La ville étrangère – une parmi d’autres — revient au premier plan, solidement attachée à l’appartement, lieu de repli bienheureux après le voyage (plusieurs allers et retours en peu de temps vers l’Orient tant elle était fascinée). Les lieux se superposent et se connectent dans les mémoires : c’est là que la vie se crée, bien réelle, bien ancrée, en même temps que le souvenir. Chaleur, moiteur, grouillement humain, moustiques, bruits toute la nuit, parfums ignorés. Elle cherchait l’important. Elle cherchait, ressentait, pores dilatés. Elle volait les odeurs comme on vole des pommes sur un marché à cause de la faim, une grande faim qui la poussait hors cadre. Les odeurs lui entraient dans le corps par la peau, la bouche, nourritures nouvelles alimentant ses fluides.
Odeurs : épices — clou de girofle en particulier –, fleur de frangipanier, vents salés du détroit de Malacca, voiles repliées des bateaux Bugis, sueurs, ordures, eaux sales, friture (partout ça cuisine, matériel de fortune sur des étals improvisés), carapaces de crevettes en décomposition.
Toucher : sueurs — la sienne et celle des autres –, skaï des banquettes de bus collant aux fesses, coton de son pantalon (elle n’en avait qu’un seul, elle le lavait et le remettait aussitôt), sable blanc des rivages éloignés des villes, paillasse pour dormir, sable encore jusqu’à la mer roulant ses bosses depuis l’Antarctique, sable collé à la peau, lune pleine inondant le paysage.
Bouche : nasi goreng, légumes et piments, sel, cigarette, biscuits secs, amant d’une nuit, morsures, goût de vie et de mort, fumées psychédéliques. Tout ce qu’elle aimait de l’effort à s’émanciper, du risque à pousser certaines portes, de la violence à se perdre – et même pour de bon s’il le fallait.
un texte écrit dans le cadre de l’atelier d’été 2018 « Construire une ville avec des mots »
La proposition d’écriture (en 20 minutes) : explorer la relation de l’écriture aux autres sens que la vue et l’ouïe : l’olfactif, le toucher, le goût, en 1 texte comme en 3…
Photographie Françoise Renaud
Il y a de l’orientation dans l’égarement, et sur le coup de la crainte tout s’inscrit dans le souvenir de ce voyage.
En final, comme un feu d’artifice, les mots font naître et mourir le corps monstrueux de ces deux villes qui se superposent… L’une et l’autre emplissent tout l’espace et nos sens explosent… J’ai seulement envie de m’y perdre avec toi…pour de bon !!! Jacqueline.
Sensualité de l’ailleurs confronté au rêve qu’on en avait ; les sensations, le toucher, le goût, exacerbent les sens. L’appel du large, peut-être…
Etre tout prés là et revivre tous ces moments, ces parfums, se souvenir et vibrer encore…
revivre ..
Aller au bout de soi même encore et toujours… Tu as choisi la proposition un texte trois sensations, et cela va bien à ton écriture si multi sensorielle. Oui, ce voyage on le fait en ta compagnie et on retrouve bien la grande amoureuse de la vie que tu es. Chapeau bas…
On lit le nez en l’air pour capter les odeurs qui flottent sur ton texte.
On voyage avec toi dans ces contrées lointaines, connues ou inconnues et on rêve d’y retourner.
Tout simplement, tu nous y emmène!
Deux villes se superposent, pourtant c’est celle d’où tu viens qui me parle. Celle des parfums d’orient. Les odeurs d’une ville ont une signature propre qui sont associées au voyage. Impossible de les dissocier de ce que l’on a vu ou entendu. Y penser suffit parfois à les faire resurgir avec force. Magie de de la mémoire. Un très beau texte qui m’a fait voyager. Merci Françoise.