Cette façade, cette terrasse à l’arrière, ces jardins oubliés. Un lieu minuscule à l’échelle cosmique. Un lieu parmi des milliards d’autres lieux à la surface de la planète. Parcelle de forêt un jour défrichée cultivée puis bâtie jusqu’à devenir village bourg ville métropole. Juste un point précis où tout de sa vie a commencé – sa vraie vie, sa vie en dehors de la famille, loin du pays d’origine. Sa vie en propre.
Et c’est dans un mouvement de conscience rapide qu’elle appréhende la récente contraction de la ville qui asphyxie le quartier. Parce qu’elle se souvient des sensations à vivre alors dans ce faubourg, d’une certaine forme de bonheur finalement. La solidité des maisons n’est qu’apparence, elle le sent plus qu’avant. Érigés sur une pile de sédiments éprouvés par d’imperceptibles séismes, offerts à toutes les sortes d’érosions et aux tempêtes galactiques, les murs ont tendance à s’effriter. Oui la ville hurlante — comme un corps — se désagrège l’air de rien à cause des vibrations, des gaz d’échappement et des souffrances humaines.
À revisiter ce lieu important de sa vie, elle prend peur — l’ampleur du temps sans doute, difficile à supporter. Les antennes et paraboles ancrées dans les toitures se mettent à osciller, de même les verticales, et des lézardes se dessinent dans les pans de béton. Tornade, maelström inversé, cataclysme. Son corps, aspiré par-dessus des bâtiments, se déforme sous l’effet d’une puissante gravité. Bientôt le quartier n’est plus qu’un nuage de poussière. Elle pense : Le monde est un désastre.
Zoom arrière encore.
Les bruits se sont estompés. Quartiers, grandes avenues, ville entière, tout est devenu minuscule et lointain, méconnaissable, comme un élargissement de la mémoire donnant accès à un territoire infiniment plus vaste et bleu. La poussière retombe lentement. Alors s’esquissent dans son champ de vision les contours d’une terre pour moitié inondée de lumière.
un texte écrit dans le cadre de l’atelier d’été 2018 Tiers Livre « Construire une ville avec des mots »
Ce qui était proposé (en 20 minutes d’écriture) : et si on était projeté, mais toujours en regardant se même point, loin vers l’arrière, ou n’importe quelle autre direction, et qu’on verrait de bien plus loin tous ces éléments restés dans le souvenir (et uniquement par ce qu’on en retrouve mentalement).
Photographie : Françoise Renaud, juin 2018
Le tableau avance… Le scénario se précise… Il y a cette déchirure entre les souvenirs et la réalité et comme en suspend cette lumière qui vient compenser les failles et souffrances des bâtiments et des corps…En fermant les yeux, je pourrai dessiner des lieux où ma mémoire fait halte en lisant tes mots… Ensuite, la Ville comme un personnage peut vivre ou mourir sous ta plume… J’attends… Jacqueline.
Cela me fait penser à une vision qui décrit la construction et la destruction de bâtiments toujours avec des mots forts, des mots de géologue utilisés pour faire comprendre cette ressemblance du bâti avec les humains et cette souffrance pour subsister.
Jusqu’à la poussière significative. En regardant en arrière, la fin sans doute.
Mais toujours cette lueur d’espoir .