tout un été d’écriture #34 | est

 

Que dire de l’Est ? Zone du levant. Zone de froid avant la lumière. Zone de brume grise et blanche et rose. Point où le monde revient à lui chaque matin. Mais non elle n’a jamais été attirée. Les quartiers Est et tout ce qui s’enchaîne au-delà ressemble à un no man’s land, un territoire brouillé et humide qui lui évoque des choses qu’elle n’a pas trop de pénétrer. Comme un continent qui aurait été regroupé à cette frontière-là, un continent entier aux portes mêmes de la cité, étendu jusqu’au grand fleuve qui coupe le territoire en deux, puis jusqu’aux montagnes et au-delà des pics les plus élevés, une masse dont elle se détourne, lui préférant l’ouverture du Sud ou la richesse des voies du Nord. À ses yeux la route de l’Est paraît sans fin. C’est d’ailleurs à grand peine qu’elle s’extrait de la couronne urbaine surchargée de véhicules et contrôlée par des dizaines de feux tricolores, ponctuée de petits ronds-points compliqués, de zones de commerce où tout le monde se perd, d’immeubles sans couleurs, désormais endiguée par de hautes bordures en béton entre rails du tram et constructions neuves — plus rien à voir avec les belles routes du midi bordées de platanes. Direction rarement empruntée, résumerait-elle. Pas eu beaucoup d’amis dans ces coins-là. Direction des villes taurines. Tout de même retenir ce départ pour Arles lors d’un printemps. Elle conduisait une petite voiture de couleur claire. Assis côté d’elle, un ami étranger fou de bêtes noires et de danses espagnoles. À approcher le Rhône, les vergers étaient tous en fleurs. Elle avait pensé fortement à Van Gogh, à son col rabattu sur sa vie déchirée. Il y avait du vent par rafales qui couchait l’herbe des fossés et des grandes prairies, elle l’avait bien remarqué, et l’air frémissait d’oiseaux affairés. À franchir le fleuve elle s’était souvenue des livres d’Henri Bosco, de ses personnages aux obscurs cheminements, de la permanence des sortilèges sur leurs têtes. La campagne arlésienne s’était profilée, la chair et le sang dans l’arène. Ruelles sombres, bientôt trop de lumière, trop de folie. Avant même le commencement de la fête, son esprit demeurait troublé, tourmenté par la douleur des bêtes dont on s’apprêtait à jouer. Au cours de la soirée, des vents chauds étaient montés depuis le delta et ils avaient chassé la fraîcheur résiduelle de l’hiver, caressé les corps en transe. L’ami avait murmuré à son oreille des mots qu’elle n’avait pas compris.

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