carnet d’installation | 9 juillet 2023
J’ai commencé à écrire quelque chose à propos de la maison, du moins celle qu’elle était il y a plus d’un siècle. J’ai envisagé les murs, les greniers, le dédale des pièces, les terres autour. Arpentant la chambre qui me sert de bureau, j’ai découvert la musique du parquet, châtaignier en lattes de 70, et j’ai commencé à dessiner la carte des plaintes émises par ce sol ancien et singulier. Comme une partition de craquements et autres sons inconnus. Un jour — je ne m’y attendais pas — un personnage est apparu, une femme. Un jour elle était là, assise dans la cuisine. Elle m’a fait un peu peur. Spectre ou fantôme, incarnation, reflet, mirage, en tout cas c’est comme ça, de dos, qu’elle est entrée dans mon roman. Je sais qu’elle a un visage doux et un cou délicat en dépit de son âge. Elle m’intrigue, je ne sais pas pourquoi je la vois vivante, j’ai l’impression de la connaître et j’ai la certitude qu’elle se trouve attachée à cette maison d’une façon ou d’une autre. Me voilà obligée de lui inventer une vie, une enfance, des frères, des pensées qui la distinguent de ceux qui émergent de l’autre monde. J’observe avec plus d’attention les alentours, traque les traces de la vie ancienne, les stèles en pierre au long du coteau, l’ancien hangar au toit effondré qui devait abriter le foin et les animaux. Allez savoir ce que tout ça deviendra dans mes pages…
Cuisine, centre de la maison et même du domaine. Peu de lumière. Une silhouette de dos installée à la table. Je me demande ce qu’elle fait là, si elle est réelle, de quoi est fait ce gilet qui couvre les épaules voûtées, matière laineuse on dirait, elle épluche des légumes ou alors raccommode, lit un livre, fait une prière, on dirait un tableau, je suis encore loin d’elle, ne vois rien du visage penché vers les mains, un peu peur quand même et dans l’intense de la surprise, a priori personne d’autre que moi n’habite cette maison, alors rien qu’une ombre, une impression, un caprice de mon imagination, un soupçon absurde qui me fait reculer vers le salon, je voudrais murmurer mon dieu c’est vous ? mais diable d’où sortez-vous ?, le temps de me frotter les yeux et ça a remué dans la cuisine, un froissement de souris, tout de suite après il me semble entendre le battant de la porte du fond, le temps que je me précipite, plus rien qu’un léger décalage de la chaise, des griffures sur la table, quelques miettes, une odeur de feu et de graisse cuite.
On est à l’aube de l’été. Le réel et le fantastique se côtoient. Pas de touristes en goguette, pas d’aires d’autoroutes, pas de pression estivale. Juste la vie simple. Ce matin un orage abreuvant à point nommé le potager et les sauges juste plantées. De quoi me réjouir, applaudir aux sensations de frais qui montent par la fenêtre ouverte.
Photographie Françoise Renaud – à l’orée du domaine, juin 2023
Quelle bonne idée ! Il y a une histoire qui habite ta maison…
Quel est le mystère qui vient de rentrer dans mon imaginaire… J’attends donc la suite… avec un livre à venir un roman et des personnages qui font respirer ces vieux murs endormis. La Maison t’attendait pour dévoiler son histoire c’est certain … Alors au boulot …
En fait, j’adore. Il y a chez toi un réel talent à parler de ton acte d’écriture et à donner à voir comment ça se passe et c’est comme une enquête, en quête du livre, que l’on mène avec toi. Et ce langage que tu utilises et qui ne perd jamais le lecteur, tout ce que tu écris, même du fantastique, reste clair et limpide. Beau et poétique, mais clair. On n’a jamais peur de te suivre. On sait que tu ne nous perdras pas. J’ignore si ce que j’écris ici est compréhensible d’ailleurs. Mais vraiment, merci.
il me semblait que ça faisait aussi partie de ce carnet d’installation, écrire ce que je suis en train d’écrire, ce qui est en train de naître (peut-être), ce qui se trame en-dessous de la réalité des jours…
à l’aube de l’été j’écris aussi sur ce qui surgit au cours des matins d’écriture, attelée désormais à une tâche qui me dépasse pour le moment, suivre ce personnage qui m’est apparu et qui forcément a existé…
l’enquête est en cours !