Écrire à creuser la page du cahier avec la plume parce qu’on appuie trop fort, à faire gicler l’encre autour, à rater l’arrondi des lettres et se faire réprimander (trop jeune pour être acceptée en classe d’écriture, à quatre ans juste censée gribouiller, pourtant je voulais tellement apprendre et on s’était moqué de moi)
Écrire pour devenir quelqu’un, pour se faire reconnaître, pour dire son affection à une amie d’adolescence alors qu’on se trouve séparées, s’amuser à alterner les lettres avec les différentes couleurs du stylo et coller des fleurs dans les coins, faire même des petits dessins ou mettre des yeux et des bouches aux O, des têtes de serpent aux S (le paquet de lettres reçues autour de mes douze ans est toujours dans le secrétaire du grenier de la maison de famille, il est noué avec un ruban, un jour j’ai dénoué le ruban et j’ai lu les mots forts de cette fille depuis longtemps perdue de vue qui disaient de l’amour)
Écrire à projeter l’encre au ciel comme trace d’avion ou d’oiseau, écrire à pénétrer la terre, à dire sa rage et à se révolter, la respiration s’accélère et le sang va vite d’un lieu du corps à un autre, c’est comme une course, il faut habiter les mots avec le vrai, le désir, la poésie, le sang, le tumulte, l’urgence pour dire à l’autre l’attachement et la folie de vivre ensemble (de ces histoires exaltées avant les vingt ans, me reste la force du verbe en décalage avec la réalité, les mots enflammés qui jamais ne résisteraient à l’épreuve de la confrontation)
Cesser d’écrire ou presque, il n’y a plus de sens (pas d’âge pour cela)
Écrire réécrire cinquante fois jusqu’à rencontrer l’essence de ce qui rôde en tête, jusqu’à inventer les personnages qui vibrent dans l’invisible, changer de forme et de format, tenter une autre langue, lire relire et s’agacer des imperfections, abandonner la partie, tout jeter, tout perdre à pleurer, reprendre, écrire à nouveau sur le sol sur le mur sur le livre des autres, écrire dans le carnet pour reprendre confiance, écrire sans rien attendre, écrire dans la lumière miraculeuse du matin, comme un geste parfait, comme un acte de grâce.
Photographie ©Françoise Renaud, au jardin, janvier 2024
Magnifique texte sur la difficulté d’écrire. Tu joues avec les mots Françoise pour mieux nous la faire saisir.
Jusqu’à être en accord avec toi !
Mp
merci pour ta présence et pour la trace de ton passage, rarement recueillie…
(les commentaires sont toujours des échos et des soutiens incomparables)
Comme toujours ma Françoise les mots, les mots que tu sais si bien aligner jusqu’à former des phrases, des paragraphes, des chapitres qui avec un point se finissent en livres qui savent parler à notre âme.
Les doutes, les succès, les pertes, les loteries de la vie transcrits là pour justifier de notre existence physique, mentale de notre présence sur terre.
Merci à toi encore et toujours…….
Comme à ton habitude tu décris tellement bien les évènements, cette petite fille de 4 ans qui voulait apprendre à écrire et que l’on n’a pas pris au sérieux. Enfin tu as pu rattraper les mots…
ou alors ce sont les mots qui m’ont rattrapée !
Ma chère Francoise magnifique texte sur la difficulté d’écrire encore une fois De plus avec tes mots à toi qui sont si vrai et l’on a toujours autant envie de te lire et de te relire je t’embrasse très fort Martine
Écrire comme une urgence.. écrire pour laisser une trace des tourments de l’ enfance, des amours perdus … écrire pour nous offrir ces textes vibrant de poésies et d’amour… D’ amour d’écrire…