« L’art de création exige la liberté et la paix. Aucune roue ne doit grincer, aucune lumière vaciller. Les rideaux doivent être bien tirés. L’écrivain, pensais-je, une fois que son expérience est terminée, doit pouvoir s’abandonner et laisser son esprit célébrer ses noces dans l’obscurité. Il ne faut pas qu’il regarde ce qui se passe ou qu’il pose des questions concernant ce qu’il fait. Il doit bien plutôt arracher les pétales d’une rose ou regarder les cygnes doucement se laisser emporter par le fleuve. »
Voilà que je m’en retourne vers Virginia Woolf qui prônait une chambre à soi, quelques livres sterling de rente et suffisamment de solitude pour avoir accès à la lumière blanche de la vérité. Et je m’en retourne aussi vers l’écriture, cette expression incessante de l’être qui se réveille, respire tout le jour et s’endort avec difficulté parce que rien n’est encore accompli de l’œuvre − cette inquiétude de ne jamais atteindre le seuil, de ne pas travailler avec assez de force, de ne pas s’enfoncer suffisamment profond dans la matière du fleuve. Virginia l’avait fait. Pour en finir. Elle l’avait choisi. Elle était entrée dans la rivière Ouse, résolue.
Je suis née bien après elle et je n’ai pas besoin de cacher mes manuscrits des yeux fureteurs d’un père ou d’un mari, ou de mettre sous cloche mon esprit. Je peux exprimer ce qui me tourmente et ce qui me réjouit, m’émerveiller ou m’apitoyer, et c’est là une chose inestimable. Je peux inventer des personnages de roman, hommes et femmes, les faire se rencontrer, se détester, puiser dans la société qui s’agite pour restituer des émotions et des histoires. Je peux m’aventurer dans les forêts, au milieu des lacs et des mers. Je peux ouvrir des passages secrets, ensanglanter des visages, dépeindre des visions d’enfer ou de paradis. Je peux aussi m’adonner à la contemplation et à la poésie, griffonner des chroniques, des textes brefs pour mon blog sur la toile. En bref, je peux écrire. Créer.
En liberté.
Ou presque.
Il est arrivé que certains de mes textes touchent si justement − si durement − que j’ai été mise en demeure de les retirer du domaine public, par soit-disant respect pour les défunts ou autres arguments du même genre. Vaines menaces. Ces textes disaient seulement la vérité.
Les textes vivent de toute façon, ils sont publiés quelque part, sont lus, sont appréciés, aimés ou détestés, diffusés. L’écriture se glisse dans les interstices de l’espace-temps quels que soient ses forme et support. Je ne veux pas me résigner. Je veux continuer jusqu’à saigner. Ma liberté crie entre les mots comme le flot jaillit entre les rochers.
Extrait de A Room of One’s Own, de Virginia Woolf,1929
Photographie de Françoise Renaud, ©2014
Merci d’être aussi précise et inventive. Le livre et l’histoire font un ying et yang.
Bien à toi, p.
L’écriture t’est une nécessité et une révélation. Tu veux « continuer jusqu’à saigner », ta « liberté crie entre les mots, comme le flot jaillit entre les rochers »…
ma chère douce c’est ainsi quand je te lis, que je prends connaissance de toi et de ton oeuvre. C’est beau comme tu es belle, aussi impétueux comme tu l’es, et passionné comme toi, et encore tant d’autres choses inattendues, fortes et amoureuses… Continue à crié ta liberté et ton espérance…
Ta photo est magnifique comme toutes celles que tu réalises.
Bises ma douce.
Toujours cette sensibilité à fleur de peau à laquelle on ajoute un air de liberté, on s’envole vers les mots et on plane.
Virginia Woolf t’inspire par le caractère de son écriture et t’incite à révéler la tienne aussi librement que tu le peux. Très belle photo que tu as réussi à associer à ce très beau texte. J’aime!