nouveau départ pour quelques jours loin de la maison, parcours à travers paysages enneigés, j’ai oublié mon carnet de notes, je retiens les choses dans ma tête, je sors mes yeux plus fort, le monde est silencieux autour de moi et la voiture file à travers le paysage | en arrière-plan des cris et des images des frontières de l’Est où l’on se bat pour gagner des territoires, faire peur et exterminer l’autre | j’arrive dans la grande ville en chantier | beaucoup de bruit et de poussière, déjà trop de chaleur en mars, on ne remarque pas les amandiers en fleurs dans les jardins tant l’ambiance est survoltée | je retrouve des visages connus et dis mon affection, l’agitation agresse et la poussière pique la peau, des yeux noirs errent dans la foule sans trouver où se poser | je pense à mon ami le musicien noir de Chicago, je pense à Bois d’azobé, mon garçon au corps sec et noir qui n’avait plus de pays et qui avait perdu sa mère Edele, les personnages de mes récits m’accompagnent fidèlement et me gardent en surface — ils sont bien réels, ils me gardent en vie | on dirait qu’ils me protègent de la sécheresse et de la désespérance

je suis sur le retour après avoir peu dormi, ne ressens aucune nostalgie | le gros de la neige a fondu, il en reste des traces dans les vallons opposés au soleil et les arbres ont secoué leurs manteaux | à traverser le Larzac et les terres d’Aubrac, l’autoroute est déserte, longues courbes à travers le paysage jusqu’à rejoindre les contreforts du massif Central | apaisée soudain, fatigue disparue, je me sens comme partie pour un grand voyage, une errance sans début ni fin, je fixe fort les éléments qui me frappent en mémoire, m’efforce d’affûter mes sens pour saisir l’intensité du présent comme à rebrousse-poil | des heures longues | surtout demeurer sensible à la lumière, au ronronnement du moteur, au vent qui entre dans l’habitacle et dresse les duvets de mon bras | le printemps se manifeste aussi par ici, juste des indices dans un décor encore morne et sec | à l’arrivée devant la maison, l’explosion des fleurs de magnolia au fond du potager

Photographie françoise renaud, mars 2024

13 commentaires

  1. SICARD Martine St Laurent Le Minier

    Coucou ma chère Françoise encore une fois de plus magnifique texte où tu m’emmènes avec toi, je suis toujours très contente de te lire, je t’embrasse très fort
    Martine

  2. la route, sereine, les yeux grands ouverts et le but à atteindre, arriver chez soi.
    Le tulipier qui tend ses branches, ses bras de bienvenue et voilà que tu retrouves ton havre.
    Encore une occasion de formuler les mots qui composent un beau texte.

  3. Jacqueline Vincent

    Merci pour le voyage moi, qui ne bouge pas. Moi qui suis celle qui reste, celle qui lit et se sert des mots pour voir le monde. Qu’est ce que je ferais si tu ne m’emmenais pas avec toi dans tes périples et tes textes où les personnages m’entraînent dans d’autres vies, vers d’autres continents d’où je reviens plus forte et plus vivante pour au soir, pousser ma porte sur plein d’horizons qui alimentent mes rêves ?…

  4. brigitte celerier

    lu bec ouvert avec petit souffle attentif et ravi

  5. J’aime ce texte court en deux versants, l’aller et le retour se répondent. « Je retiens les choses dans ma tête, je sors mes yeux plus fort » très belle formule et aussi description de ta façon toute personnelle d’appréhender l’écriture, comme si tu nous en donnais la recette. Merci, chère Françoise.

    • de l’influence de la forme sur le contenu…
      décider juste avant d’écrire qu’il y aura deux versants, équilibrer les deux
      à la fin relire pour voir si ça marche…
      plaisir de te voir par ici

  6. tellement de plaisir à recevoir vos retours et à sentir vos présences
    fidélité qui touche
    merci les amies…

  7. Pascal Nyiri

    « Les arbres ont secoué leurs manteaux » !
    Ton carnet oublié.
    La route, partir revenir, ce qui a changé en quelques heures.
    C’est toujours très agréable de suivre tes écritures Françoise.

  8. Brando Alibert jocelyne

    Ma chère Françoise, très heureuse de te lire… Comme d’habitude… Ce coup-là, tu m’as emmenée faire l’aller-retour avec toi. Merci pour ce court voyage. Plein de gros bisous ma Françoise

  9. Tu nous emmènes dans tous tes voyages qu’ils soient littéraires ou quand tu marches ou conduis ta voiture.
    On sent le soleil, le vent, les bruits et les paysages et villes que tu traverses avec tant de sensibilité, de joie et parfois de tristesse à cause de ce que tu perçois. Tu me touches toujours avec autant de force à chaque fois que je te lis.
    Avec toute mon affection pour toi qui ne se démentira jamais.

    • le voyage se fait aussi à travers les commentaires, d’un coin à l’autre du pays, et très heureuse de te retrouver par ce biais
      recueillir les impressions, les rassembler sur la Toile
      oui, ça compte tellement aussi…

  10. juliette derimay

    Un grand merci pour cette petite balade qui nous emmène si loin dans le comment retenir, quoi retenir, comment ne pas tout retenir pour pouvoir tenir… Merci

    • J’aime tellement ces petits échanges qui forgent quelque chose de vrai entre les personnes
      On ne s’est jamais rencontrées pour de vrai, pourtant tellement d’intensité là, toujours… quelques mots et on entre dans la connaissance de l’autre, dans la connivence…

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.