Pour atteindre cet endroit — inaccessible en voiture ou en autobus, encore moins en train –, il faut marcher simplement, mettre un pied devant l’autre. Laisser venir le paysage à soi par fragments, éclats, minuscules flottements. Tout dépend de la température et de la force du corps capable de courir peut-être, de pousser ses foulées jusqu’à atteindre une vitesse idéale pour percevoir le vent sur la peau et dans les cheveux ainsi qu’une offrande. De toute façon traverser le bourg. Courir sur le trottoir à longer les maisons, les jardins, dépasser le carrefour en faisant un signe de la main en direction de la voiture qui freine pour laisser le passage, jauger chaque zone de gravillons, dénivelé, creusement dans la terre, fissure ou décalage dans la bordure en béton (le moindre heurt déstructure la course et peut entraîner la chute). En même temps observer la progression des nuages au ciel, ce dernier de plus en plus vaste à s’approcher de la frange littorale, s’insinuer dans cette fente que le corps ouvre à traverser régulièrement l’espace bâti ou non comme s’il s’agissait d’une porte, d’un tunnel invisible, et dans ce mouvement exécuté en harmonie avec l’entour et la pleine lumière, se laisser pénétrer par une drôle de sensation en train de s’inventer entre vision et libération, chaque membre, chaque fibre fortement engagés dans la course. La descente est facile jusqu’à l’église puis dépasser le café qui sert aussi de bureau de tabac, ralentir au risque d’apercevoir quelqu’un de connu accoudé au bar ou installé avec un livre à une table, noter le bâtiment sur la gauche où était installée naguère une célèbre poissonnerie tenue par une famille du coin, le nouveau restaurant ouvert même en hiver. Des pensées circulent dans le cerveau en même temps que le corps poursuit l’effort, stimulé par l’espoir de mer, en même temps que les yeux guettent les variations du bitume et s’accrochent aux écumes et miroitements de la baie sitôt que l’espace s’ouvre, bientôt, juste après les cyprès torturés. Et le corps en sueur et enchanté s’installe sans cesse dans de nouveaux rythmes en fonction du terrain et de ses forces en réserve, s’adapte au sentier de poussière qui finira par s’extirper des zones de circulation ordinaires. De cap en cap, au-delà des vieux murs rehaussés de brande, ça va devenir plus sauvage, plus grandiose. Les plages sont de vastes sillons remplis de sable allant s’évasant vers les rochers découverts. Parfois niché dans une végétation de saules et de roseaux, un étrange hameau : maisons basses et paillotes avec terrasse sur pilotis pour contempler les vagues. Aussi une cale à bateaux, rendez-vous des fêlés de vent et de voile. Des quartiers peu fréquentés hors saison pour courir librement.
texte écrit par Françoise Renaud dans le cadre de l’atelier d’été 2018 proposé par François Bon « Construire une ville avec des mots »
La proposition d’écriture (toujours en 20 minutes) / #28 : métro, bus, voiture, moto ou à pied : chaque mode de transport est aussi un dispositif de perception optique — alors non pas aller d’un point à un autre, mais se concentrer seulement sur un fragment de cette perception en mouvement..
Photographie : Françoise Renaud (Bretagne), 2015
Photo d’artiste, texte d’artiste toute en mouvement et sensations…
Envie de courir à tes côtés…
Bienfaits de la lecture…
Merci !
Un tableau!!! Vite je cherche un crayon et je griffonne un carnet tout proche…Ombre et lumière avec ce sentier qui sillonne un bord de mer, ici une barque abandonnée, là une cabote nichée au creux d’un rocher…Et devant mon esquisse je te relis et Oh ! Bonheur… les mots vivent au rythme des vagues et du vent… Bienfait de la lecture… Merci. Jacqueline.
Avec toi, on parcourt le paysage..merci pour ce voyage
Jogging près de l’océan, les embruns, le vent, la nature un plaisir au fil des foulées en admirant le ciel sans ignorer ce qui le précède. Belle façon de ressentir ce que tu as écrit. Merci Françoise