Atelier d’été Tiers Livre – cycle Progression #1 – autour de Georges Perec » Espèces d’espaces »
L’intime se détache de nous-même, devient imaginaire pour qui le découvre en lisant…
(innombrables lieux où j’ai dormi… voir ce qui va venir)
tout de suite odeur de draps sales – y avait-il seulement des draps ? –, tenace cette odeur de linge qui a longtemps servi dans lequel on peine à se coucher, moisi, odeurs corporelles, draps chiffon, draps de chambre d’étudiant où s’attarder rien qu’un bout de nuit sans importance
étranges résonnances quand des gens parlent alors que d’autres dorment dans cette église désaffectée transformée en auberge de jeunesse (ça se passe en pays étranger mais on s’en fiche, enfin pas tout à fait car c’est l’hiver, il y a de la glace dans les mares des parcs et les canards tournent en rond), c’est un hiver froid avec des pluies fréquentes, donc se réfugier dans ce lieu repaire et mesurer l’impressionnante hauteur de la nef au-dessus des couchettes juxtaposées demeurant perceptible jusque dans le sommeil
temps non compté alors qu’il dort en sécurité, et je dors moi aussi tout en veillant sur lui, notre chambre d’enfance partagée, nos deux lits calés dans les coins, meuble cosy cognant parfois contre le mur
Highlands – le lieu revient d’abord, indissociable de l’image, du coup le nommer –, pluie, beauté, oiseaux de mer nichant innombrables, toile de tente de couleur orange plantée au milieu de la lande, terre fragile, pluie, beauté, cris d’oiseaux, arrachements d’herbe mouillée, pas de matelas, rien qu’un sac de couchage
dormir pas dormir, désirer, attendre au bord du lit étroit, caresses dénuées de sens et nuit noire
couette en plumes servant de matelas installée au grenier (car une partie de la maison est louée en août à des vacanciers), somnolence d’après-midi alors que j’ai de la fièvre, le soleil a tourné déjà du côté de l’ouest, les pas de maman douce montant l’escalier et portant de l’eau et un bol de compote dans un panier, dans mon rêve j’ouvre les yeux, elle a poussé la porte à fond et la lumière inonde les combles
sentir en travers du sommeil les rafales de vent fort qui ravage la côte et hurle par-dessus la toiture, frissonner jusque dans le songe en cours d’élaboration
désir pénombre séduction sortilège, peau inconnue sous les doigts dans un appartement inconnu, vague assoupissement avant de s’enfuir juste avant le lever du jour – surtout ne pas trop dire de soi –, déjà au cœur de l’assoupissement cette sensation de fuite de gâchis de fureur
six couchettes par compartiment, la mienne celle d’en haut, pas rassurée
souffle puissant du vent venu de l’océan indien et rasant les collines de sable qui constituent la côte, cabane recouverte de palmes avec juste un grabat rempli de végétal séché, rumeur des vagues immenses, nuit étoilée, sommeil peuplé d’odeurs de mer et de foin
Photographie Nathalie Holt, juin 2021