Retour dans la chambre avec grande fenêtre en prise directe avec la ruelle (la ville, l’extérieur), reliée tout de suite à la cuisine puis à la terrasse quand la porte est ouverte, un lieu qui domine la terre des jardins confinés entre deux rangées de bâtiments, invisibles (le monde privé, l’intérieur). Le corps abandonné sur le lit revient d’une longue errance à l’étranger. Des agitations de ville tentaculaire persistent dans le cerveau et maintenant s’y ajoutent d’autres sons auxquels elle n’a jamais prêté attention, assourdis, cependant bien réels en arrière-plan et suffisamment précis pour être identifiés. D’abord ceux issus de l’espace urbain — claquements de portière, roulements de voiture, sirènes de police, klaxons, pas pressés dans la rue, pleurs d’enfant, roulement d’un bagage, aboiement de chien –, bruits coutumiers reconnaissables par n’importe qui, s’insérant dans les mailles du récent voyage. Comme une rumeur de fond. Et puis s’intercalent ceux de l’intérieur côté jardins qui glissent jusqu’à la chambre – de la même manière que la lumière –, qui décrivent la fin d’un été, d’une saison particulière où elle a connu des rivages secrets. Des bruits en général plus discrets (le corps détendu devient capable de les saisir, mieux encore dans un demi-sommeil). Crissement de poussière sur les marches de l’escalier (il n’a pas plu depuis longtemps), résonance de la rampe en métal sous la main, guêpes dans la treille, vent léger dans les pampres, chat en train de fureter, moteur d’aspirateur ou bribes de musique rock s’échappant d’un appartement voisin. Par-dessus bientôt, pépiements de passereaux d’espèces diverses qui fusent dans l’air à frôler les murs et la tonnelle, stridulations en continu sur plusieurs secondes, chuchotements indéfinis, musique de chaleur pareille à un bourdonnement lointain. Enfin un bruit sourd et déroutant qui par instants prend le pas sur les autres, fort et cadencé : celui du cœur. Le fluide rouge venu de l’amont se propulse vers l’aval par saccades, vers les zones périphériques de la chair pour les irriguer. Le corps couché s’est endormi au milieu des sons innombrables qui suivent chacun leurs courbes propres, accédant par le rêve à la tension cosmique aux variations inaudibles, une navigation à vue entre deux états, deux saisons, deux amours.
un texte écrit dans le cadre de l’atelier d’été 2018 Tiers Livre « Construire une ville avec des mots »
Ce qui était proposé (en 20 minutes) : fermer les yeux, et voyager dans tous les sons et bruits, en se laissant flotter temporellement et spatialement, qu’on peut associer au lieu point de départ…
Photographie Françoise Renaud, juin 2018
On ferme les yeux et les bruits remontent, bientôt tout l’espace est saturé et la ville apparaît. La ville qu’on croyait disparue.
Après les odeurs, les sons… Cette rumeur qui s’élève de la ville et envahit le cerveau comme une onde vivante qui sature les corps et les âmes en recherche de repos. Le repos sera pour demain dans cette nuit où les bruits s’invitent pour oublier les mauvais rêves que semblent faire apparaître le retour dans ce ventre grouillant du passé…Qui va pouvoir apaiser ce tourment qui frôle les murs et les cœurs ?… Jacqueline.
L’architecture du texte dont le dessin est auditif. Voyage immobile, endormissement comme un départ hors les murs.
On se laisse envelopper par les bruits si réels et si bien détaillés et une certaine torpeur envahit petit à petit le corps, l’esprit.
Cela m’a rappelé des souvenirs de voyage notamment au Maroc, quand on arrive dans une ville inconnue avec des bruits qui nous sont étrangers aussi bien dans la sphère de l’intime que de la vie urbaine. Oui, j’ai retrouvé ces sensations de bande son émotionnelle, jusqu’aux battements du coeur jolie pirouette finale…
Que de bruits dans le silence et le repos recherché ce qui n’empêche pas le corps de s’étendre pour récupérer et écouter ce qui l’entoure.
L’oreille absolue en partage avec les lecteurs. Belle performance, j’ai vraiment tout entendu.