coin du feu

Hier matin. Ouvrant les yeux.
On ne voit pas le jour comme d’habitude qui filtre entre les rideaux. On sent quelque chose de différent. Le réveil n’indique plus l’heure. Grand silence en dehors de la rumeur de rivière.

Il y a que la neige est tombée en abondance depuis le milieu de la nuit.  Dix centimètres au moins. Comme dans les histoires qu’on raconte aux enfants. Et tout est changé. Plus rien ne marche dans la maison, une ligne électrique a dû être endommagée par la chute d’une branche ou d’un arbre entier. Plus rien ne marche, il faut s’organiser. Dégager l’escalier pour ne pas tomber, éviter de se casser une jambe, atteindre le bûcher. Revenir avec tout ce qu’il faut pour lancer un feu. Au plus vite. Le nourrir. Le feu est une nécessité au cœur de la blancheur. Le feu est à la fois lumière et chaleur. Le grand poêle émaillé couleur majolique devient un petit coin très actif, centre de la maison et du quotidien capable de répondre à nos besoins, si évidents ce matin-là. Continue reading →

Ce qui nous fait tenir

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Ce qui se cache sous la couche de cendre,
ce qui grince grogne,
ce qui se terre et se tait de l’être car ne peut être dit,
tout ce que nous savons de l’air bleu des rêves, de la fine découpure des feuilles d’érable, de la solitude éprouvée au cours d’une promenade au bord du lac gelé alors qu’un soleil maigre courtisait la canopée des forêts, un homme marchait sur l’autre bord, laissant des traces profondes — il croyait lui aussi être seul —, il faisait tellement beau cet après-midi-là après une semaine de tempête neigeuse que toutes les espèces de créatures étaient sorties des tanières pour jouir de la lumière rapidement basculée en arrière des arbres,

tout ce qui nous fait tenir debout au milieu du chemin, tête nue, front au vent,

tout ce que nous aimons, nourritures suaves, habits de velours et livres rangés dans nos bagages dans nos sillages,

un jour constater l’état des choses, la prégnance des secrets enfermés dans des armoires métalliques, la noirceur de la terre sous les ongles, les émotions qui nous exhortent à ne pas perdre une miette de ces spectacles discrets que bien peu observent, un jour forcément constater la blancheur de la neige — comme on prend conscience d’un sommet inaccessible —, cristalline, irréelle, manteau lustré tassé sédimenté en même temps que des débris de poussière, parcelles de météorites, brindilles, feuillages secs et graines miniatures éjectées du fruit pour donner à renaître, c’est comme ça que l’espace se régénère, comme ça qu’on retrouve le goût des choses,
comme ça que se cicatrisent les douleurs de la chair par temps clair,
au retour partager une tasse de thé, un gâteau, tout en parlant de la beauté du lac, de l’ordonnance du tas de bois appuyé contre la maison.

Texte inédit ©Françoise Renaud
S’agace, acrylique sur toile de Raphaëlle Boutié, 2013, 114 x 146