carnet d’installation | 16 mai 2023

J’ai été visité les agneaux à la ferme voisine. Presque chaque nuit de nouvelles naissances, l’ami D. levé à pas d’heure pour assister les mères.

Il m’a vue arriver par la petite route bordée de genêts et il m’a fait signe. Viens, c’est par là — il savait que je voulais les voir — et on a marché ensemble jusqu’à la bergerie par le chemin détrempé. J’entendais le claquement de ses bottes dans les flaques boueuses alors que j’empruntais le bas-côté herbeux.

Les bêtes étaient là dans l’enclos en arrière du hangar, mères et petits déjà hardis à leur entour. Tout de suite je me laisse surprendre par la taille imposante du corps des brebis à peine délivrées de leur fardeau. L’une d’elles semble avoir du mal à se déplacer, encombrée par son pis rouge et gonflé. D. m’assure que tout va bien même si je la sens un peu à la peine. Intrigués par ma présence, quelques agneaux assez peu farouches s’approchent de la barrière et bêlent comme réclamant quelque chose. Ils sont déjà solides sur leurs pattes longues, le museau tendre et rose. Les derniers-nés, ceux de la nuit précédente, sont installés à part dans le parc au fond. On les devine couchés dans la paille. D. m’indique qu’ils se lèvent, qu’ils sont déjà bien éveillés. Les plus fragiles ont droit au biberon toutes les quatre heures, me dit-il. Je me risque à répondre : Pourtant les mères ont du lait. Oui, mais un complément conforte leur croissance. Sûr qu’ils seraient mieux à gambader déjà dans les pâtures abondamment fleuries, mais pour le moment le ciel est trop frais et même venteux. D. connaît la date de naissance de chacun, énonce leur numéro d’identification inscrit sur les petits clips en couleur qu’ils portent à l’oreille. L’an dernier c’était bleu, cette année c’est le rose. Il me désigne deux frères âgés de quelques semaines qui ont de belles oreilles, d’après lui indice de fertilité. Ceux-là, il les gardera pour le troupeau. Je n’ose penser à ce que les autres deviendront. Agneaux « élevés sous la mère », dit-on, donnant une viande parfumée et délicate. Je laisse filer la pensée pour éviter qu’elle ne creuse son sillon trop profond pour toutes sortes de raisons — ça fait partie du roman, ça fait partie de la vie. En attendant je me contente regarder leurs petites têtes d’agneaux, caresser leurs museaux, assister à leur ronde incessante et heureuse autour de leurs mères, bien nourris, au sec et à l’abri des tempêtes.

Photographies ©Françoise Renaud – Les Fougères,12 mai 2023

3 commentaires

  1. Jacqueline Vincent

    Une émotion m’effleure que je retrouve sur la fin de ton texte où la destinée de ces petits agneaux nous donne à réfléchir… Mais la réalité est là comme tu le soulignes si bien… Je voudrais tant immortaliser ces mots et ces photos que je rêve d’un carnet de voyage « Françoise au Pays de …. » dans un format Album illustré et dessiné, ou une BD relatant ton installation… Merci encore pour ce partage : un Voyage au Pays des rêves dans une campagne habitée de vrais paysans et VIVANTE.

  2. Fabienne Savarit

    J’ai aimé emprunter le bas côté herbeux avec toi et rencontrer l’odeur du lait et la chaleur de la paille.

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