[trouver ce qui fait sens et la rattache à ce lieu du retour, à ce quartier ancien en bordure nord qui reliait autrefois la ville à la campagne, faubourg justement, autrement dit quartier populaire — émanation du cœur urbain décidant à un moment donné d’ouvrir ses portes vers le dehors, hors enceinte, hors fortifications, donc difficile à protéger des rapines — avec établissements monastiques, mazets, parcelles de vigne, friches en garrigue et oliveraies, parcelles encore visibles dans les années cinquante]
Elle se souvient que la ruelle était accessible en voiture depuis la rue du faubourg Boutonnet : angle droit vers la rue Marie Caizergues (au passage, rien sur cette personnalité qui a donné son nom à un foyer d’enfance et un institut de beauté), tout de suite après autre angle raide peu commode à négocier. C’était là. Plus loin ça embarquait dans la rue de l’Abbé de l’Épée (un certain Charles Michel né en 1712 devenu chanoine, fondateur d’une école pour les sourds) prolongée par la rue de la Garenne … tiens, elle avait gommé ce nom… elle le retrouve sur une carte : il a un parfum de campagne et vibre plus que les autres.
Garenne vient de garir, garder en vieux français. Ou alors dérive du mot gaulois varros qui désignait un pieu, un bâton. D’où lieu entouré de piquets, protégé, chasse gardée, réserve à gibier. Dans le Berry, varenne signifie terre sablonneuse. Garenne, varenne. Toujours la terre, le socle, le plancher, l’espace sauvage plus ou moins sans bornage avec plaines, plateaux, buttes, sources, étangs, fossés, fondrières, bois, taillis, prés à bruyères, en bref réserve naturelle où les bêtes vivaient librement (les seigneurs, très attachés à leurs droits de chasse, accordaient tout juste la capture des lapins par trappes ou collets aux paysans). Eh bien cette ruelle était un peu sa garenne à elle, son deuxième terroir, sa marge de sécurité, son repaire. Elle ne s’était jamais senti de droit sur ce lieu, il y a seulement que les quelques saisons passées à y gîter lui avait appris les fantaisies de Marco son voisin garagiste et l’avaient rendue sensible aux courants caniculaires, aux jeux des martinets et aux odeurs de figuier. Elle s’y était sentie chez elle, en paix et en liberté relatives, percevant la ville en train de pousser de tous côtés et cernée d’autoroutes comme une limite tangible à son désir d’exploration.
En fait les noms ne lui reviennent pas facilement. L’encadreur était italien c’est sûr, mais son nom ? Peut-être bien Luigi.
un texte écrit dans le cadre de l’atelier d’été 2018 Tiers Livre « Construire une ville avec des mots »
Ce qui était proposé (en 20 minutes) : une transition : se saisir des noms propres associés au lieu initial, ce sont les noms de rues, mais aussi de lieux sociaux (écoles, piscine ou espaces culturels), voire de personnes (médecin, instituteurs), et associer une image texte à ces noms propres, se déformant l’un par l’autre...
Illustration : Plan au 1/4000, orienté à l’ouest, joint à l’étude intitulée «Des enceintes successives de la ville de Montpellier et de ses fortifications» par Albert Vigié, publiée en 1898 dans le bulletin de la Société languedocienne de géographie
Quel plaisir, pour une désorientée de mon espèce, de se laisser conduire au gré de ta carte, de slalomer entre les personnages du passé et la lumière du présent.( Je salue l’Abbé de l’Epée, créateur de la langue des signes!)
Aujourd’hui, je retrouve bien l’ancrage que l’héroïne ressent à revenir sur ces lieux dune ville qui ne s’est pas effacée de sa mémoire. Lieux, mais aussi acteurs d’une histoire qu’elle seule peut décrypter. Le talent de l’écrivain est de nous faire pénétrer ce retour vers le passé en nous donnant les clés de la Ville pour y construire notre propre histoire. Où vas-tu nous emmener ?C’est un vrai roman… Jacqueline.
Beau texte, comme les précédents et les suivants, évocateur de bien des anecdotes !
Rue de la garenne, sans doute le plus joli nom de toutes les voies montpelliéraines, atteste d’une réminiscence campagnarde au sein même de cet espace habité.
La garenne, dans notre Midi, c’est le trou à lapins, le lieu où les lapins de garenne – les sauvages, par opposition aux lapins de clapier – nichent et se terrent pour éviter le renard autant que le coup de fusil. Rien ni personne ne peut les en déloger… si ce n’est le fluet et rusé furet. Le furet que le chasseur lâche à l’entrée du terrier et qui poursuit sa proie jusqu’à ce qu’elle sorte, affolée, à l’autre bout de la garenne. Hélas pour l’hôte des garrigues, le chasseur connaît cette seconde issue sur laquelle il avait disposé un filet. Le malheureux y est piégé et assommé pour être mis au carnier. Le furet y est en même temps récupéré pour être remisé derrière les barreaux de sa cage portative.
Parfois, au plus profond du terrier, le furet décide que ce lapin, il l’a bien mérité ! Alors il le saigne, s’en fait un festin et sur-le-champ entame une sieste digestive. Le chasseur pourrait rentrer doublement bredouille si, mettant le feu à une poignée de paille, il n’enfumait le trou afin de déloger son furet qu’il recueille, toussotant et repu, au sortir de la garenne !
Quel talent! Tant de mots justes mis sur de si minces indices.
Incompréhensibles pour moi qui possède un sens de l’orientation très développé. J’avoue que je me serais perdue vu le nombre d’année où j’ai perdu le nord.
Heureusement, même si l’évolution de la ville ne laisse plus rien paraître du passé, la narratrice a gardé en mémoire les angles des rues et la signification de leurs noms. Toute une histoire en somme, belle comme chacun de ses écrits.