TERRAIN FRAGILE 2025 – journal de juillet

mardi 1er juillet, Les Fougères
Journée la plus chaude de la séquence caniculaire. Les plantes vont souffrir. Les animaux, les hommes aussi.

mercredi 2 juillet
Hier soir les orages ont tourné au-dessus des jardins. Le ciel était noir côté sud et il y a eu de grandes rafales de vent qui n’ont fait que bousculer la poussière. Les brebis près du bois ont bêlé longtemps. Pas une goutte de pluie. La sécheresse est une réalité qui m’atteint au plus profond. Malgré tout, les plants de courgettes sont beaux et chargés. Ces légumes jaunes ou verts ont une chair douce et délicieuse, passés à la poêle avec de la coriandre et une pointe d’ail frais. Les premières tomates ont paru. Découvrir cela me réjouit. J’en parle à ma petite mère que je dorlote autant qu’une fleur fragile.
Je veille aussi sur mes poules rousses, leur portant de l’eau toutes les deux heures pour mouiller les trous d’herbe sous le chêne où elles nichent. Elles ne se plaignent pas, restent tranquilles. Elles attendent.

on dresse l’oreille
comme pour entendre le vent
rien que bleu qui brûle

3 juillet
19° au matin. Le pic épeiche est revenu. Revivre alors.
Je découvre le texte de Philippe, Signal/Bruit #90, où il évoque son besoin depuis qu’il est enfant d’un « pas de côté » pour demeurer « en retrait, prévenir les coups qui ne manqueront pas de pleuvoir. » Je m’interroge sur ce qu’il a vécu. Il faut pourtant oser se porter vers l’avant, prendre ce risque pour éprouver le fait d’être vivant.
Quel prix sommes-nous prêts à payer pour trouver l’apaisement, autrement dit le bonheur ? Entre deux gestes, deux émotions, installer le bon rythme, la bonne respiration pour attraper au vol ce qui arrive à notre portée.

4 juillet
Récemment Thierry C. écrivait dans son journal : « Le carnet consiste à dire celui que je suis, ce que je pense ou ressens dans l’instant ». Et aussi : « Dans le carnet, je me donne le droit d’atterrir. »
Je ressens à peu près la même chose. Le carnet ou journal est un moyen d’être dans le présent et libre.
Force est de constater que les lecteurs aiment cette forme, ils le disent dans leurs commentaires. Ils ressentent l’atmosphère du jardin, ont de l’intérêt pour les animaux et leurs aventures. Le journal est aussi une façon de saisir à vif le réel et non l’inventé.

samedi 5 juillet

ce qui se révèle
dans la frange du réveil
des livres à écrire

dimanche 6 juillet
Toujours elle va à la messe le dimanche, bien vêtue, bien coiffée. Elle trotte depuis son appartement jusqu’au parvis de l’église récemment rénovée. Il y a foule assemblée dans la nef en été (beaucoup de monde sur la côte et les Bretons sont attachés aux traditions religieuses), ce qui m’étonne toujours quand elle me le rapporte. Dès mon plus jeune âge, je n’ai pas envisagé la vie de ce point de vue-là. Sans doute ne suis-je qu’une pauvre brebis égarée.
Enfin la pluie a commencé dans la matinée. Étonnées, les poulettes sont restées sur le seuil de la cabane. Les jardins et les corps revivent sous les rideaux de pluie fine poussées par le vent de sud-ouest.

lundi 7 juillet
À propos des oiseaux. Les hirondelles se sont enhardies, habituées à nos présences. Elles se perchent haut sur les fils et chantent de toutes les façons possibles. Côté poulailler, la dernière poule arrivée ne fait plus le mur depuis que les portillons ont été rehaussées. Ne plus craindre pour elle une attaque de renard ou de martre.
J’aime l’idée énoncée par la jeune Isabelle qui vit à Saïgon, de créer un cimetière pour les oiseaux. Elle dit que c’est triste de laisser un oiseau mort comme ça. Je pourrais bien en inventer un quelque part sur le coteau.

mardi 8 juillet
Événement insolite : l’un de mes sabots de jardin, disposés devant la porte, a disparu pendant la nuit. Introuvable dans les fossés alentours. Quelqu’un me l’aurait-il volé pour me faire une farce ?

jeudi 10 juillet
Les incendies dans la région que j’ai quittée me tourmentent. Le causse de Montdardier est en flammes, difficile d’accès. Je crains pour les amis là-bas. Toute cette végétation dévorée, annulée du paysage, noir désormais. Comme une compensation de remettre en fonction l’une des réserves d’eau effondrée dans un coin reculé du jardin. Impossible de laisser passer le prochain orage sans récupérer l’eau précieuse.

vendredi 11 juillet
« l’Histoire est simplement devant les yeux,
pas besoin de mémoire, elle est vive
et elle court comme un chevreuil à travers bois. »

samedi 12 juillet
Le peu de pluie a fait du bien au potager. Malgré la sécheresse précoce, les légumes sont beaux : courgettes jaunes et vertes, concombres lisses ou épineux. J’ai distribué la moitié des concombres aux amies du club de gym, ravies.
On dirait que le vent a cessé, ou presque. Toujours pas retrouvé mon sabot.

dimanche 13 juillet
Écrire c’est comme aimer, passer la main sur la peau.

lundi 14 juillet
Pas encore parlé du champ de tournesols en face de la maison. Au printemps Pierrot a dit : cette année, je vais semer du tournesol. J’avais répondu que c’était une bonne idée. Dans ma tête, les toiles de Ceija Stojka, artiste rom rescapée des camps, disparue en 2013. En bas à gauche de ses tableaux, toujours une branche d’arbre (sa signature).

mardi 15 juillet

fraîcheur de nuit
inonde les frondaisons
pareilles à des façades

mercredi 16 juillet
L’été sèche la terre et pousse le corps à l’intérieur de la maison pour écrire. Mais de quoi ça parle et où ça touche ? quel est mon territoire d’envie, mon territoire d’emprise ? Ce matin je ne sais pas sinon l’intime de l’existence qui paraît comme une forêt qui défile quand on passe vite en voiture.
Il y a l’été en moisson.
Il y a le vent rageur et le feu qui menace.
Il y a les petits d’animaux qui grandissent.
Le voilà mon monde. Impossible de m’en éloigner, et l’histoire s’inscrit dans ce moment où le vent se renforce encore et produit ce bruit singulier à travers les arbres, celui du dehors et du dedans mêlés, comme obsédant.

vendredi 18 juillet
Je n’avance guère sur les chantiers d’écriture que je voudrais poursuivre mais c’est ainsi. De nombreux jours à tenir bon la barre et à lutter simplement contre la marée.
En fin de journée, le soleil frôle le bord des arbres. Je m’aventure de l’autre côté du grand champ avec l’envie de photographier une fois encore les tournesols.

samedi 19 juillet, Meilhards (Corrèze)
Lever tôt pour rejoindre un salon du livre au nord de la Corrèze. Il pleut par intermittences. Les odeurs de feuille et de terre remplissent l’habitacle. Parfums inédits, corps tassé sous le ciel sombre. J’arrive dans les temps, songe aux rencontres à venir. Jamais une journée autour des livres ne se passe sans qu’une étincelle jaillisse.

dimanche 20 juillet, Les Fougères
Prendre son temps avec la pluie qui frappe les vitres. Vibrer avec le dehors. Écouter la vie qui reprend cours.
Je profite d’une accalmie pour porter un panier de légumes à des personnes qui les apprécient.

lundi 21 juillet

réveil avec pluie
sa résonance particulière
écouter me réjouir

mardi 22 juillet
Les prunes rouges ont été cueillies, moins nombreuses que prévu. J’en tire tout de même trois beaux pots de confiture, l’une de mes préférées. Longtemps les hirondelles ont tournoyé entre les arbres et les toitures, parfois à raser le sol. Un ballet étonnamment gracieux réglé par la présence des insectes.

23 et 24 juillet
Il ne se passe pas grand chose.
Je vaque, laisse mes pensées filer, regarde les épis de maïs qui ébouriffent le champ là-bas. Je remue des souvenirs de ville et de voyage.
Des averses sont annoncées. On dépose un cageot de concombres en libre-service au bord du chemin pour ceux qui passent. Je vois que mes hydrangea paniculata ont repris de la vigueur. J’aime le glissement du blanc au rose pâle des inflorescences au cours de l’été. Vers dix-huit heures, les lueurs d’orage ont exacerbé les couleurs du monde.

vendredi 25 juillet
La chatte a rapporté un oiseau, petit traquet des buissons au ventre jaune. Il était chaud et tendre. Je l’ai lentement caressé d’un seul doigt puis je l’ai déposé au cœur d’une plante en pot en attendant de lui trouver une boîte. Je voulais inaugurer le cimetière des oiseaux évoqué par la jeune Isabelle. Une heure plus tard il n’était plus là. J’ai osé penser qu’il s’était réveillé.

samedi 26 juillet

le ciel la terre
le mouvant et l’immuable
ce qu’on retient de l’élan

dimanche 27 juillet, Mortroux (23)
Je roule à travers campagne et petites forêts. Je pense aux pays en guerre à traverser ce décor calme et désert. À l’arrivée on me dit qu’il « brouzine ». En Bretagne on dirait qu’il crachine. Drôle de saison.

lundi 28 juillet, Les Fougères
Le ciel est clair, le soleil timide. Il fait 14°. Je sens tout l’air du monde entrer dans la chambre. Une mésange a pénétré la maison et se cogne contre les murs. Je parviens à la libérer. En un éclair elle a rejoint le jardin.

30 et 31 juillet
Haïku du matin pour Philippe et échanges profitables avec les amis de l’atelier Tiers Livre. Diverses façons d’écrire. Juillet proche de sa fin.

Photographies Françoise Renaud, juillet 2025

18 commentaires

  1. Merci Françoise pour ce moment de paix, de fraicheur et d’attention au monde, cette bulle de tranquille beauté que tu nous offres, ce repos émerveillé tandis que tout s’agite autour de nous.

  2. Toujours ton coin de vie si plein de charme et ta façon de raconter cette vie qui donne ta présence. Te dire que tu as fait fort avec tes tournesols noirs et blancs. Fallait oser. Tu le fis et fis bien. Magnifique! On en veut davantage.

    • essayer de voir d’abord, de discerner, d’observer, d’examiner, de ressentir… et puis ensuite écrire…
      je n’ai mis qu’une seule photo tournesol en noir et blanc, et pourtant j’en ai des bien belles… oui, un paradoxe que j’aime bien…
      je continue pour août, alors tu en sauras bientôt davantage (j’ai songé à publier tous les quinze jours, je ne sais pas…)
      merci Den pour ton retour de lecture, grand plaisir…

  3. Que te dire ? Je viens de te lire … alors que mon sang est en train de bouillir… cette nuit entre 23 h et 2 h du mat notre lotissement va être pulvérisé d’insecticide… on doit tout fermer et rentrer les animaux… et ne ressortir que vers 6 h demain matin. Tout ça à cause d’un cas de dengue chez une personne qui revient de Tahiti et la présence de moustiques-tigres dans le quartier… C’est branle-bas de combat

    • ici, il n’y a pas de moustiques, ni tigre ni autre… un des rares coins en France
      Bon courage à toi et à ton chat noir…
      et tu sais que l’expression « branle-bas de combat » vient de la marine, lancé quand le navire allait être attaqué… mais il ne s’agissait pas de moustiques !!

  4. Quel regard, quelle émotion, quel bonheur à chaque fois que je te lis ma chère amie. Je suis là avec toi, près de toi entre les tournesols , sous un ciel orageux ou au milieu de tes poulettes….. quelle beauté que ce coin de France !
    Je ressens tout comme toi !
    Quel bonheur d être ainsi à l unisson !!!!
    À te voir vite belle amie.
    Maryse

    • il est question de « voir », voir avec les yeux, « voir » avec les autres sens, « voir » avant de pouvoir l’écrire…
      nous avons partagé l’écriture, la publication, désormais nous partageons la nature de l’intérieur des terres, les prairies, les forêts
      merci Maryse, pour tes mots posés ici et à te voir vite… en automne…

    • Jacqueline Vincent

      Tout doux… Ma fenêtre ouverte sur un ciel parsemé de gros nuages cotonneux, je rêve. A ce monde d’arbres et de fleurs traversé par ton regard qui sait toujours si bien capter la vie qui bat et se bat pour survivre…un monde végétal doux et cruel Que l’animal traverse – pattes de velours – mais que l’Homme s’applique à agresser – sabot volé….

      • doux et cruel, souple et dur, caressant et violent
        les extrêmes se côtoient de même que dans notre cœur et dans notre vie faite d’alternances et de contrastes imprévisibles
        te retrouver ici, dans ces pages, toujours…
        merci Jacqueline, grande amie de Savoie

  5. Juliette Derimay

    J’adore ta cuisine mélangée de jardin et d’écriture. Un peu jalouse de ceux qui profitent de tes légumes, heureusement nous restent tes textes, à nous qui sommes trop loin, ça nous dépose doucement dans ton dehors

    • quoi laisser du jour qui passe ? quoi retenir en mots ?
      alors toujours le ciel, les arbres, les animaux… bien sûr je me demande si ça a de l’intérêt pour celui qui passe, mais sans doute que oui, cette « cuisine » comme tu dis qui me ressemble et qui peut entraîner « doucement dans mon dehors »
      si beau, merci Juliette

  6. Plongée dans ta nature, j’ai beaucoup aimé les histoires d’oiseaux, tant celle du petit oiseau au ventre jaune qui, j’en suis sûre s’était réveillé que la mésange qui entre dans la maison… toujours difficile de les faire sortir tant ils se cognent partout et qu’on voudrait les protéger.

    • oui les oiseaux sont si présents ici, infiniment plus nombreux que les humains, et de tant d’espèces différentes… il y a les petits, les doux, les bruyants, les féroces… c’est comme les nains !! je n’oublie pas la buse rapace qui a dépecé deux de mes poulettes !
      merci d’être venue jusqu’à ma maison, chère Lydia

  7. Pour moi, je le lis à petites doses, ce Juillet, pour le faire durer.

  8. Consternation : ton journal était en spam. Le constat de la sécheresse est impitoyable, les photos choisies magnifient la vigueur de la végétation. A une époque en Drôme avec mes petits-enfants nous avions créé un cimetière à oiseaux et le rituel était sérieux, le cérémonial sincère.
    As-tu retrouvé ton sabot de jardin ? Ah…triste Montdardier !!! moi qui l’ai connu sous épisode cévenol.
    quel plaisir de te lire, ainsi tu nous fais partager ta vie, notre monde sous toutes ces facettes. Mille mercis Françoise.

    • que d’échos à mes petites choses quotidiennes consignées ici comme par exemple le cimetière des oiseaux ou la mémoire des sécheresses
      je n’ai pas retrouvé mon sabot… un chien ou un renard passé par là ? je ne sais pas…
      et puis Montdardier où nous avons failli nous rencontrer mais une séquence orageuse nous en a empêchées ! je me souviens aussi de tout cela
      merci pour tes échos, chère Odile, et continuons à croiser nos mémoires…

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