carnet d’installation | 7 mai 2023
Il a plu légèrement cette nuit et le ciel reste chargé. La terre à nu dévoile sa nature brune et riche, chargée des secrétions du temps et de l’histoire. Je suis allée marcher au bord de la parcelle préparée dans le champ de l’autre côté du potager. Pommes de terre et oignons s’y montrent déjà et je me demande s’il est possible en arpentant ces sillons d’hériter du savoir de ceux qui ont travaillé là sur ces terres depuis la naissance de cette ferme toute construite de granite — bien plus d’un siècle. Sûr qu’ils s’étaient ruiné les mains brisé les reins, connaisseurs du ciel et des orages, acharnés à suivre les cycles de la lune et à épier les jours propices à planter. Bien des épis et arpents de luzerne avaient poussé fleuri, bien des bêtes en troupeaux avaient pâturé longé les clôtures, bien des agneaux étaient nés et bien des renards les avaient convoités sans compter les autours des palombes toujours à l’affût qui avaient enlevé bien des poules de ces mêmes bruns rougeoyants qu’on retrouve dans les arbres d’automne, tout ce qui a bel et bien existé et se ressent encore telle substance odorante accumulée à l’intérieur de la terre, en voie cependant de s’épuiser. Car on sent bien que quelque chose a changé. Le lien immédiat au vivant est devenu plus fragile, plus ténu, les eaux ne circulent plus de la même façon et le soleil peut se faire décidément cruel. On sent bien que quelque chose a changé, un quelque chose qui ne reviendra pas.
Le gars venu de la Grande Faye avec son tracteur il y a quelques semaines pour labourer la parcelle, avait lancé d’un ton amer alors que nous parlions des sources : Ils ne savent pas ce qu’ils font là-haut, ils ne savent rien d’ici, ils pondent des lois en veux-tu en voilà, en dépit du bon sens…
Nous sommes sans doute des fous à vouloir retenir le suc des temps révolus mais bien inspirés de persister dans la culture d’espèces potagères aux semences non répertoriées par les multinationales. Les chants des multiples oiseaux du monde s’entrecroisent le soir autour de moi au point de me remplir de larmes. Que puis-je sauver de cela sinon ces heures paisibles avant la nuit, ces merveilles de mélodies que je n’identifie pas encore et le goût des feuilles et légumes qui, bientôt récoltés, nourriront le corps maintenu en santé par l’ouvrage au jardin.
Photographie Françoise Renaud©, 7 mai 2023
Que ton texte ravive en moi ce même regret, cette perte irremplaçable d’une terre pleine d’humus et d’insectes où l’eau s’infiltre et nourrit végétaux et animaux pour notre propre survie. Cette « TERRE-MÈRE SACRÉE » que je sens encore vivante dans ton nouveau pays et dont tu peins comme personne les cycles au gré du temps et des saisons… Mais que ton texte me donne aussi l’envie de me battre pour sauver avec toi cette biodiversité que je découvrirai un jour « en passant par chez toi… ».
je lis « ces heures paisibles avant la nuit, ces merveilles de mélodies que je n’identifie pas encore » et une très lointaine Brigitte tressaille en moi
« Que pouvons-nous sauver ? »… C’est beau. Ecrire cette vie-là, sauve quelque chose. J’y crois. Vivre cette vie-là aussi. Sauve aussi pour ceux qui ne la vivent pas, l’imaginent à travers tes mots…