la rivière est partout | visible ou invisible elle parcourt le monde d’ici | elle irrigue l’herbe des prairies ruisselle le long des courbes du paysage pénètre le rocher | ainsi l’eau vient de toutes parts et s’assemble, plus loin ressort en sources claires et chantantes (on les entend quand on se promène au hasard des vallons incurvés) | d’une façon ou d’une autre l’eau rejoint la rivière, celle qui est partout et qui parcourt le monde d’ici et dont on ne cesse de croiser le nom sur les panneaux | elle se tortille, revient sur ses pas, disparaît, difficile de dire dans quelle direction elle se répand exactement, on la soupçonne ici et là, on vient de loin pour la voir, on l’approche avec prudence, on la cherche dans les marécages, personne n’y nage, de toute façon on préfèrerait se laisser aller dans son courant plutôt que de le remonter | elle paresse au bord des friches longe les prés irrigue les bois | les bêtes de troupeau la regardent passer, on peut y chercher de l’or, en sortir son lot de poissons
et je pense à ce qu’un tel flot continu irrigue de créatures en vie et de cadavres, quelques barques abandonnées à l’hiver, salamandres dans les arômes d’herbes touffues, courses et cachettes improvisées pour l’enfance, peu de danger quoique l’eau se comporte de façon surprenante mais pas autant que la marée | et si je glissais au fil de sa peau liquide, je verrais de la verdure en quantité, la voûte des ponts anciens, humerais la pierre suintante, aurais tout juste le temps d’aviser quelque silhouette de pêcheur de carpes, sûrement un habitué accompagné de son fils si c’est un mercredi, j’entreverrais la masse trapue de l’église tellement proche du pont que le parvis régulièrement s’inonde, je surprendrais mille jardins mystérieux qui réveilleraient mes souvenirs, tout ce qui s’entasse à force de vivre et se rassemble en nous comme un fleuve, et ces souvenirs se croiseraient avec ceux des hommes qui vivent là sur ces berges, pas de villes, pas de béton, rien que villages installés en fonction des contours dessinés par l’eau et c’est là qu’on l’observe le mieux, enfin voilà ce que je verrais passant à fleur de rive et pour peu que l’automne gonfle le flot, je sentirais par le dessous le remuement inquiétant du courant qui parfois me passerait sur la tête, alors je pousserais mes jambes par le fond et regagnerais le bord, m’ébrouant comme un chien et me demandant quel diable m’a prise d’aller m’immerger dans ces eaux indociles
continuer l'exploration du même lieu (comme une contrainte supplémentaire)...
cette fois évocation de la Gartempe, la rivière d'ici si présente
Photographies ©Françoise Renaud, 2024
j!y étais si bien au bord de ta Gartempe (que j’ai connue aussi il y a très très longtemps, si longtemps que n’en ai plus que le nom
merci pour cet écho lointain….
une drôle de rivière qui se cache et resurgit et serpente, très attachante…
Du bord de mon Fleuve, j’ai longtemps rêvé de partir vers la mer. Un besoin d’évasion que me restitue ton texte en m’immergeant dans l’eau de ta rivière…
Et revenir sur la rive pour écouter le bruit du vent et la musique des mots.
la Gartempe se dirige vers l’ouest puis vers le nord, un long cours pour rejoindre la Creuse, puis plus loin encore… la mer est loin mais les eaux finissent pas l’atteindre
eau, rivière, fleuve, évasion…
» J’ai toujours aimé les rivières. De mes souvenirs de jadis, j’ai gardé par dessus tout le souvenir de la Loire bleue… Elle avait été mon luxe, cette rivière et j’avais pêché des coquillages dans le sable fin de ses rives avec l’émotion d’un chercheur d’or ». Ton texte m’a fait me remémorer ces quelques lignes de Jules Vallès et tes quelques lignes bien à toi me donnent la même émotion. Chapeau, l’artiste.
Merci pour cet extrait.
et tu te souviens de cette notation de Vallès… magnifique
merci pour ce lien et cette assurance que le texte peut porter en lui beaucoup d’émotion
Relu ici donc avec autant de bonheur, « tout ce qui s’entasse à force de vivre »… Merci, Françoise.
coucou chère Françoise, à lire tes écris, il me semble que toutes les rivières se ressemblent, par leur tracé et leur parcours, d’un coup on la voit et un peu plus loin elle disparaît pour réapparaitre, mystérieuse !
merci pour ton récit toujours si prenant. Bises ma Françoise
Une promenade inspirante au fil de l’eau. Ici aussi nous avons un torrent l’Arc impétueux et noir lors de la fonte des neiges, ou bien vert bleu quand le temps et la saison sont au calme.
Merci chère Françoise pour ce si beau texte sur l’eau qui file son chemin.