Je veux de la terre pour ma tombe. De la belle terre fertile – pas question d’ornements en plastique, pots, angelots, couronnes –, de la belle terre retenue par une bordure en schiste et nourrie des cellules de ma carcasse abandonnée. Une terre capable de faire surgir des fleurs en bulbes ou en arbustes, palette de fleurs qui accompagnerait la décomposition et après, produirait une sorte de musique naturelle pour continuer à me parler du monde.
Je ne serai plus là. Je serai sortie du rêve.
Les sentiments qui m’auraient transie et oppressée pourraient danser librement et contribuer à la joie.
À l’orée de la grande forêt, ce serait bien comme endroit pour la tombe.
Ou alors plein vent sur une falaise.
Oui, encore mieux la falaise, même s’il est difficile d’y faire venir des lupins et des roses. Des bruyères pourraient convenir. Quelques giroflées sauvages, un tamaris en guise de croix.
Plus personne ne saura que j’aimais retourner à mon travail – voilà ce que j’ai toujours préféré dans l’écriture : travailler, reprendre les tournures, refaçonner, reprendre depuis le début et bousculer la trame. Plus de plainte. Plus de crainte de ne pas réussir à dépeindre ces impressions si vives. Finies ces heures « où l’on ne sait plus vivre », où l’on invente des mots capables de modifier la courbe des choses. Alors tout sera fini. Chair en cendre. Petits os des mains. Papiers rongés. Cheveux survivants comme le tissu de la chemise ou du suaire – au fait, y aura-t-il un suaire ? Et qui se sera occupé de moi ? Un mari, un amant si je meurs tôt. Un descendant attentif, un professionnel de la mort pour me glisser sans émotion dans le cercueil tressé d’osier pareil à une boîte à couture.
Ce soir je rêve d’éternité face au large.
Je rêve de ces crépuscules qui donnent envie de courir dans l’herbe rase jusqu’au vide.
Enfouie d’autant plus bas sous la terre, je sentirai le poids du ciel et la puissance de la beauté. Ce soir-là n’en finira pas. Et mes bras s’ouvriront, paumes tournées vers le ciel bien que mortes. Ma peau s’apaisera en me faisant le plus grand bien. J’espère que je me serai trouvée – retrouvée – comme au commencement de la pureté, sortant du ventre doux de ma mère. Le même corps grandi poli au fil de l’eau, abandonné sur le dernier rivage.
Photographie : Au pays de mon père, Françoise Renaud
Ah rien ne vaut une bonne mort en terre fertile !
Terre de nos origines, nourricière, devient un doux édredon pour un grand sommeil
Annick
de la part de Mireille…
« Je ferai comme Louise, je viendrai y cultiver mes fleurs et mes légumes «
Pourquoi ce texte ? Pourquoi cette interrogation ? La mort… une tombe… l’infini… la finitude… pour ce début d’année ã l’infinie beauté à venir comme l’éternel ressac de l’océan.
Une drôle d’idée, mon Amie, dont toi seule a la clef.. Alors bien sûr, pouquoi pas une falaise remplie de fleurs sauvages et bercées par tous les mots d’amour et d’espérance écrits et abandonnés au gré du vent et du temps…. qui passent. Jacqueline.
je ne suis pas sûre que le « je » utilisé dans ce texte soit mon « je » véritable
c’est juste un texte sur une tombe jardin
je crois qu’il m’a été inspiré par la lecture du récit magnifique de Marie Darrieussecq sur l’artiste peintre allemande, Paula Modersohn-Becker
c’est comme ça les mots, il n’y a pas forcément d’intention qui préexistent, ils se posent les uns à côté des autres et constituent des textes en dehors de nous
belle réflexion, Françoise, même si tu n’es pas certaine que le « je » soit toi.
Je retrouve le cercueil en osier tressé , comme une boîte à couture, si beau, si émouvant qu’on aura de la peine à croire que tu seras dedans.
Trop beau pour mettre sous la terre même si on vient y planter des fleurs.
très beau ma Françoise….
Angoisse de la mort à venir, de renouer avec la matrice terre.
Un très beau texte, grave et poétique ou l’imaginaire se déploie pour notre plus grand plaisir.
Merci à vous mes amis, mes fidèles, vous tous ceux qui cherchez profond avec vos doigts, avec vos yeux… vous tous qui faîtes exister la matière en l’intégrant physiquement en lisant, en marchant, en lissant le plat des corolles épanouies, en observant le vol des oiseaux en quête de miettes parce qu’il gèle dur toutes les nuits, en déchiffrant le monde au voisinage…
Vous êtes mes précieux.
Vous me donnez envie de continuer, même en pleine tempête.
Cette semaine, je me rendrai au bord de l’océan breton avec vos échos et tout ce qui sera prêt à sourdre, ici et là.
Texte magnifique. Le Je n’est jamais complètement Soi, bien sûr. C’est une idée, un possible. Cette mort là est belle, en tout cas.
À la lecture, m’est revenu en tête cette chanson de Ferré :
Ne chantez pas la Mort, c’est un sujet morbide
Le mot seul jette un froid, aussitôt qu’il est dit
(…) C´est un sujet tabou pour poète maudit
Je la chante et, dès lors, miracle des voyelles
Il semble que la Mort est la sœur de l’amour
La Mort qui nous attend et l’amour qu’on appelle
Et si lui ne vient pas, elle viendra toujours
La mienne n’aura pas, comme dans le Larousse
Un squelette, un linceul; dans la main, une faux
Mais fille de vingt ans à chevelure rousse
En voile de mariée, elle aura ce qu´il faut
De grands yeux d’océan, une voix d’ingénue
Un sourire d’enfant sur des lèvres carmin
Douce, elle apaisera sur sa poitrine nue
Mes paupières brûlées, ma gueule en parchemin
(…) Et n´allez pas confondre et l’effet et la cause
La Mort est délivrance, elle sait que le Temps
Quotidiennement nous vole quelque chose
La poignée de cheveux et l’ivoire des dents
(…) Le Temps c’est le tic-tac monstrueux de la montre
La Mort, c’est l’infini dans son éternité
Mais qu’advient-il de ceux qui vont à sa rencontre?
Comme on gagne sa vie, nous faut-il mériter
La Mort
La belle terre attendra !
Tu as encore trop de choses à ecrire, à dire et à vivre pour la fertiliser, ici bas.
Continuer à partager, une autre idée de la vie…
Dire bonjour à l’océan de Bretagne, de ma part.