Je regarde autour de moi et dénombre avec stupeur les corps touchés, abîmés, souffrants, abattus même parfois — une véritable hécatombe comme après un affrontement meurtrier, une bataille à l’ancienne. L’ennemi n’accorde pas de trêve. Et même ceux que je croyais âmes proches et capables d’élargir leur vision choisissent la facilité et quittent le pré pour se cacher dans leur maison confortable, ils ne viennent pas aider à recoudre et huiler les membres blessés, à soulager les peines. Il faut se passer d’eux tant pis. Avancer en dehors d’eux. Ne pas les oublier pour autant, juste penser qu’ils ne sont pas taillés pour ce genre de combats.
Je regarde autour de moi ce que l’hiver fait au temps, au bois, à l’herbe. Ce que la neige fait au rocher, aux mousses, aux versants. Ce que la brume fait au paysage.
Je regarde chaque chose du monde, chaque écorce.
Il y aura des cicatrices à cause du gel et de l’eau et de la brume,
à cause du fer qui a coupé la peau,
à cause des paroles qui n’ont jamais été dites.
Depuis que j’ai passé le seuil de cette année nouvelle, les jours ne sont presque jamais cléments. Je dois composer avec cette nouvelle donne. L’après-midi je vais voir l’arbre blanc pas loin d’ici, regarde comment il fait pour résister et continuer à fabriquer de la matière.
Parfois je voudrais m’endormir dans la forêt.
Bientôt nous panserons nos plaies.
Photographies Françoise Renaud, janvier 2021
Cette analogie entre l’humain et le végétal est dérangeante mais puissante tout autant. Et vérifiée ! Les problèmes du temps présent sont lourds à supporter mais ils sont temporaires. Courage à toi, courage à nous.
L’arbre blanc. Blanc comme la page était avant le livre. Bataille et résistance, c’est déstabilisant quand l’ennemi est invisible et j’en ai l’impression bien supérieur. C’est la grande pagaille, la débâcle, le grand tout et son contraire. Pour vivre il faut agir. Et voilà bien le problème.
Toujours est-il que ce texte est diablement beau.
Splendide ce bel arbre blanc…. et splendide ton texte!! Pourtant après sa lecture , une vague de spleen m’envahit… on vit des jours qui laisseront leur lot de cicatrices… nos seules armes pour faire face sont dérisoires et à défaut de pouvoir se battre nous faisons le hérisson… l’ennemi est mal défini, changeant et malin , c’est lui qui règle les pendules du temps….
Heureusement, il y a ton regard sur l’arbre blanc, ses blessures, ses cicatrices. Ton regard qui voit aussi d’autres choses et qui espère des temps meilleurs avec un peu de mélancolie mais d’espoir quand même. C’est un très beau texte Françoise qui demande à se relire plusieurs fois pour y puiser le réconfort qu’il nous faut conserver.
Lorsque l’arbre blanc devient, malgré lui, lieu de pèlerinage, ouvrant ses longues branches où poser le trop de douleur, le trop de solitude… Il sait les attraper dans son écorce attentive, le temps de l’hiver, et, sait on jamais, les transformera t-il en bourgeons, promesses de renouveau, de vert tendre, de puissance renouvelée..
Tout autour de soi résonne en contre-chant aphone, très vite le sentiment d’abandon mais l’arbre blanc accueille symboliquement ton insatiable besoin de racines profondes…
Je suis très émue par ton texte qui parle si fort aussi entre les lignes…
Bénis sois-tu l’arbre blanc ; grâce à toi Françoise s’aère chaque jour, elle t’observe et tu lui apportes de la quiétude.
De plus elle nous concocte un texte fort qui en dit long sur la période que nous vivons et qui risque de durer. Merci de nous le partager, cela me permet de me projeter vers un autre arbre blanc… imaginaire celui-là.
Oui, beau texte.
Beaucoup de mélancolie, un peu de désespérance mais une attente perceptible du renouveau qui déjà nous envoie quelques signes encourageants : orchids sauvages, petits boutons sur les coronilles et même quelques pâquerettes au ras du sol, dans les coins bien abrités. Certes, en plaine, mais bientôt dans ton univers cévenol. Continue de veiller sur ton arbre blanc…
L’arbre est fort des épreuves qu’il traverse, du moins est-ce l’image qu’il nous renvoie. Sommes-nous plus forts ? Endurcis, peut-être, mais blessés, toujours. Certaines plaies ne se referment pas. C’est ça aussi qu’on appelle mélancolie. Il faut vivre avec, et avancer. Et écrire, comme tu le fais si bien.
Nous sommes tous et toutes la somme des félures de l’enfance.. A jamais. Comme l’arbre blessé au début de sa croissance poussera tordu, nos blessures nous fragilisent et nous poursuivent. Mais comme l’arbre aussi, qui cherche la lumière et fini toujours par se redresser nous pouvons toujours garder les yeux tournés vers les jours meilleurs et poudrer de blanc nos mélancolies qui embellit l’arbre et nos vies. Jacqueline.
Je n’ai pas perçu à la première lecture qu’il y avait deux textes l’un étant le miroir de l’autre. Puis l’évidence s’est imposée. En cette période si singulière, les humains sont comme la forêt, fragiles, certains courbés d’autres abattus comme du bois mort qui s’apprêtent à tomber. Et puis d’autres qui font face qui luttent comme cet arbre blanc qui dans quelques semaines reverdira fera de l’ombre et accueillera les oiseaux. Cet arbre symbolise le cycle de la vie sans cesse renouvelé. Un arbre qu’il faut prendre à bras le corps pour être en osmose avec sa force de vie. Un beau texte mélancolique et puissant un baume sur les blessures de l’âme.
Je constate que nous avons en commun cette grande affinité avec la nature… qui réveille nos émotions enfouies ou à fleur de peau. Merci pour ces mots !