temps très changeant au mois de mai

8 mai

un jour à écouter la pluie tomber, à imaginer qu’elle abreuve les jardins et s’accumule dans les canaux de la terre pour l’été (qui sera chaud peut-être, personne ne sait), tu demeures presque privée de pensées, flottant dans cet après-midi froide et brumeuse, rien qu’à écouter la pluie

9 et 10 mai

le retour du soleil dynamise à nouveau l’espace, c’est ce que tu ressens en observant les poussières qui dansent  autour de toi, poussières qui semblent te relier aux mouvements et aux paysages perdus (du moins pour le moment), au rythme vital qui possède toute chose, aux mystères et aux éclipses de ta mémoire souvent sollicitée dans tes récits et tes fictions — y a-t-il une réelle différence ? —, fouillée comme un terreau noir où se dissimulent mille particules nutritives et mille êtres invisibles… de ton côté tu parleras plus volontiers de textes (mot qui d’après toi peut tout désigner, tout englober, autant les lacunes que les points brûlants, toujours révélateurs d’un parcours indomptable), textes à parcourir à pied et avec les yeux tout comme les lieux géographiques, visibles, tangibles, capables de redessiner l’inconsolable — pertes, peurs, rivalités dans l’amour, accidents, maladies, tout ce qui entrave le cours du quotidien et nous laisse exsangue au bord de la route, pourtant inutile de pleurer sur la liberté perdue, juste réunir le courage avant de repartir à l’assaut  —, oui tu aimes parler de textes à saisir dans la pogne ainsi qu’une miche de pain pour s’y tailler de beaux morceaux… d’ailleurs c’est ce que tu fais en ces jours où le temps s’alanguit, tu t’empares des livres et des mots et tu les dévores et tu observes les poussières qui dansent dans la chambre, leur chute interminable révélant les jeux de la gravité et de la relativité comme des composantes inhérentes à tout objet, à tout corps vivant

et tu reviens sur le mot rivalité, soudain si important si cinglant, car au fond pour le père tu étais une rivale, tu le supplantais dans des domaines qui avaient toujours été les siens (le jardin par exemple), tu le dominais sur le plan de la parole et de la créativité, tu prenais de la place — sa place — si bien qu’en ta présence il se taisait, était sur le recul, ne voulait pas combattre — surtout ne pas admirer le moindre de tes talents, il s’en serait écorché la bouche —, son ombre toujours violente à évoquer à chaque tournant,  pourtant tu l’aimais tant

ce qui demeure en toi après tout ça

« encore une fiction ? — une vérité »

13 mai

la pression au niveau de ta lombaire se fait moins cruelle, les crispations s’estompent, tu épies le moindre signe de réparation comme si tu surveillais un feu qui couve et menace de reprendre, parfois tu touches du doigt le pansement dans le dos ou la page d’agenda où est griffé en rouge ton prochain rendez-vous avec le chirurgien — délai configuré en jours et non plus en semaines —, cet homme artisan de ta reconstruction qui doit conserver souvenir de ses patients à travers des clichés de leur colonne vertébrale fracturée, à peine le temps de le rencontrer, de lui poser toutes les questions qui rôdent dans ton esprit inquiet, enfin tu alignes tes mots pour décrire toujours à l’autre (aux autres) ce que tu deviens

Photographie : Atelier de Père, Françoise Renaud, 2017

 

 

6 commentaires

  1. Francoise toursel

    Des textes…de beaux textes pour mettre des mots sur les maux comme on use d’un onguent qu’on masse et fait pénétrer pour réparer la blessure… la blessure physique mais aussi la vieille blessure jamais cicatrisée qui se tapit dans l’ombre et ressurgit dans les moments de doute et de réflexion…

  2. Christiane Barbier

    Ton humeur est à l’image de ce mois de mai qui tergiverse entre printemps frileux et  doux soleil…   
    Tes douleurs physiques s’estompent, mais, dans ce temps de « relâche » obligée, tes pensées ramènent en surface celle qui, inconsolable, est tapie au fond de toi. C’est normal, ton accident t’a fragilisée et éprouve ta sensibilité. Le feu vert du chirurgien, bientôt ou dans ces quelques semaines qui nous séparent de l’été, sera le signe du rebond que tu attends, frémissante…

  3. Bien plus qu’un journal, ici… Le corps meurtri semble partager la douleur d’une terre elle aussi en souffrance ; et les deux, qui ne font qu’un, peut-être, se reconstruisent par la pluie et le vent qui recouvrent les blessures anciennes, et le soleil salvateur qui vient cicatriser les plaies.

  4. instrospection et observation, c’est un temps d’attente et de patience ma douce amie et tu le remplis avec douceur et amour de ce qui t’entoure.
    Quand tu reliras ce journal après ta guérison, tu t’étonneras peut-être de toi-même, ou alors tu te diras que c’est loin derrière toi et que maintenant tout va de nouveau bien… c’est ce que je te souhaite de tout coeur.

    tendrement à toi. Chantal

  5. Tant de réflexions qui font écho en moi… Encore de la patience, chère Françoise, et puis des mots, des mots, même après, pour se faire du bien (à toi, et aux « autres » !).

  6. Lydia CONTI

    les jours qui passent comme les poussières dans le rayon de lumière de ta chambre, c’est vers la guérison que tout ça s’en va, celle que tu attends avec patience et raison.
    Entre-temps, les bons mots posés sur les maux, mêmes anciens, sont les meilleurs remèdes… pour tout le monde !

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