Un boulevard désert dans une banlieue américaine, de ces banlieues où n’habitent que des gens aisés qui se paient des milices pour prévenir les intrusions et maintenir l’ordre. L’image fixe proviendrait d’une caméra de surveillance fixée en hauteur sur un bâtiment ou un lampadaire, ce qui procure une perspective plongeante. Toute la scène sera envisagée de ce même point de vue.
Terreplein central avec petits arbres récemment plantés. Bitume mouillé. Trottoirs en pelouse.
On n’a pas vraiment idée de l’heure. Le ciel est couvert, pas d’ombres au sol.
Entrent dans le champ un groupe de cinq personnages. Des garçons : jeunes, vêtus de blousons de sport et chaussés de baskets. L’un d’eux est en roller et ils sont deux à porter des casquettes, ce qui rend leurs visages invisibles. Tous s’agitent et gesticulent comme s’ils attendaient quelqu’un. En fait non, ils discutent, ils sont en pleine affaire. Au bout de quelques secondes, on comprend que l’un d’eux est plus âgé. On ne le voit que de dos mais il semble bien que son crâne soit dégarni sur le devant. Plus vieux donc et vêtu de noir. D’ailleurs les quatre jeunes sont tournés vers lui tandis qu’ils parlementent. On n’entend pas ce qu’ils disent, rien que des grésillements sur la bande son. Le groupe se déplace sur la gauche en piétinant la pelouse qui borde les maisons. Et puis l’un des garçons finit par tendre un paquet à l’homme en noir qui le met dans sa poche et s’éloigne aussitôt jusqu’à disparaître du champ tout comme le gosse en roller.
Désormais ils ne sont plus que trois.
Le plus costaud en blouson jaune se plante devant celui qui a rendu le paquet et l’attrape par son sac à dos jusqu’à le faire tomber. Et là, il lui donne un violent coup de pied dans la tête. Et puis un autre. Un autre. Il s’acharne sur lui, le forçant à se recroqueviller et à tendre les bras vers l’avant pour parer aux coups, avoir moins mal. Le troisième regarde sans rien faire, semble d’accord avec ce qui est en train de se passer.
Une bande s’affiche en haut de l’écran avec les données de la caméra de surveillance. Au premier coup de pied il est 15:21:16. SUN, un dimanche.
Les grésillements se sont arrêtés, plus de son.
Le silence et les reflets mouillés sur le bitume procurent un effet étrange à la scène. L’atmosphère paisible du quartier contraste fortement avec ce qui vient d’arriver.
Le gamin au sol a réussi à se relever, dans le mouvement il a perdu son sac à dos. Il a cependant échappé à son agresseur, un instant se retourne pour le défier, finalement disparaît en courant derrière les maisons.
15:21:26. SUN. Écran noir.
texte écrit par Françoise Renaud dans le cadre de l’atelier d’hiver 2017 proposé par François Bon
Vers un écrire-film / #01 : Un renversement Koltès
Il était proposé de prendre un fragment de film et de l’écrire… sons, acteurs, déplacements, visages… j’ai choisi un extrait de cette vidéo trouvée sur le net – voir la séquence de 5’47 » à 6’26 »
Un scénario qui décrit minute par minute une scène qui peut sortir d’un film ou d’un article que je peux retrouver dans mon quotidien régional… La violence à la sortie d’un lycée ou au coin d’une rue qui surgit sur les réseaux sociaux ou sur une caméra de surveillance et dont tu nous rappelles la proximité… Ce serait bien que des enseignants se servent de ton texte pour analyser avec leurs élèves des situations analogues. Les mots pour soigner les maux… Jacqueline.