pouvoir de révéler des choses qui m’avaient échappé jusque là et résonnaient sans fin… mon corps s’agite, mes doigts frottent le feuillet comme pour l’interroger… le genre de livre écrit avec ce qu’il faut de grâce et de simplicité pour toucher les zones secrètes écartées de notre conscience (comme j’aimerais moi aussi écrire des livres qui ressemblent à celui-là)

ils percutent notre peau comme celle d’un tambour

ils sont musique et danse et joie

ils nous emportent dans l’air — et même très haut –, sans doute parce que tout tient ensemble dans un parfait équilibre : l’événement (même minime), le brut et le sublime

car pas vraiment de place pour le récit (tout a déjà été raconté, peu importe, c’est la façon, le style, l’impact),
il y a seulement la puissance et la fièvre des mots qui font avancer le livre par petits sauts pareils à ceux des petits rongeurs qui grimpent aux arbres, car le livre ne sait pas au commencement où il va, dans quels recoins il va nous emporter, le livre commence à tâtons, se construit avec le temps même au cours duquel il s’écrit, avec la matière qu’il remue autour ou dedans, il va et vient et revient, s’empare des riens, court le long des fossés et des nefs d’église où l’on s’est réfugié parce qu’il faisait froid ou au contraire parce qu’on rêvait d’un espace frais et paisible, attrape les fragments d’une lettre qui vient d’arriver et qui est posée sur la table, des miettes de pain, des rigoles où l’eau coule pour remplir les abreuvoirs, des bruits qui proviennent de la cuisine où se prépare un repas, de la rue calme, des rumeurs du vent, du passage d’un promeneur

le livre n’a pas de fin, il coule entre les doigts, fluide et souple, il parle des bonheurs et des blessures, des épuisements et des marches à travers la montagne, des bêtes qu’on y a croisées, des grottes à demi explorées, du précieux ravivé en nous par la beauté d’un matin ou d’un soir, du froid cruel ressenti à marcher dans une ville russe ou de la douceur éprouvée à subir une averse de neige, le livre s’écrit tout en allant vers son destin, il épuise un par un les petits riens que personne ne voit, et le chat vient s’installer sur les papiers, le silence, la nuit qui remplit la fenêtre, tout est là dans le réel : la vie et l’enfance en arrière pour chacun de nous, l’oubli de soi pour l’autre — ce qu’on appelle l’amour –, l’élan des papillons autour de la fleur et l’immobilité pour une nuit d’écriture, mots tout juste posés sur le monde… surtout continuer, ne pas se décourager, avancer avec joie, écrire, écrire, vous dire tout cela

Photographie @Charlotte Renaud, 2017

8 commentaires

  1. Ta prose est poésie!!??!! Je pense que le texte précédent est de toi. Me tronpes-je ?

    • Ce blog ne publie que mes textes… c’est mon terrain fragile…
      Si tu parles du texte d’atelier autour de Virginia Woolf, alors oui bien sûr qu’il est de moi (épisode 7 de l’atelier d’hiver conduit par François Bon autour de la nouvelle… un travail complexe et très prenant)… encore quelques épisodes à venir…

  2. j’ai cru m’enfermer dans mon livre, tellement beau qu’on avance lentement et relis les phrases, les paragraphes, on n’avance qu’à petits pas.
    Tu traduis nos pensées avec tellement de beauté et de détails qu’on se sent « démasqué »
    par un magicien qui sonde notre esprit avec des mots toujours plus beaux, plus éloquents , les tiens!

  3. Nous éprouvons la justesse de la consigne d’écriture de François Bon, et le grand plaisir que tu atteins en y puisant ce texte.

  4. Ce texte est hors atelier François Bon… comme il m’est venu hier sous les doigts, je l’ai publié alors que la séquence d’hiver Recherches sur la nouvelle n’est pas achevée ! et il n’y a pas de consigne précisée…
    mais ça n’est pas grave…
    très vite un nouvel épisode de l’atelier en cours

  5. PATRICIA JOLAIN

    … comme une résonance télépathique !!! Le pouvoir des mots qui révèlent les maux …
    un parcours initiatique perturbant, révélateur et salvateur. J’adore ton écriture !!!

  6. jacqueline Vincent

    Quel est ce livre que tes mots me donnent une envie furieuse, viscérale de découvrir. Ambassadrice de la beauté et toujours à l’affut des trésors cachés dans les pages d’un livre. Moi, je garde ainsi les tiens comme des bonheurs secrets …. Jacqueline.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.