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Être réelle, écarquillée le plus possible quand je séjourne dans ce lieu où l’écriture arrive, se fabrique. Quelquefois rien du tout.
Ou pas grand-chose.
Quelques lignes. C’est difficile d’avancer. Avancer pour soi – un ami le disait il y a peu.

Bureau peint en rouge, construit exprès pour la pièce ouverte sur la vallée. Pareille à une proue de navire. Deux fenêtres. L’une à l’est, l’autre à l’ouest. Une porte vitrée aussi. Elle donne accès à un escalier qui rejoint le chemin et file au long du ruisseau.
Bureau avec la lumière émanant du monde du dehors, elle entre par les yeux et par la bouche — finalement plus le corps en jeu que la tête bien souvent dans le premier élan, la première image qu’on suit, qu’on déroule, qui parfois se dissout, se contracte ou alors par surprise s’épanouit et nous propose la suite.
Cette porte : une forme d’accès à la nature, au contenu, au rêve blanc. Elle m’est utile.

Sur le bureau : agenda, répertoire téléphonique, carnet de notes, ordinateur portable, câbles, appareil à photographier. Toutes sortes de crayons. Tasse à thé. Sur le coin, boîte à épices rapportée des Indes – elle contient des trombones qui ne servent à rien et autres petits objets de papeterie. Une chemise en cuir envoyée du Mali par mon frère il y a longtemps. Dedans : des coupures de journaux, lettres de ma mère, cartes postales, images découpées dans des magazines. Une lampe achetée en ville, quelque chose d’industriel qui ressemble à de l’ancien (toujours allumée). Parfois ma chatte qui aime se coucher en travers des papiers (toujours ceux dont j’ai besoin).
Et puis des livres. Des livres remplis de mots. Une marée de livres. Des livres sur tous les murs, rangés plus ou moins par pays. Un endroit réservé aux romans écrits par des femmes, un autre à la poésie juste sous la vitre où viennent se heurter les petits oiseaux — ils voient le ciel de l’autre côté, alors ils veulent traverser et ils se jettent. Juste à côté, trois statues africaines en pierre friable : deux têtes de femmes et un homme nu. Des coquillages sur une petite tablette. Des tableaux, des photos. Certaines anciennes de gens qui pourraient être ma famille. Les visiteurs le pensent mais non, simplement achetées aux Puces. Deux grandes statues en bois, primitives (un homme, une femme).

Matières d’apparence inerte, pourtant tout est vivant. Ça bouge comme dans un bateau.  La montagne dans les fenêtres. Le ciel. Mon refuge, mon champ de bataille.

Photographie ©Françoise Renaud, 2015

6 commentaires

  1. Jean-Luc Rocher

    Ton texte fait écho à ce que ressens quand je suis dans le mien de bureau. D’autant que pendant un mois, je n’y ai pas mis les pieds. Il est aussi traversé de lumière ouest-est, c’est aussi mon refuge et l’endroit, où je lis, réfléchis, travaille et où je fais la sieste sur le BZ de temps à autre. Un endroit où je me laisse aller à la rêverie en regardant les photos, celle de mon père et de mon grand-père maternel et d’autres qui ne sont plus, des objets rapportés de voyage, des livres bien sûr. C’est mon antre, aucune autre pièce ne peut rivaliser avec elle tant la charge émotionnelle est forte. Une pièce indispensable à mon bien être. Merci Françoise d’avoir évoqué ce lieu si particulier, je n’avais jamais réfléchi à ce qu’il représente.

  2. On a tous, je suppose, un endroit qui nous est nécessaire à la réflexion, la rêverie, l’écriture parfois. Un endroit où on se sent bien , où on se sent soi.
    Ton texte illustre véritablement ce bien être dans lequel tu te trouves pour écrire de si belles choses, c’est ton antre, ton refuge duquel tu peux apercevoir la nature nécessaire à ton art.

  3. Je me retrouve étrangement dans ton refuge, pourtant si personnel, ce lieu de l’écriture et du combat intime. Objets fétiches, totems, rituels ; les livres classés selon un ordre changeant, qui n’appartient qu’à soi : chacun son terrain de jeu, son champ de bataille (en fonction de l’humeur, dirons-nous), mais la lutte est la même, certainement.

  4. jacqueline de Saint Jean de Maurienne.

    Un lieu magique suspendu entre terre et ciel, ce bureau me parle de toi, chère Françoise car encore en chantier
    il m’a donné ce vertige où l’imaginaire puise ses forces et sa folie..
    un tangage entre solidité et légèreté,
    un havre de paix baigné de lumière qui n’attendait que le souffle de l’inspiration pour jeter l’ancre : ton bureau tel un navire qui vogue et se referme sur tes trésors et tes souvenirs…
    source inépuisable des mots à venir.
    jacqueline.

  5. Merci de cette porte entrouverte.
    Temple que nous garderons pur.
    Ne pas rompre la magie.
    Ne rien distraire d’un encours ou d’un possible.
    Ne pas perturber le rituel.

    Nous touchons au Sacré.
    À moins que ce ne soit encore un truc de sorcière en quête de magie.

  6. Un navire pour une navigation immobile entre soi et soi…

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