pousser la langue #06 | corps vents fenêtres

Une proposition de naviguer de fenêtre en fenêtre jusqu’à entremêler différentes époques de notre vie, à les révéler… et sans ponctuation… Le Tiers livre ici

 

Elle levait les yeux pour la voir elle le faisait souvent pour attraper la lumière du dehors et les nuages qui semblaient faire partie du verre elle pensait à la suite très loin dans le futur elle pensait à d’autres lieux qu’elle habiterait d’autres fenêtres comme celle de la cuisine de la rue Pouget grande avec volets verts donnant sur des jardins de faubourg celui d’en face reconnaissable au bananier qui revenait chaque année toujours aussi dépenaillé à cause des vents forts ou celle encore qu’elle avait contemplée trente ans plus tard allongée dans un lit blanc de chambre aseptisée genre de fenêtre-mur à volet roulant bruyant à manipuler en fait c’était il n’y a pas longtemps nuit sans dormir avec douleur intense canicule sur la ville et traces de sable sur la paroi rappelant des coulures de larmes sur un visage tout ça intimement imbriqué avec irisations de lumière électrique et sirènes d’ambulance rêves pensées reflets fusionnés le matin très tôt avec le soleil émergeant au-dessus des petites montagnes tout change si vite dans la minuscule ouverture de la vieille maison bordée de toiles d’araignée cadre en bois et verre datant de quelques décennies sans doute car épais et légèrement trouble ce qui la reconduit à ce haut vitrage vers lequel elle levait souvent les yeux composé d’éléments 30 x 30 ce doit être à peu près ça mais ça n’a pas d’importance cahier d’enfance posé sous le coude et encrier avec le printemps chassant l’hiver et toutes les odeurs de poêle à mesure que le soleil gagnait du terrain et grimpait contre l’épaulement de la fenêtre parfois pluies intenses à cause de la proximité de la mer et violentes bourrasques qui faisaient vibrer aussi les carreaux de la cuisine avec rideau en dentelle blanche largement repoussé afin d’observer les mouvements à l’entour elle fenêtres maisons habitées par les corps les vents les arbres et les villes elle pensait rêvait de la haute fenêtre de la salle de classe regardait les lumières regarde les reflets des différents mondes traversés absorbés par les épaules les cheveux elle ne sait rien du temps qui prend la peau surprenant parfois dans le cadre quelque reflet de sa propre silhouette.

Photo Hans Eiskonen

 

7 commentaires

  1. L’absence de ponctuation déroute un peu, mais toujours cette musique poétique. Belle envolée.

    • Merci pour cette fidélité qui me touche à chaque fois…
      Oui bien sûr il s’agit là de « pousser la langue » – dixit François Bon -, et oui bien sûr l’absence de ponctuation oblige à creuser et épurer de façon à ce qu’on puisse suivre malgré tout ce qui est raconté là… en même temps le sujet déroute puisqu’il nous oblige à nous déplacer de lieu en lieu…
      c’était complexe à écrire !!
      En tout cas merci à tous de tester pour moi et de dire ce que ça donne pour vous…

  2. jacqueline Vincent

    Elle la fenêtre qui s’ouvre sur la vie dans une respiration rythmée par la cadence et le tempo du texte où la fin me laisse essoufflée comme dans un marathon où seuls les sportifs confirmés tiennent la distance alors je m’entraine et je relis et relis encore ces mots qui s’évadent par la fenêtre ouverte… Et ça marche comme une musique entêtante qui m’envoute et annule l’espace et le temps. Jacqueline

  3. « elle ne sait rien du temps qui prend la peau »… c’est juste magnifique !

  4. le temps s égaye en zigzag
    se faufile dans la trouée de lumière
    et pensif
    s éloigne paresseusement
    Tu nous proposes magistralement
    la fenêtre un point aveugle
    entre la lumière et le temps
    qui supposerait l existence vraie d un dehors
    comme si le regard notre regard se heurtait à l impossible de se reconnaître
    furtif reflet evanescent
    est-ce que j existe!

    • merci pour la subtilité de ce commentaire…
      étonnant comment les choses surgissent au hasard des circonstances et des contraintes (ça sert à ça sans doute, l’atelier)
      et c’était vraiment ce que je ressentais après avoir traqué quelques reflets à travers les fenêtres de mon existence passée ancienne ou récente
      existons nous vraiment ? et où ?

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