On dirait bien que le temps nous marche dessus.

Aujourd’hui la lumière est épaisse à cause de la brume qui rampe sous des masses considérables de nuages                    brume tenace constituée de milliards de gouttelettes en suspension qui aiment s’agglutiner s’effilocher participer à la patine des objets demeurés au jardin (arrosoirs cabossés, pots en terre, rampes et barrières) réveiller les mousses entre les pierres                      brume qui se meut l’air de rien et se répand dans les creux les vallons où personne ne va, s’accroche aux troncs d’arbres dressés et aux rochers des collines et aux tiges mortes des haricots, fabrique des perles à la surface des feuilles de chou                        quelque chose de la vie se suspend                            on pense aux bêtes blessées par les chasseurs même si on n’entend pas leurs cris, on pense aux oiseaux qui nichent tant bien que mal, on pourrait presque oublier le reste du monde en proie au désordre et on est comme soudain relié aux craquements profonds de l’écorce à la surface de laquelle se déplacent nos corps physiques pour aller on ne sait où au gré des heures permises, prémisses de tremblement de terre ou autre catastrophe à laquelle il serait impossible d’échapper                    on pense aux bêtes et à leurs cris et à leurs blessures — on sait qu’elles se cachent et tentent seules de se guérir —, on pourrait oublier toutes les pages de l’histoire qui précèdent celle-ci, page de ce jour de novembre enserré par la brume exsudée du flot abondant des rivières et de l’air, et d’ailleurs on oublie.

La terre craque, s’ébranle. On l’entend la nuit parfois quand on se retourne dans le sommeil.

Et tu penses au soleil. Aux envols d’oiseaux. Aux perles sur les feuilles de chou qui étincellent comme des perles.

 

Photographies : Sud Cévennes, Françoise Renaud, 10 et 30 novembre 2020

8 commentaires

  1. La vache ! C’est super beau !! Dès « Le temps nous marche dessus », j’ai compris que ça allait être top !
    Merci.

  2. La beauté de ce texte est égale à la beauté du lieu de ton écriture. Nos pas sur ce monde… où vont-ils ? Que pensent les oiseaux de nous par temps de brume ? A leurs questions quelle est la réponse des fusils qui tonnent ?
    Amicalement tien Françoise.
    p.

  3. Marie-Claude Morote

    S’ouvrir aux sensations alors que la brume musèle formes, espace, reliefs…
    Les sons perdent en décibels dans l’humidité mais tu es comme un animal, roi de son territoire…
    Les sens aux aguets, capables de sentir au delà, avec générosité mais impuissance…
    Rien ne passe à la trappe.. Une parenthèse du temps, un lumineux piège à mélancolie…
    Merci pour ta fleur de peau..

  4. elianeberthelot

    Trés beau texte, la brume nous enveloppe et nous fige, on sent l’humidité, le silence lourd.. que va t-il arriver ?
    Il faut imaginer, tout cela va se déchirer un jour et nous retrouverons la lumière, le soleil du printemps, les oiseaux, la nature, il suffit d’attendre…
    Eliane

  5. Brumaire, le mois des brumes.
    J’aime beaucoup les perles à la surface des feuilles de choux, on pourrait en faire des colliers.
    Si la brume rend les choses opaques, c’est pour mieux couvrir ce qu’elle nous cache en attendant que la lumière revienne,… et elle revient toujours

  6. Jacqueline Vincent

    Ce matin, une brume épaisse court dans le ciel de Maurienne blesse les montagne et occulte l’horizon. Ton texte, alors, prend toute sa place dans mon imaginaire et je découvre toute la portée poétique d’un paysage blanchâtre et cotonneux où les nuées d’oiseaux donnent vie aux buissons qui semblent tissés dans la grisaille d’une journée grise…La magie s’installe ainsi – de tes mots à mes sensations – et les pensées prennent le relais pour célébrer la beauté.

  7. brume de novembre qui transforme la vision de notre environnement… elle installe partout son voile d’humidité, les mousses vont pouvoir s’en imprégner.
    J’aime beaucoup les perles à la surface des feuilles de chou, c’est tellement cela.
    merci Françoise

  8. je ne trouve pas les mots pour te dire combien les tiens m’emportent et m’emmènent à l’intérieur de ta tête et de ton coeur.
    j’avais pris du retard dans la lecture de tes textes, et là j’ai tout lu d’un coup : pensées, émotions m’emplissent jusqu’au plus profond de mon être. Merci ma toute belle de provoquer tout cela grâce à ton écriture si dense et si forte. Et les photos ne font que renforcer les impressions offertes et données par tes mots.
    Feras-tu un jour un livre sur ta vie cévenole ?

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.