carnet d’installation | 10 novembre 2023
Perdue. Sensation familière puisque connue depuis l’enfance, ça vient de loin, ça vient du cœur de l’été quand déjà le soir mange un peu de lumière au jour.
Perdue, pourtant je ne m’en rends pas compte — même si j’ai la vague intuition qu’on va s’inquiéter pour moi —, peu à peu glissant pénétrant m’enfonçant dans le feuillage, rentrant presque dans l’arbre, ça vient de loin, le souvenir du rugueux du tronc et de l’affaiblissement du soleil. Et recommençant plus tard, un autre jour sans doute, une autre saison, n’imaginant rien de la série d’événements qui provoquent la chute des feuilles, à la mise en veille des arbres, plus de chlorophylle, les fluides désertent les canaux des feuilles, la couleur change, pigments rouges et mauves prolongeant leur vie avant la chute.
Épais le tapis sous le châtaignier qui domine la maison bâtie sur le dos de la butte.
Regardant l’arbre alors comme guettant sa respiration, ses fruits tombés ouverts sur la terre gorgée d’eau.
Une autre fois elle revient. L’imagine vu d’en haut si large bientôt nu, ressent l’endroit où il a poussé comme lui appartenant depuis longtemps — il était bien avant elle sur la terre. S’enfoncer dans ses feuilles, s’enfoncer presque dans son ombre brossée de vent doux ou violent, dans ses branches fortes engendrées à son pied créant des cachettes pour jouer avec la brise et les oiseaux. Elle aime s’enfoncer dans le puissant de l’arbre — elle avait oublié
ici elle est le ciel la terre l’arbre, l’automne la fait reine
ici elle joue à s’enfoncer dans l’arbre, ça vient de loin, la couleur change, elle se cache, les feuilles sont fauves dans le soleil
ici la pluie vient fort, elle a six ans ou douze ans, l’arbre est une énigme vivante
ici maintenant revient en force la mémoire des temps anciens qu’elle n’a pas connus mais qu’on lui a racontés le soir au bord du feu, le feu raconte crépite explique ce qui s’est passé jusqu’au carrefour des civilisations, rien ne peut changer à cela, elle s’assoit, prête attention au récit de sa journée entre les branches, la rumeur de pluie et la cendre.
Photographie ©Françoise Renaud, en Limousin, 10/11/2023
Que les histoires d’enfance me parlent… Et dans une Nature où l’Arbre devient partenaire complice et acteur d’un partage venu du fond des temps, alors me voilà embarquée sur le grand Fleuve des origines qui nourrit nos racines.
l’enfance est toujours là, articulée à notre présent, base de nos intuitions et de forte de nos miracles à mi-chemin entre prose et poésie
merci à toi, douce amie de Maurienne
La nature d’automne, les couleurs, les arbres, prétexte à un bien beau texte.
Souvenirs d’enfance qui restent tellement présents et qui reviennent chaque année pour nous rappeler combien chaque saison est une poésie.
la saison nous porte à l’intériorité et au souvenir, saison fauve, saison de décroissance pour atteindre le silence et refaire ses forces
merci pour tes mots
Envie de se blottir au creux de cet arbre, entrer profond dans la vie silencieuse, suivre l’exemple de toutes ces bêtes à fourrure qui se roulent en boule dans le crépitement des feuilles sèches soigneusement amassées au creux profond des racines… et laisser se régénérer doucement ce moi profond qui vient de l’enfance, la nôtre… et surement aussi celle d’avant et encore avant…
merci pour tes mots, Régine, qui viennent eux aussi du fond, cette « envie de se blottir au creux », de retrouver « la vie silencieuse »…
merci de parler de régénération, de souffle venu du lieu de notre naissance
Je fais miens les mots de Régine en adhésion à ce texte profond. Merci à vous deux
Ecriture somptueuse, palpitante, exaltante, qui fait lecture à ouvrir les sens, toucher, respirer, tout plus ample. Merci. « L’automne qui la fait reine », et nous, femmes à te lire, ça nous fait reines aussi.
Grands « petits bonheurs » de recevoir ces commentaires messages amis… tels des immenses soutiens dans ce long travail d’écriture qui court au long de mon existence…