À partir du moment où elle a habité cette ville – une ville qui peu à peu deviendrait la sienne même si elle aurait préféré vivre près d’un rivage, mieux encore sur une île pour profiter d’expériences plus naturelles — elle a épié le ciel, les incendies dans le ciel, les déluges, les poussières, les profusions d’étoiles, les pluies, les pénombres, les soleils couchants, les grandes clartés et les assombrissements subits. Cette ville était très différente de celles qu’elle avait fréquentées et visitées jusque-là (son pays d’avant était constitué de côtes plus ou moins sauvages et de bocage alors que cette nouvelle cité s’était étendue à la faveur de terrains calcaires recouverts de garrigue et avait investi des petites collines et des vallons). Et ce n’était pas seulement la topographie, la nature du sol et des végétaux qui s’y plaisaient qui la rendaient différente, c’était aussi la latitude, le climat, la fluctuation des températures, le régime des vents, la circulation des eaux entre le sol et l’air, la vaporisation, la chaleur, la moiteur. Il faut dire que tout au début, dès son premier automne, il y avait eu des orages qui l’avaient saisie et avaient éveillé sa peur.
L’eau courait partout à hauteur du genou – jamais elle n’avait vécu ça –, les voitures partaient à la dérive et le ciel demeurait terrifiant plusieurs jours d’affilée, délivrant des clameurs noires. Elle avait développé envers lui une sorte d’appréhension qui semblait la guider vers des zones d’inquiétude inépuisables et l’entraînait au repli. Ne pas bouger. Le regarder par la fenêtre, guetter sa voix et ses couleurs. Espérer un changement – prier presque. Comme ça qu’elle avait commencé à observer toutes les choses qui arrivaient dans ce nouvel azur, choses qui continuent à l’étonner par leur âpreté et leur brutalité. En été le contact des toitures à l’espace est aussi net qu’un trait d’encre sur papier. La lumière se réverbère sur le rocher fissuré des collines – près de 2700 heures d’insolation par an, ça plombe. Aussi sur la carcasse d’acier des avions qui coupent très haut, laissent des tranchées. Le ciel a une couleur presque trop nette, trop pure. Dense et minérale. Exacerbée par les vents violents. Immuable. Le ciel est un bloc bleu. Il se déploie, écrase la ville, même les immeubles à plusieurs étages. Et si rares sont les journées avec nuages caracolant d’un bout à l’autre comme on en voit sur les rivages ou par-dessus les îles. Les désordres du ciel se condensent dans les intersaisons, elle l’a appris, elle redoute. À marcher dans la ville, la brûlure traverse le corps de part en part, chasse le mal. Presque jamais de brouillard – elle le regrette. Vents violents, pour ça oui. À chaque saison son lot de ciels ébouriffés ou limpides, impitoyables ou silencieux.
texte écrit par Françoise Renaud dans le cadre de l’atelier d’été 2018 proposé par François Bon « Construire une ville avec des mots »
La proposition d’écriture / #32 : allez donc voir, en numérique, les occurrences du mot « ciel » chez Baudelaire, Apollinaire ou Proust… regardez aussi les extraits du « Livre des ciels » de Leslie Kaplan, ou les débuts des Maigret de Simenon : et il n’y aurait rien à écrire des ciels de votre propre ville en construction ?
Photographie : Françoise Renaud (Bretagne), 2016
ma chère toute belle, j’ai rattrapé mon retard de lecture de tes textes et je suis envahie d’émotions, de sensations, tous mes sens en alerte : la ville, les gens, la mer, le vent, l’orage, la tempête et tout ce qui compose le monde de la ville. Violent, tendre, doux ou bien pressé, ou encore marqué de souvenirs des hommes qui y laissent des traces. Ton écriture est toujours aussi évocatrice, sensuelle, précise, enlevante et tu me fais vibrer par tes mots si choisis.
Merci ma chère Françoise de me faire participer ainsi à ton monde intérieur qui est si beau et mystérieux.
Mon ami anglais m’a envoyé ce texte en écho à Ciels ma ville et j’ai envie de le partager :
« Les descriptions sont émouvantes, grandioses, je te lis, je vois toutes les nuances du ciel, parce que tout ce qui touche au ciel m’émeut.
Les ciels descendent dans mes yeux, les ciels se confondent aux villes, grace a toi, a cause de toi.
Tu me prêtes tes yeux, je prends ta voix, je te la rendrai quand j’en aurai envie… je garderai les ciels au fond de mes yeux, grace a toi, par toi, par ton regard… (Sourire) »
Votre présence à travers quelques mots déposés suite à mes textes me soutient énormément. Merci à vous tous, merci pour ces petits morceaux de temps donnés…
Encore un très beau texte, plein de sensibilité et quelle réalité, on est dans la ville, on voit le ciel, tout ce ressenti est présent Le texte de ton ami anglais est très touchant..merci de nous le faire partager.
que de mots pour des ciels, que de belles descriptions pour partager ces éléments toujours présents sur cette ville, nous oblige à regarder par la fenêtre pour regarder là haut, pour regarder encore, pour comparer la couleur à celles énoncées.
Ce très beau texte nous surprendra à marcher les yeux levés tant nous nous souviendrons de ton regard sur cette lumière céleste
Encore merci Françoise pour ces magnifiques mots qui nous laissent tant de réflexions.
Ciels d’ici ou d’ailleurs… purs, voilés noirs ou rougeoyants … Chacun le nôtre. Soudain je repense … en rentrant de St. Innocent après l’orage… Des couleurs à couper le souffle au milieu d’arcs en ciel majestueux.. et les montagnes en fond de décor avec un soupçon de blanc… Un cadeau pour toi avant de rejoindre ton Sud et des ciels couleur de mer et d’infini avant de rejoindre ceux de l’enfance aux couleurs de l’océan…