menthe à l’eau

Texte issu d'atelier d'écriture Photofictions (Tiers Livre septembre 2022) et de mon dernier voyage dans mon pays de Bretagne où toujours viennent se mêler des images du passé et du présent.

en fait pas grand-chose dans l’image sinon la couleur de la table, le rouge Badoit, la menthe à l’eau | sinon la joie que tu ressentais à ce moment-là | presque rien dans l’image sinon la joie chez toi en toi, sinon l’histoire derrière le sourire le même sourire que tu as depuis toujours | toi et moi nées la même année habitant le même chemin du même bourg tout le temps de l’enfance | la soif qui t’a prise soudain en remontant du bord de la mer où nous venions d’enfouir nos pieds dans le sable si doux et dans la vague de la marée montante, l’envie de t’installer au petit bar à côté de l’ancien bureau de poste juste avant la boulangerie, précisément à cette table au milieu du trottoir | alors on s’y est installées et c’est comme ça que tu t’es retrouvée en face de moi | ton bavardage incessant | les bulles dans les verres, les traînées sur le jaune après le passage rapide de l’éponge, les ronds dessinés sur la table à cause de la condensation des bouteilles fraîches | tu parles tu parles ta voix si reconnaissable tout comme ton sourire il y a tant de choses à se raconter, par exemple ton départ le lendemain pour le Morbihan, la venue récente de ta sœur installée à Berlin, l’autre frère pour qui tu n’existes plus | cette joie en toi envers et contre tout, tu es tellement contente qu’on ait pu se voir, tu évoques la beauté des choses de la côte et la puissance des vagues tout en sirotant ta menthe à l’eau | dans ce sourire, le même que tu as depuis toujours, des traces de regrets, des sillons indéfinis, de la douleur liée aux nombreuses disparitions incompréhensions séparations, rien n’est oublié, tout compte s’empile cogne hante le sourire et creuse le visage ainsi qu’une eau de ruissellement en haut de la plage

FR – 16 septembre 22
Pas du tout prévu de sortir mon petit Lumix en ces instants-là. Je l’avais juste emporté dans ma poche pour prendre des images de mer, de rochers noirs, de flaques à marée basse, d’algues et de sable orangé, de bateaux, d’oiseaux mangeurs d’huîtres, puisqu'on avait prévu de descendre sur la plage de Montbeau après le déjeuner. Il existe de nombreuses photographies en noir et blanc prises en cet endroit dans les albums de famille tenus par ma mère. Elles datent des années 50 et 60, photos d'elle avec ma sœur avant ma naissance, de mon père aussi en maillot, de baignades avec mes cousins, de châteaux de sable. Je les regarde souvent. Je pensais encore à tout ça quand on a fait halte au café. Elle me parlait du lointain et du présent. Soudain j’ai vu les trois couleurs et j'ai eu le sentiment que tout était en place. Ne rien changer, ajuster le cadrage, cliquer deux fois de suite sur le bouton rien que dans l'idée des couleurs.

balade dans l’hiver

Se moque pas mal du jour ou de l’année, le pays brut, juste proposé au regard de celui qui va, suit le sentier ou la piste sans laisser de trace — ou presque pas de traces. La promenade était belle, grand soleil traversant l’espace bleu. Peu d’animaux. On croit que tout sommeille, en fait tout continue à vivre sous les brindilles, les écorces. Et on sent l’étonnante musique de la terre qui parle à nos cellules, efface la peur. On a envie d’y aller. On y va.

 

 

comment s’écrit le jardin

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Fleurs, légumes. Je les mêle au jardin. Duo élégant et parfait.
J’aime tellement les cultiver ensemble comme si l’avenir était inscrit entre leurs sillons conjugués, comme s’ils amplifiaient notre utilité et notre fierté de jardinier. Je les entoure de soin. Ils poussent là pas loin de moi, ils semblent à leur place. Les récolter pour les manger me coûte.

Fleurs, légumes. Rien qu’un graine au commencement, un petit cœur de matière qui ne demande qu’à se développer. Rhizome, tubercule, fragment de tige apte à raciner. Il suffit de peu : eau, terre, soleil en suffisance. Chaque fois je m’étonne de réussir. Une tige pointe. Puis plus vite. L’existence s’exprime dans la diversité des organes en croissance, dans la fougue des feuillages s’épaississant en liberté — que parfois je dois guider sous peine de voir mon territoire envahi. Aussi dans ces formes douces et colorées, corolles destinées à orner les allées ou se muer en légumes.

J’envie le temps dont disposent les végétaux. J’admire leur irréductibilité. Fleurs, légumes, combinaisons subtiles. Dans le jardin ou dans l’assiette. Le gracieux et l’intime de la terre.

Photographies ©Françoise Renaud, juillet 2016

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le lac

Ce te texte a été publié le 1er juillet 2016 sur le blog de Louise Imagine dans le cadre des Vases Communicants.

photographie, Louise Imagine

Il avait eu envie de faire la traversée. Le temps était limpide, le lac posé au milieu du paysage, contours nets et précis. Même au fond là-bas — on s’en rend compte sur la photo. Il distinguait chaque arbre, chaque bosquet, chaque petite plage de galets clairs. Aussi les silhouettes humaines qui déambulaient et les voiliers tirés au sec sur la grève. Plein de confiance, il était entré dans l’eau et il était parti. Lentement. Posant sa nage, regardant à droite à gauche, sans se soucier des algues en lanières enracinées au fond de l’eau qui venaient caresser son ventre. Tout allait bien. Il avançait au rythme des bras qui refoulaient l’eau vers l’arrière et des jambes qui fouettaient sous la surface. Au bout d’un moment il s’était senti en forme et il avait décidé de crawler. Une nage qui exige de s’immerger, de perdre ses repères. Du coup il ne pouvait plus surveiller le décor comme avant, seulement dans les espaces brefs de la respiration. Et l’air de rien il avait commencé à dévier de sa trajectoire, juste un peu au début — certainement à cause du courant qu’il avait négligé de considérer. Mais plus il s’éloignait du rivage, plus le courant devenait sensible et plus il s’écartait. Étant donné son manque d’entraînement, il était rapidement revenu à la brasse. Alors il avait constaté combien il s’était écarté de sa ligne de départ. Pas grave. Il avait poursuivi, certain d’accomplir son projet.

Forcément il avait fini par s’essouffler. Une fatigue subite lui était venue dans les jambes et l’eau lui avait paru plus sombre, peuplée de créatures dangereuses. Il avait senti l’effroi le gagner pareil à un frisson glacé et sa nage s’était déréglée, mouvements désordonnés au point qu’il ne progressait plus ni dans un sens ni dans l’autre. Il avait commencé à s’affoler, son cœur s’était emballé, il avait levé les bras en l’air pour faire signe, espérant qu’on le verrait depuis la base nautique, il avait même tenté de crier, mais le vent était en train de forcir — comme tous les jours à la cette heure-là — et les moniteurs rentraient les voiliers, s’occupaient des gréements, ils ne regardaient pas le paysage.

Des petites langues de plus en plus féroces se levaient à la surface du lac et cinglaient sa figure. Il avait résisté mais l’eau rentrait dans sa bouche, dans sa gorge. Soudain il avait eu l’impression d’étouffer, tout était allé très vite, ses mains avaient battu la surface de l’eau comme si quelque chose de sauvage l’attirait vers le fond. Irrésistiblement. Les lanières rugueuses avaient entouré ses jambes pour le faire céder. Puis plus rien. Le silence du vent frappant l’ombre.

La petite l’attendait sur la rive. Sagement. Corps auréolé d’une fine poussière.

Photographies ©Louise Imagine

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Les Vases communicants se déroulent le premier vendredi du mois depuis juillet 2009, à l’initiative de François Bon et Jérôme Denis. Marie-Noëlle Bertrand coordonne les publications et inscrit les futurs échanges sur le blog associé le rendez-vous des vases. Il existe aussi une page Facebook. Aux blogueurs de se définir un thème, d’associer des images ou du son à leur texte, l’idée étant d’aller écrire sur le blog de l’autre.

Vases communicants de juillet, avec Louise Imagine

Premier vendredi de juillet. Une journée chaude. Et c’est Louise Imagine que j’accueille avec joie.

Louise codirige actuellement la revue graphique et littéraire La Piscine. Elle est également directrice de la collection photographique Horizons chez Publie.net.
Je l’ai rencontrée récemment, en chair et en os. À présent je découvre ses ouvrages. Certains titres m’interpellent fortement. Inlands, BlancsÉtranges passerelles jetées soudain entre nous comme des évidences. Posée là, une question qui est aussi la mienne : La poésie, la peinture : que disent-­elles, en somme ?
Et puis ses photographies. Travaux souvent exposés (Transphotographiques, rencontres d’Arles) et édités (Blancs, Instant T, La Croisée des Marelles), photographies de plateau, portraits, reportages… tout l’intéresse. L’enfance, les rivages, l’intime… décidément au cœur de notre rencontre.

Nous voici donc réunies à la croisée de l’image et de la poésie, entre énigme et lumière. Nous avons écrit sur un duo de ses photos. Et pour commencer voici son texte.

LE LAC

image1_LouiseImagine

L’été à peine installé, la pluie l’avait accueilli.
Aucun nuage n’en avait pourtant annoncé la venue.

La journée s’était déroulée chaudement. Une de ces journées claires où l’on prévoit par hasard de se retrouver entre amis au bord du lac.

Nous avions préparé le pique-nique et les bouteilles d’eau, entassé à la va-vite maillots et serviettes dans un grand sac, pris les masques de plongée des petites, la crème solaire en spray — plus facile à étaler. Nous avions marché quelques temps côte à côte, pressées d’arriver, et malgré nos pieds soulevant la poussière, nos têtes déjà naviguaient dans l’eau douce, apaisante, barbotaient aux côtés des algues noires et poissons argentés.
Après avoir quitté la route, nous nous étions engagés sur le chemin caillouteux Continue reading →

passage

Ce texte a été publié sur le blog de Sylvie Pollastri pour les Vases communicants, juin 2016.

phto_POLLASTRI

Il était sorti prendre l’air. Tard le soir. Il avait entendu un hurlement de chien et il avait suivi le chemin qui s’annonçait devant lui en se demandant où diable le chien se terrait. S’il était en train de se battre ou s’il souffrait.

Le chemin avait l’allure d’une berge de rivière, longeait des bâtiments ou des jardins. Allez savoir ce qui se niche derrière ce type de murailles, des propriétés où la vie est bien organisée, où les gens cherchent à être tranquilles au bord de la vieillesse en dépit de familles déglinguées, essayant d’oublier les histoires sans queue ni tête qui constituent leur héritage au même titre que leurs biens, n’étant jamais dupes des visites qu’ils reçoivent. Murailles par endroits crépies au sable ou pierres empilés visibles, parfaitement imbriquées pour durer. Ruelles au sol pavé rongé par d’innombrables passages, lents ou précipités. Ces gens-là essayaient d’oublier ce qu’ils avaient traversé, en vérité ils étaient terrifiés. Ils hurlaient parfois un peu comme des chiens souffrant de maladie ou de solitude. Et lui entendait tout cela, tard dans la nuit, à travers le hurlement de cette bête qu’il traquait à présent pour en avoir le cœur net.

Il avait bifurqué à la faveur d’une placette, grimpé une série d’escaliers trapus. Il essayait de se guider au bruit qui résonnait contre les parois de pierre. Désormais tout proche. Le chien, là, couché dans un recoin avec une plaie au ventre. Le malheureux.

Il s’était approché de lui parlant, lui avait caressé la tête — geste qui l’avait apaisé. Puis il l’avait soulevé entre ses bras après l’avoir protégé de sa veste dans l’intention de le conduire chez un soigneur — pas sûr qu’il l’aurait fait pour un mendiant, un indigent. Il se souvenait avoir repéré une clinique pour animaux dans le quartier là-bas, mais elle était fermée à cette heure. Il avait attendu devant la porte, pleurant avec le chien, toutes ces heures l’accompagnant. Et puis ce soubresaut. Comme un nuage de sauterelles obscurcissant le ciel.

D’après une photographie de Sylvie Pollastri