Vases communicants d’avril, avec Marlen Sauvage

Pour les Vases Communicants d’avril en hommage à Francis Royo, c’est Marlen Sauvage que je reçois chez moi comme sur ma terrasse au bord d’un ruisseau face à la montagne.
Nous habitons presque le même pays, par choix. Elle, la Lozère, la Cévenne des Gardons. Moi, la lisière sud. Nous avons eu envie d’écrire sur quelque chose du paysage, chacune à partir d’une proposition photographique de l’autre.  Les photos proposées nous ont guidées vers le thème du chemin sans que nous l’ayons prémédité.

Marlen Sauvage tient un blog appelé LES ATELIERS DU DÉLUGE. Elle y a écrit : « Peut-être devait-elle se faire à l’idée que sa vie ne serait plus qu’une succession d’instants de solitude à déguster des olives vertes accompagnées d’un verre de vin blanc sur la terrasse d’une villa, à La Marsa ou ailleurs, sous un ciel lavande. […] « 
Et voici son texte à partir d’une de mes photographies.
Vous trouverez le mien ICI SUR SON BLOG.

Et te perds…

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Va va va marche cours pense renifle écoute flâne rêvasse et te perds… inutile de connaître la route, elle mène la danse, elle te mène, suis-là ; avance au gré du sol ton pas s’y fera bien, au gré des feuilles avance, des fougères au printemps de leurs crosses, à leur rousseur, ralentis, au gré du temps avance, d’un bout de ciel, d’une lune sans halo, d’un coteau chevelu de chênes verts, d’une montagne au loin prise sous la neige ; suis la route, la tienne se dessine déjà, ne crains pas d’user tes chaussures, et si les broussailles obscurcissent ton horizon, si dans les sous-bois les lianes entravent ta marche, si tu t’opposes à l’impénétrable, adresse-toi au rouge-queue, à la mésange charbonnière, aux insectes transparents, aux toiles d’araignées scintillantes, suspendues aux branchages, aux clôtures, à l’herbe courte des prairies, aux voix dans le silence, laisse de tes cheveux dans les ronces épaisses, jette un regard aux mousses, aux minuscules coquilles d’escargots blancs, empoigne les bruyères dans leur arborescence et teste leur solidité, elles blessent parfois, caresse les plantes grasses surgies de la faille du rocher, reconnais l’élégance des aristoloches, coupe-toi au schiste tranchant, réjouis-toi d’un mica sur ta route.

Tu ne sais ce qui t’attend au bout, et ton pas engagé maintenant déborde tous les paris du monde, tu enlaces la vie, tu la foules, brassant mille projets, mille espérances, mille regrets et tous les inconnus croisés jamais nommés ou si mal nommés ; sur la draille où tu t’élances ton pas s’allonge dans le pas des colporteurs, des bergers et des faucheurs, dans le sabot des chèvres. Parfois la Terre penche, il suffit de se pencher aussi ; ta route grimpe, et tu te plains d’étranges souffrances dans tes muscles endoloris ; accueille la peine, la douleur, le chagrin, aussi. Le paysage garde la trace du chemin, malgré l’infidélité des hommes.

Va va va où ton ombre t’emporte, ne la retiens pas, écoute au loin la cloche du troupeau qui assaille la colline en face, dans le calme du ciel, écoute le tumulte de ton cœur et ta respiration tarie, surprends le trésor dans la couleur du soleil et dans le repos tremblant du lac à tes pieds. Et à la nuit, peut-être la dernière, ralentis le pas, surprends l’air dans sa fluidité, imprègne-toi de la fragilité du monde, au bout de ta route brandis-la, haut, réjouis-toi d’être si vulnérable, réjouis-toi de bientôt arriver.

Photographie : Mousses, ©Françoise Renaud, 2016

5 commentaires

  1. Ping :Surtout ne rien perdre. Le vase d’avril. | Les ateliers du déluge

  2. jacqueline de Saint Jean de Maurienne.

    voies communicantes pour des chemins croisés qui nous emmènent dans vos pas où le corps et l’âme se correspondent et se répondent en un chant d’hommage ã la nature. »Voix communicantes » pour Francis Royo que je vais découvrir grace à vos vases communicants…. Ou les mots nous entrainent vers des rivages insoupçonnés ….avec toute mon amitié. Jacqueline.

  3. Jean-luc Rocher

    Les deux photographies de Marlen Sauvage et de Françoise Renaud quand on les observe ne pouvaient qu’aboutir à un texte débouchant sur le chemin c’est du moins ce que j’aurai fait si j’avais dû écrire sur l’une où l’autre de ces photos. Le chemin lorsqu’on ne le connait pas à quelque chose de magique, chaque pas parcouru met en route l’imaginaire se mêlant à la beauté du paysage alentour. Merci pour ces beaux textes qui se rejoignent et apportent un peu de douceur et de lenteur dans nos vies trop rapides où l’on court souvent après d’inutiles besoins et objets. Merci à toutes les deux de m’avoir fait rêver.
    Jean-Luc Rocher

  4. Je découvre une écriture comme un écho à ce que jamais je ne dirai. Et justement, cela a été écrit et ma lecture font vos mots les miens. Un fort joli miracle.

  5. vases communicants l’un dans l’autre à l’image des photos qui se complètent et des chemins qui se ressemblent, se mélangent. Toute la sensibilité d’un parcours, d’un promenade dans la nature de sensations et d’odeurs – oui d’odeurs- de sons et de couleurs. Une alchimie artistique réussie.

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