Mowlia la douce, Mowlia la guérisseuse, la bienveillante.
Elle garda l’œil sur le malade le jour la nuit, sa concentration était extrême. Parfois elle murmurait des mots à son attention, des phrases incantatoires, tandis qu’elle lavait sa plaie, rafraîchissait ses joues et sa poitrine, ou simplement demeurait à l’écoute. À certains moments il semblait aller mieux puis il retombait profond dans le puits. La fièvre le pétrifiait contre la couche. Les démons couraient en lui comme du feu. Pourtant elle s’obstinait, mouvements précis des mains ajustés aux impulsions du corps souple, habité du désir d’arracher cet inconnu aux limbes, coûte que coûte.
Alors que Mermel luttait, Riks et Clod avaient été installés dans une maison voisine, au-dessous d’une réserve à foin. Le chasseur qui s’appelait Yuli leur avait entravé les mains avec une corde et avait bloqué la porte.
Plusieurs nuits d’affilée, ils avaient entendu le hululement des rapaces nocturnes, le raffut des rongeurs dans les greniers, quelques pleurs d’enfant, et ils s’étaient demandés combien d’habitants comptait le village. Une question les obsédait : qui était la femme au ventre plein – fille ou femme de Yuli, comment savoir. Ils ne se confiaient rien de ce qui les tourmentait, ils attendaient simplement la montée du jour, veillant à tour de rôle comme par habitude.
Quand un nouveau soleil sortait de terre, une fillette leur portait de la soupe de légumes dans un pot et une sorte de fromage qu’ils ne connaissaient pas, fort bon d’ailleurs, qu’ils dévoraient jusqu’à la dernière miette. Le temps était devenu flou, décompte abandonné des semaines et des mois écoulés depuis leur départ, depuis la chute des compagnons dans le vide, depuis le combat contre les oiseaux noirs. Sans doute qu’ils s’en moquaient, ces données n’ayant plus de réelle incidence sur leur proche devenir. Ils ne se fiaient plus qu’à la saison, qu’à la chaleur.
Un matin Yuli revint. Il n’avait pas de carabine.
Il coupa la corde qui retenait leurs poignets, les fit sortir et les entraîna plus haut dans les pâturages pour l’aider à récolter le lait des brebis. Tout se passa si bien avec les animaux qu’ils eurent bientôt la liberté d’errer à leur guise en lisière de forêt. De loin, il arrivait qu’ils aperçoivent quelques hommes à cheval. Des rapaces aussi dans le champ du ciel. Leurs silhouettes et les élans de leur parade nuptiale ne leur étaient pas inconnues.
En redescendant au village, ils croisaient quelques femmes qui baissaient craintivement la tête avant de se faufiler dans les maisons. Et ils la rencontraient, elle, Mowlia. Chaque fois ils se demandaient de qui était l’enfant qu’elle portait.
Mowlia avait vu l’œil de Clod injecté de sang et elle lui avait fabriqué une pâte à humidifier et déposer sur la paupière. Elle lui avait montré comment s’y prendre.
Finalement la patience paya.
L’œil de Clod guérit et Mermel devint capable de se redresser sur la couche. La première fois qu’il se leva, il marcha jusqu’à la porte pour contempler la lumière qui glissait contre les flancs de la montagne. Il était étonné d’être là. Il avait oublié l’avant. Il était comme neuf et le regard qu’il portait sur le monde était infiniment doux, comme influencé par le corps rond de Mowlia.
Entre ces deux-là un lien s’était créé, pas de doute. Un lien fait de silence et de corps en fièvre.
Le soir ils se rapprochaient l’un de l’autre, insensiblement. Il n’était pas besoin qu’ils se regardent et qu’ils en fassent davantage pour que les autres sentent leur proximité – leur désir.
Riks craignait que cette connivence n’éveille les foudres du chasseur patriarche et chef de tribu. Pourtant une chose le rassurait : en l’espace d’une saison, Yuli était devenu presque amical et eux étaient passés du statut de prisonnier à celui d’homme libre. Ils étaient même devenus des membres à part entière de la communauté. Ils s’étaient taillés des bâtons pour diriger les bêtes, avaient sculpté des écuelles pour la soupe et des petits outils pour manger. Tout le monde les appelait par leurs prénoms et ils connaissaient ceux des douze enfants qui recherchaient leur présence parce qu’ils étaient différents et stimulaient leur imagination. Une langue avait commencé entre eux à s’inventer, faite des différents langages pratiqués par les peuples des deux versants – les racines communes facilitaient bien les choses.
La falaise, elle, demeurait invisible, loin vers le nord, avec son lot d’incertitudes et de créatures maléfiques.
(à suivre)
Photographie : Surprise view, de Bona Mangangu, 2015
Encore, encore! Toujours aussi fascinant, on attend la suite . C’est comme si on y était. Mais que va-t-il advenir de ce rapprochement entre Mermel et Mowlia…Ca sent l’intrigue tout ça!
La photo de Bona est très bien adaptée et très réussie.
J’aime l’ambiance qui règne dans le village et ce qui s’amorce entre les personnages. C’est aussi doux que toi et plein d’espoir… La rencontre entre des êtres qui apprennent à se connaître et qui se reconnaissent. Toujours le suspense de ce qui va advenir. Sois bonne pour eux tous.