recherches sur la nouvelle
Le Tiers Livre – atelier d’hiver #7, écrire sans sujet à partir de ‘Journal’ de Virginia Woolf
(écrire le contexte du lieu de l’écriture, les conditions matérielles, les heures, la fatigue…)
Mercredi 6 février
Quand est ce que ça vient et où est-ce que ça va ? trop chaud trop froid, trop vite trop tard. Peut-être dans ce moment au sortir du sommeil : cerveau en mode oubli, respiration inaudible et bruits feutrés comme s’il avait neigé. Rester dans l’abandon de la nuit une heure encore dans la chambre douce en lumière, là où les choses se disent à voix basse et où les douleurs – tous les genres de douleur – sont plus vives, les perceptions plus profondes qu’à vivre en plein soleil. Il y a cette quantité folle de mots passés en revue dans le noir avant le sommeil et dans ces interstices où l’on croit ne pas dormir. Je me souviens, alors le livre s’écrivait tout seul dans une extrême lucidité, rien de flou, chaque élément parfaitement en place, et puis cette multitude d’images traînant à la queue leu leu avant de filer loin.
Jeudi 7 février
Aujourd’hui je ne sais plus où j’en suis avec ce roman, si je suis sur la bonne voie. Je crois avancer, par petits bonds, un peu comme les oiseaux qui volètent dans les bras de l’arbre ou les écureuils. En fait non, ça n’avance pas. Il me faut tout recommencer, changer de point de vue, changer de temps pour raconter. Je m’effraie de la suite et je reste au tiède du lit pour ne pas sentir le découragement. Du thé à volonté, boisson précieuse et parfumée dans son pot anglais : Earl Grey à fleurs bleues, goût connu comme un repère nécessaire. Rester au tiède du lit – le feu n’est pas encore allumé dans le Gaudin –, couvertures sur les pieds, ordi posé sur les cuisses. Continuer. Juste un groupe de mots, une phrase. Regarder le bloc où sont posées des notes, des phrases que j’aime qui pourraient me servir. Le lit, le chaud, le thé, le calme de la maison, le silence de la vallée, l’immensité du ciel et la petite fenêtre qui rappelle que dehors le monde existe. Une heure, deux heures. Je reste avec moi-même, peut-être que j’ai tort.
Vendredi 8 février
La page s’est enrichie et il reste encore un peu de thé. Je poursuis, je persévère, j’hésite, je fatigue, je médite, enfin je relis tout haut ce que je viens d’écrire. Trop tard trop vite. Près de la lampe il y a des livres pareils à des morceaux de mon âme, ils peuvent me happer ou me redonner confiance pour peu que je les prenne en main. Les pistes ouvertes se sont refermées et les images de la nuit ne sont plus que des fantômes, pourtant le roman est là, en moi. Il flotte à la fois présent et irréel. Je connais la couleur de ses veines, la fragilité de ses articulations. Il y a du bruit dans la ruelle, un chien qui aboie, quelqu’un qui frappe à la porte, je m’en moque. Où est-ce que ça va, les mots ? Je m’en moque, je travaille, je caresse les livres et la chatte venue me rejoindre, je lui parle — elle aussi aime la tiédeur du lit le matin avec le soleil parfois dans la petite fenêtre. Les événements minuscules viennent se tatouer dans la phrase en train de se construire et dans la trame du livre, par exemple l’aboiement du chien, le facteur qui dépose un paquet, le mauvais temps, un coup de fil inattendu, Bernard qui vient livrer du bois. De toute façon je ne sais pas ce que je vais écrire – quel écrivain pourrait le savoir ? –, il y a seulement que je travaille et il arrive des moments où le roman coule dans le moule comme une pâte à gâteaux. Tout ou rien. Le livre en train de s’écrire est libre. Il a déjà un visage vers lequel je m’avance.
Photographie de Françoise Renaud (toujours la série « Le cadavre dans l’escalier », 2017)
Ici le lien vers le Tiers Livre, « en 4000 mots » | recherches sur la nouvelle
Il est rare qu’un écrivain témoigne de l’extrême difficulté d’écrire un roman. Il y a comme tu l’énonces une approche vers un visage, comme si la glaise fabriquait le sculpteur.
l’ébauche, un mot qui avance, un autre qui vient puis s’en va. La difficulté de poursuivre malgré la tiédeur du lit qui rassure. Il finira bien par arriver ce roman malgré les obstacles rencontrés à son élaboration.
Ni tout à fait éveillée , ni tout à fait endormie, comme dans un rêve.
Oui, décrire cet état n’est pas facile mais ton texte le définit très bien, d’où le mérite d’aboutir un jour.