en 4000 mots #7 | Virginia Woolf : contexte de l’écriture

Atelier Tiers Livre – hiver 2018 / 2019
recherches sur la nouvelle

Le Tiers Livre – atelier d’hiver #7, écrire sans sujet à partir de ‘Journal’ de Virginia  Woolf
(écrire le contexte du lieu de l’écriture, les conditions matérielles, les heures, la fatigue…)

 

Mercredi 6 février

Quand est ce que ça vient et où est-ce que ça va ? trop chaud trop froid, trop vite trop tard. Peut-être dans ce moment au sortir du sommeil : cerveau en mode oubli, respiration inaudible et bruits feutrés comme s’il avait neigé. Rester dans l’abandon de la nuit une heure encore dans la chambre douce en lumière, là où les choses se disent à voix basse et où les douleurs – tous les genres de douleur – sont plus vives, les perceptions plus profondes qu’à vivre en plein soleil. Il y a cette quantité folle de mots passés en revue dans le noir avant le sommeil et dans ces interstices où l’on croit ne pas dormir. Je me souviens, alors le livre s’écrivait tout seul dans une extrême lucidité, rien de flou, chaque élément parfaitement en place, et puis cette multitude d’images traînant à la queue leu leu avant de filer loin.

Jeudi 7 février

Aujourd’hui je ne sais plus où j’en suis avec ce roman, si je suis sur la bonne voie. Je crois avancer, par petits bonds, un peu comme les oiseaux qui volètent dans les bras de l’arbre ou les écureuils. En fait non, ça n’avance pas. Il me faut tout recommencer, changer de point de vue, changer de temps pour raconter. Je m’effraie de la suite et je reste au tiède du lit pour ne pas sentir le découragement. Continue reading →

Libre et paisible

Eau vive, photographie de Françoise Renaud, 2014

« L’art de création exige la liberté et la paix. Aucune roue ne doit grincer, aucune lumière vaciller. Les rideaux doivent être bien tirés. L’écrivain, pensais-je, une fois que son expérience est terminée, doit pouvoir s’abandonner et laisser son esprit célébrer ses noces dans l’obscurité. Il ne faut pas qu’il regarde ce qui se passe ou qu’il pose des questions concernant ce qu’il fait. Il doit bien plutôt arracher les pétales d’une rose ou regarder les cygnes doucement se laisser emporter par le fleuve. »

 

Voilà que je m’en retourne vers Virginia Woolf qui prônait une chambre à soi, quelques livres sterling de rente et suffisamment de solitude pour avoir accès à la lumière blanche de la vérité. Et je m’en retourne aussi vers l’écriture, cette expression incessante de l’être qui se réveille, respire tout le jour et s’endort avec difficulté parce que rien n’est encore accompli de l’œuvre − cette inquiétude de ne jamais atteindre le seuil, de ne pas travailler avec assez de force, de ne pas s’enfoncer suffisamment profond dans la matière du fleuve. Virginia l’avait fait. Pour en finir. Elle l’avait choisi. Elle était entrée dans la rivière Ouse, résolue.

Je suis née bien après elle et je n’ai pas besoin de cacher mes manuscrits des yeux fureteurs d’un père ou d’un mari, ou de mettre sous cloche mon esprit. Je peux exprimer ce qui me tourmente et ce qui me réjouit, m’émerveiller ou m’apitoyer, et c’est là une chose inestimable. Je peux inventer des personnages de roman, hommes et femmes, les faire se rencontrer, se détester, puiser dans la société qui s’agite pour restituer des émotions et des histoires. Je peux m’aventurer dans les forêts, au milieu des lacs et des mers. Je peux ouvrir des passages secrets, ensanglanter des visages, dépeindre des visions d’enfer ou de paradis. Je peux aussi m’adonner à la contemplation et à la poésie, griffonner des chroniques, des textes brefs pour mon blog sur la toile. En bref, je peux écrire. Créer.
En liberté.
Ou presque.

Il est arrivé que certains de mes textes touchent si justement − si durement − que j’ai été mise en demeure de les retirer du domaine public, par soit-disant respect pour les défunts ou autres arguments du même genre. Vaines menaces. Ces textes disaient seulement la vérité.
Les textes vivent de toute façon, ils sont publiés quelque part, sont lus, sont appréciés, aimés ou détestés, diffusés. L’écriture se glisse dans les interstices de l’espace-temps quels que soient ses forme et support. Je ne veux pas me résigner. Je veux continuer jusqu’à saigner. Ma liberté crie entre les mots comme le flot jaillit entre les rochers.

Extrait de A Room of One’s Own, de Virginia Woolf,1929
Photographie de Françoise Renaud, ©2014