c'était cette semaine, épisode fugitif, rien que quelques heures de matière plumeuse au ciel dans la nuit
ce côté virevoltant, émouvant, qu'on ne rate jamais...
Je me dis qu’avant ça vivait autrement. Il y avait le roulement des charrettes, les aboiements des chiens quand l’étranger pointait le nez. Il y avait les troupeaux qui remontaient depuis le chemin et passaient à frôler le bâtiment principal en rentrant du pré. Il y avait les bruits, les cris, les odeurs — l’odeur du fumier stocké à l’arrière de l’étable, l’odeur des ensilages, l’odeur de la terre mouillée, l’odeur des cuirs et des pelages, l’odeur du foin coupé, l’odeur des fossés, l’odeur de l’hiver qui court les bois, l’odeur de l’âtre, l’odeur des premières roses à l’orée du potager, l’odeur des sauges et des prairies, l’odeur de la soupe pour le cochon, l’odeur des champignons, l’odeur des châtaignes, l’odeur du bois fendu à la hache, l’odeur de la pluie qui frappe les ardoises, l’odeur de la neige quand elle tombait en quantité, l’odeur des tilleuls en fleur, l’odeur du four à pain, l’odeur du sang, l’odeur de la mort.
L’odeur m’apparaît soudain comme l’indice de temporalité le plus fiable, aussi puissant que les courbes de l’espace, aussi patient et endurant que les circulations des hommes et des bêtes entre les bâtiments. L’odeur me reconduit vers la pierre des murs, vers ce qui est incrusté là depuis longtemps, vers ce qu’on ne voit pas.
Avant, juste là, c’était un abattoir, voilà ce qu’on m’a dit.
Demeure la structure métallique entre les solives où étaient pendues les carcasses d’animaux et il est émouvant de la regarder.
L’abattoir est devenu garage depuis qu’il y a des voitures. Son histoire est dissimulée dans la toiture et sous la glycine qui s’accroche à son flanc.
Avant ça vivait autrement. Les familles visaient l’autonomie, les hommes s’entraidaient. Ils savaient remercier le ciel pour ses bienfaits, célébraient l’abondance des moissons. Ils ne mangeaient de la viande que le dimanche et encore. Aujourd’hui la neige en quantité est devenue rare et l’odeur du sang a coulé profond dans la terre. Me reste l’odeur de la brume tenace, l’odeur des roses anciennes et l’extrême gentillesse de mes voisins pour m’y retrouver et m’accompagner dans cette géographie des siècles et des saisons.
Photographies ©Françoise Renaud, 2024
les images, la neige sont presque aussi bien que le texte 🙂
alors là c’est un bien beau compliment…
Oh oui tout est beau dans les photos et les mots…
et je sors de ce texte émue avec l’impression de respirer l’odeur de ces pierres mais aussi de revenir au temps où la nature était brute comme les hommes…
ton pays me plaît à travers ce ressenti qui me fait vibrer. Merci pour la neige qui t’a si bien inspirée.
Ma chère Françoise très beau texte et très belles images comme d’habitude tu m’entraînes dans ta jolie région
je t’embrasse très fort
Martine
Magnifique resenti, tes mots tes photos sont toujours aussi forts pour me faire profiter un peu de chez toi.
Bravo et merci pour ce beau partage
Merci pour ce joli saupoudrage de neige… c’est si beau la neige dans les campagnes…
Ici il n’est tombé que de la pluie… pire, on a subi un vent violent ! Bref, rien de bien agréable…. Profite bien de ton environnement!
Comme une évocation à la DEPARDON, tu ajoutes les odeurs volatilisées aux images de cette ruralité dont tu épèles les souvenirs à la pelle, tout doucement, pour ne pas éveiller les soupçons de remords, ni effaroucher des flocons neufs de cette époque où tu vis. Tu rameutes aussi les « valeurs » de la vie spartiate d’autrefois qui était aussi une existence forcément courageuse et solidaire, car vitale, avec des rôles sous-jacents très ancrés dans l’intergénérationnel. Lire ton texte après avoir vu le dernier épisode du Voyage en terre inconnue chez les Dolpo-pa au Népal (émission du 26/11/24 Tomer Sisley chez les Dolpo-pa au Népal – Documentaire en replay) me fait réfléchir à ce qui nous manque dans la vie d’aujourd’hui. La neige, elle-même n’est plus autre chose qu’une visiteuse indésirable sauf quand on ne peut pas l’éviter et qu’on accepte de redevenir immobiles et contemplatifs derrières les double-vitrage ou sur des pneus crantés. La neige a perdu de sa magie et a fait reculer la sagesse de la ronde des saisons. Les gens les plus fortunés fuient l’hiver, les gens moins bien lotis l’espèrent court et le moins coûteux possible. Tu accueilles la neige dans tes mots comme une revenante, une parente longtemps tenue loin du cœur et du cœur. Son caractère éphémère te laisse le temps de faire un inventaire du paysage et des vestiges du passé en leur donnant une dimension historique, sensorielle et presque muséale voire cinématographique en catimini. « Mignonne allons voir si la rose… »
te retrouver ici et te lire m’aide à y voir dans ce qui se dit et dans « ce que la neige nous dit »…
ça réveille des questionnements et des respirations oubliées, oui ça modifie la sensation du passage du temps et ça affûte les sens si on prête attention, c’est tout cela que je quête au quotidien, je vole des bribes d’images et j’assemble pour tenter de raconter quelque chose qui souvent m’échappe encore…
merci pour ta présence et pour tes mots posés là qui enrichissent les nôtres…
J’aime beaucoup les précisions dans les odeurs ravivant tous ces différents détails d’une époque qui nous paraît lointaine. La nature est là, présente, elle continue de nous combler de senteur, de fleurs, de neige parfois, heureux l’oeil qui sait la déceler et l’admirer dans le moindre pli.
Profite de la chaleur de ton voisinage. Merci Françoise pour ce très beau texte.
cette époque est là tout près à l’échelle de l’histoire planétaire, c’est encore la nôtre et elle vibre encore, on peut la sentir en ces espaces loin des villes, hantés d’oiseaux qui crient et se regroupent dans les grands arbres, ces espaces libres où le temps nous interpelle, où chaque événement minuscule devient lieu de récit
s’en nourrir encore avant que tout ne soit perdu…
merci pour ton doux passage, chère Odile
Oui oui les odeurs et la neige c’est un aller direct vers soi, vers qui on était et qui on est toujours; c’est une permanence d’être.
Hier dans les allées d’un grand magasin, croisant une personne, une odeur m’a transpercée: celle d’un minuscule appartement où vivait ma grand-tante ( j’avais six, sept ans), appartement en rez de chaussée plein d’humidité; l’apparition de cette tante que j’aimais m’a émue et j’ai erré ensuite pour faire les courses, recherchant malgré moi la personne qui avait déclenché ce souvenir…
Et je ne dis rien des photos toutes apaisantes
bonheur de te lire par ici…
les odeurs, tout un pan de monde dont s’est emparée notre amie Ryoko Sekiguchi d’une façon si remarquable
vraiment c’est curieux comme en découvrant la neige l’autre matin, j’en suis venue à toutes ces odeurs anciennes qui ont été comme gommées de la carte des villes… merci pour ton anecdote qui nous relie dans le temps