carnet d’installation | 28 mai 2023
peu de temps pour lire, rien qu’une poignée d’ouvrages dressés au chevet et sur la table de travail, les autres au repos dans des cartons entreposés dans le hangar, comme il me tarde de les sortir, oui mais il faut attendre encore, ce n’est pas le moment, chantier dans ces parties de la maison qui accueilleront mon quartier d’écriture et mes petites bibliothèques — mot qui me donne à imaginer les rayonnages avec les livres aimés des auteurs qui comptent plus que d’autres, les coquillages, les petits objets issus de voyages et les photographies –, pour le moment me contenter de quelques livres et de cette connivence inattendue qui s’est installée avec eux parce que je les prends dans mes mains, les parcours le matin au réveil avec le chant du monde dans la fenêtre, il n’y a guère de villes par ici, je suis entrée dans une zone de terres et de forêts où les livres n’existent pas sinon ceux greffés dans ma mémoire comme épitaphes sur des stèles ou signes gravés sur des murailles dressées témoignant de certaines vies d’homme, de leurs voix grêles ou puissantes, de leurs visages, de leurs mains rudes
et leurs voix contenues dans les livres habitées de syllabe en syllabe
murmures morsures
à cette saison les sillons de la terre sont cachés par les herbes longues et secouées de vent, au hasard de loin en loin des groupes de bâtiments d’aspect inébranlable aux portes closes, il y a des sources, il y a des talus où la roche érodée paraît, des creux avec des étangs investis d’oiseaux, il n’y a guère de villes mais des routes sinueuses aux courbes gracieuses au ras des bosquets qui conduisent d’un bourg à l’autre, toujours un rapace ou deux qui planent au-dessus des genêts, il y a des routes sans fin où presque personne ne passe, elles mènent pourtant quelque part, vers une ferme, un château ancien doté de remparts-lisières rongés de clématite et de lierre — vestiges d’une vie plus intense sans doute –, il y a des champs broutés par les troupeaux de bêtes heureuses fauves et lourdes, il y a des filons aurifères, il y a des arbres aux feuillages vernissés, oui décidément peu de villes, une étrange respiration saisit à la gorge et au ventre et il se dessine comme des replis dans le jour,
des vastitudes dans un temps incertain
des pauses au secret du rocher
on s’adosse au muret pour accueillir les lueurs entre nuages infusées
UN PLI DANS LE TEMPS A VENIR
un pli dans le temps et il faut y entrer
Photographie ©Françoise Renaud – route des Fougères, mai 2023
J’ai remonté le temps jusqu’aux poules, où j’avais laissé ma lecture. Je pense ma chère Françoise que tu es au bon endroit pour l’écriture d’un roman. Il y a une mise en scène, une lumière et de nombreuses tonalités. Je crois aussi qu’il y a des « personnages ». Et je pressens que tu n’as pas attendu ce petit mot que je te donne ici pour entamer ce travail. Ici, c’est Montpellier. Pas de chant d’oiseaux, ni de prés. Des travaux (la nouvelle ligne de Tramway – le réaménagement de l’Esplanade – etc.) transfigurent l’espace, des boulevards interdits aux voitures, un tunnel qui passait sous la Comédie fermé. L’été arrive, nous savons ce qui nous attend. Je m’acclimaterai assez vite, je verrai bien… Je t’embrasse.
Mutations permanentes de la ville dont je me suis éloignée pour gagner un territoire perdu… et il y a tant à dire ici ou ailleurs, tant que je déplie progressivement et que je compte déplier encore toute la fin d’année…
Et la matière nous appelle quoi qu’il en soit et là où l’on se trouve
Un roman peut être… qui peut savoir ?
Merci Pascal pour ta lecture fidèle…
Sortir tes livres des cartons, oui mais en commencer un autre. Tout est réuni pour un prochain roman, la nature, la terre, les odeurs, les lumières. On sent que tout est presque prêt, tu as atteint un point proche de la création. Les mots que tu déploies dans ton texte sont déjà ceux d’une future aventure. Le texte est très beau, moi j’attends la suite.
Tant de si belles phrases qu’elle se suffiraient à elles-mêmes. L’envie de les broder, un jour sûrement. Tout ce qui surgit comme image dans la tête à les lire, elles qui nous font échapper comme les autres qui donnent à voir. Je marche aussi dans tes paysages à te lire.
C’est ça Françoise, un pli dans le temps à venir…
et comme il m’a été difficile de glisser un document dans une enveloppe apparue sur l’écran via internet, la vie aujourd’hui : des gestes à apprendre, ce nouveau lieu reste pour toi encore à appréhender dans son essence profonde. Une Terre sans ville sans superflu ni bruit que tu dois apprivoiser pour pouvoir te glisser demain dans son intimité. Alors, les livres pourront prendre leur place et, devenue une Femme du Pays profond, tu pourras lui offrir à cette Terre sauvage les mots qui l’habilleront de beauté.
au fil des saisons, le carnet — le « presque roman » — se dessine différemment, s’approfondit, se dit autrement
je cherche mille manières de l’apprivoiser…
Chacune en chemin, je nous sens proches bien qu’éloignées …
Le temps de l’observation, de la retenue avant le grand élan… ou les tout-petits pas…
On verra !
Merci pour tes mots en tout cas, ils bercent et donnent à voyager…