Affinité pour la description : se saisir d’un élément dans le grand dehors du monde, pas dans l’environnement privé, et en faire un objet texte… peu importe ce qui est choisi, mais plutôt l’échelle avec laquelle on en saisit la matière, le détail… dans l’inspiration de Gertrud Stein « Acquaintance with description »
Le Tiers livre ici
Ce trouble qui envahit à emprunter le sentier, ce vague sentiment d’insécurité à se retrouver corps soudain contenu dans la marge étroite définie par deux murs suffisamment élevés pour dominer le marcheur et abondamment couronnés de lianes et autres plantes envahissantes au point de procurer une sensation de jungle – fouillis adhérant ou griffu retombant en de nombreux points le long des parois, genre de luxuriance qui habille en un rien de temps les murailles –, cette impression d’enfouissement qui pesait sur la poitrine et précipitait un peu la respiration (à peine mais accélération tout de même discernable) bien que le ciel demeurât immense au-dessus de la tête, ciel tendu en effet entre les collines forestières pentues occultant les horizons de l’est et de l’ouest, en même temps cette sensation d’aspiration vers le haut de la vallée encore invisible (on en devine l’existence à l’échancrure du ciel, au loin, qui prédit un col entre les bosses) à progresser ainsi sur le sentier faufilé entre les murailles jadis construites avec les pierres du torrent, simples pierres grises, parfois tirant sur le jaune ou le rouille, déformées au fil de l’histoire tectonique régionale puis érodées forcément, à présent hérissées de lycopodes dans ses entrebâillements, de nombrils de Vénus et autres espèces de fougères de petite taille qui se plaisent à croître dans un peu de terre maigre.
En vérité le plus troublant était d’atteindre ce virage qui s’amorçait juste après le jardin abandonné qu’on entrevoyait en passant devant le portail défoncé par la dernière inondation et qui bien sûr réveillait de la peine, un virage qui n’en finissait pas de se dessiner, une courbe lente et magnifique qui avait dû donner du fil à retordre à ses bâtisseurs et qui suivait habilement le versant à mi-hauteur tout en contournant le traversier en jachère situé au-dessus, c’est alors qu’on pouvait ressentir la sécheresse des pierres contrastant avec la verdure omniprésente, en observer les détails, les toucher même : linéations, déformations, minéraux incrustés, facettes oxydées donnant idée du ventre des montagnes. Y surprendre dans la portion la plus ensoleillée un lézard attentif ou une bande de papillons s’éparpillant à la moindre alerte. Enfin percevoir la rumeur légèrement résonnante du torrent qui roulait à une vingtaine de mètres par-delà le rempart accompagnée de bruissements d’insectes et de chants d’oiseaux, rumeur plus ou moins remuante selon l’heure et plus ou moins intense selon la saison, rumeur qui de toute façon éloignait des bruits urbains fracassants. Comprendre alors combien ces hautes parois savaient accueillir dans le resserrement de leurs pans et l’ample déroulement de leur méandre – un peu à la façon d’une enceinte – , murs pareils à des structures indissociables du déplacement des personnes et des troupeaux, murs pareils à des bornes du temps aptes à raviver des sentiments intimes éprouvés dans l’enfance et des frayeurs enterrées, à la fois fragilisant et protégeant celui qui marche, seul dans la mémoire des siècles précédents, regard tendu vers le col là-bas, pleinement nourri de l’ambiance sonore et du rythme des pierres, ressentant dans son dos la masse du pays puissamment implanté qui participait de la même euphorie et du même paysage.
Photographies : Chemin des Horts, françoise renaud, juillet 2019
Ton texte me parle… Lors de mon dernier séjour à St. Laurent, j’ai poussé mes pas sur le sentier qui prolonge ton jardin et j’ai ressenti cette sensation d’insécurité, comme « une peur venue de l’enfance, de déboucher sur nulle part au milieu de cette végétation luxuriante et oppressante. Après le virage, je suis alors rapidement revenue sur mes pas retrouver ton antre protectrice et accueillante. Jacqueline.
Tres beau texte qui reflète bien les sentiments que l’on éprouve lorsqu’on marche seul dans un univers différent de l’habituel. Par cette canicule, cela rafraichit bien et me rappelle intensément ton petit paradis.
Difficile d’ajouter quelque chose à ces commentaires sur des matières inertes et pourtant tellement présentes dans ton environnement qu’on les sent vivre. Ces pierres, ces murs, ce silence qui les entoure lorsqu’on parcourt ce petit bout de route qui longe ton jardin, tellement plus vivant.