Il existe une île dans le Nord armoricain. Plutôt une suite d’îlots rocheux parsemés sous le drap du ciel, noirs et roses et bleus, où la réalité s’estompe au profit du sensible, où chaque parcelle de terre délivrée des poussières par le bal des marées modifie ses contours en émergeant ou s’ennoyant, un peu comme l’animal s’aplatit dans l’herbe pour se fondre dans le paysage.
J’y séjournais il y a peu.
Et j’ai vu comme une fissure entre la côte et l’île, une fracture suintante mouvante froissée de courants où le bon nageur se perdrait à coup sûr.
Quand la mer se retire comme ça — on ne sait pas où elle va —, on dirait un vaste chantier en attente. Plantés sur le rivage on attend aussi, nous les vivants. On attend la remontée des eaux, la volte-face du vent épicé, on attend l’arrivée du bateau pour rallier l’île ou au contraire s’en retourner vers le continent.
On contemple le ciel forcément.
Et l’eau. Et la ligne de terre en face. Et le ciel à nouveau.
On attend.
Pour être née sur un autre rivage un peu semblable, j’ai reconnu le corps de ce pays dans sa rudesse et sa souplesse. La nature des roches diffère mais la présence de l’océan confère aux courants d’air la même odeur et on ne sait plus où porter les yeux tant il y a de choses à voir. J’ai ressenti parfois une subite mélancolie à cause de la fugacité des nuages, à cause des barrières invisibles qui séparent du divin bien qu’on se trouve loin des villes. En arrière, le souvenir de la fracture qui borne le territoire de l’île et donne l’impression d’être passé de l’autre côté. Avec l’idée qu’on va partir un jour, quitter le monde d’ici pour gagner les déserts de lumière blanche. D’autres îles, ailleurs. On aimerait qu’elle ressemble à celle-là avec des jetées embrumées et des chaos de granite à border l’océan.
Et maintenant j’aurais tant à écrire pour vous dire la pureté du vent, les champs juste fauchés au bord des prairies marines, les jardins noyés de roses et les agapanthes au bord d’éclore.
De tous côtés ce chant à notre portée : nuages vagues vent champs de pommiers et murs de pierre. Forcément on oublie l’habituel de la vie. De l’autre côté de la fracture, on se laisse fasciner.
On jouit de l’île.
On jouit de la splendeur.
Le vent enfle avec la marée montante, les maisons sont tapies, pas de voitures. Le soir, quand les visiteurs s’en sont allés, quand les lumières du village s’éteignent, il n’y a plus que le cœur de l’océan qui bat et notre sang, mouvement vital au-dessous de la voie lactée.
Photographie : Bréhat, ©Françoise Renaud, 2013
On se croirait à tes côtés. Nous y sommes.
Cette photo me touche très fort. Elle exprime toute la beauté du paysage marin. Et ton texte est magnifique et tellement évocateur… Tout est dit il n’y a rien à ajouter et à dire de plus… merci ma belle amie !
Roches, cailloux, marée, vent, air , étoiles, il n’y a qu’une amoureuse de la nature pour les associer avec tant de talent.
Tu n’aurais pas eu besoin de signer Françoise, je t’aurais reconnue.
photos magnifiques. Texte parfois un peu redondant dans le lyrisme, plus juste dans le choix sévère des mots disant la réalité d’un rocher estompant toute autre réalité
Une approche très sensuelle de la Bretagne que je partage bien sûr ! On vit avec toi la rudesse de ces éléments mais aussi les couleurs, les odeurs. J’adore « le vent épicé » qui rappelle ce parfum d’iode si présent avec les algues ; la Bretagne a du caractère et du talent… comme toi ! Bises