Il pleut sur la rue de la Garenne et la rue juste avant et la ruelle, lieu initial brusquement lavé lessivé par des flots torrentiels dont elle n’a pas l’habitude, elle née dans l’Ouest où il crachine plutôt, où la pluie fine et pénétrante humecte et rend beaux les cheveux – un autre type d’expérience. Brutalement le ciel s’est fermé. Il fait presque noir à midi et il gronde, des éclairs traversent le paysage, il pleut fort sans discontinuer. Pendant deux jours au moins. L’eau dans les rues jusqu’aux chevilles et même plus haut en certains points de la ville. Elle a eu peur la première fois bien que réfugiée dans l’appartement au premier étage, depuis la fenêtre aux volets verts elle avait regardé la portion de rue noyée, les bananiers luxuriants après la saison chaude abattus déchiquetés. Elle s’était demandé ce qui était en train d’arriver, on lui avait répondu que c’était comme çà la pluie dans le Sud. Quand elle logeait à la cité U elle n’avait pas remarqué que l’automne était si effrayant, et c’est maintenant toute seule qu’elle mesure l’ampleur des orages venus d’Espagne qui affectent la plaine où s’est construite la ville, transforment la terre en bourbier, les rues en rivières. Et cette année en particulier. Très déroutant et inquiétant, plus de deux jours, bientôt trois, elle n’arrête pas de demander : « Mais quand est-ce que ça va s’arrêter ? ». Une accalmie de quelques heures et puis encore une séquence sans doute plus violente, ils ont prévenu aux infos. Les caniveaux sont devenus invisibles, les gouttières ne suffisent plus à écouler le flot du ciel, la terre gorgée d’eau est impuissante. Elle écrit à une amie sur le petit guéridon près de la fenêtre, elle explique qu’elle n’est pas tranquille, que ces jours-là dans ce pays il vaut mieux rester l’abri, attendre que l’épisode soit passé derrière. Certains lui ont raconté qu’hier la mer est très montée haut au Grand Travers, qu’elle a créé de nouvelles brèches dans la ligne des dunes et bousculé les bateaux dans les ports voisins jusqu’à les briser. Dans des moments pareils il y a toujours des gens pour aller marcher le long des jetées et contempler la puissance de la mer, même sous la pluie forte. À son tour elle découvre le chaos de septembre, le fracas des vents de sud, les déferlantes ravageant les zones sauvages et chassant les oiseaux vers les terres. Il pleut sur la rue de la Garenne et les rues adjacentes, sur tout le quartier, toute la ville établie à dix kilomètres de la mer, toute la plaine jusqu’aux étangs, jusqu’au cordon littoral, jusqu’à la grève érodée jusqu’à l’os.
un texte écrit dans le cadre de l’atelier d’été 2018 Tiers Livre « Construire une ville avec des mots »
Ce qui était proposé (en 20 minutes) : et si on prenait le même lieu, mais dans des conditions météos complètement différentes : par exemple, il pleut…
Photographie : Françoise Renaud, juin 2018
J’ai lu les deux épisodes à la suite où les odeurs s’invitent pour marquer la ville et cette ruelle où les rituels s’accrochent pour revivre… Le café, le thé, le lait, le pain grillé et enfin la pluie qui, pour moi, fait monter de la terre chaude l’odeur moite et douceâtre de la terre mouillée… Je respire, à travers tes mots, l’odeur des déjeuners de l’enfance où pendant le mois d’août les orages éclataient inondant les quai de Seyssel….
A la suite de l’épisode précédent, tu as retrouvé l’endroit sous la pluie d’automne, la pluie torrentielle qui recouvre les sols et coule partout.
Même si cette pluie ne ressemble pas à celle que tu as connue dans les Cévennes, je sens ton angoisse dans les mots, on te rassure en précisant que c’est comme ça la pluie dans le midi.
Bien tourné cet exercice avec les mots « calibrés » pour rester sereine face aux circonstances climatiques.