Chambre modestement meublée avec lit au sol — sol en lino à chevrons marron et beige comme on faisait avant — et fenêtre aux volets refermés qui donne côté rue. C’est une chambre familière, probablement habitée durant plusieurs années, à la fois pied-à-terre et endroit-repère entre deux voyages. L’image raconte le contraste entre la fraîcheur de la maison et la brûlure du dehors — c’est la fin de l’été dans le Sud—, entre la pénombre et la lumière, lumière violente et mordorée qui se répand depuis la porte ouverte sur la terrasse, donc du côté des vieux jardins installés entre deux rangées de bâtiments (personne ne les soupçonne en regardant les façades), lumière violente et mordorée qui franchit le seuil, glisse sur les dalles mal jointées de la cuisine puis sur le lino à chevrons, atténuée tout de même par la distance entre le lit et la terrasse — une dizaine de mètres tout au plus, peut-être moins, l’appartement n’est pas bien grand — et par instants comme troublée à cause du léger vent qui agite la treille et projette ses découpures sur le mur de la maison. Parfum d’encens, pénombre et lumière, en plein décalage horaire — une vingtaine d’heures auparavant encore sous le tropique du Capricorne, des semaines à explorer des îles, des volcans, des villes labyrinthiques et puis brusquement le retour — et c’est dans de tels moments que les images frappent davantage et s’inscrivent dans le sillon de la fatigue — le même sillon que celui de l’enfance — et que la résille de lumière qui rampe jusqu’à la chambre, influence les lignes et les cellules du corps couché embarqué dans son rêve.
un texte écrit dans le cadre de l’atelier d’été 2018 Tiers Livre « Construire une ville avec des mots »
Ce qui était proposé : à nouveau cette problématique du retour, quel que soit le lieu qui provoque cette intensité de souvenir ou d’émotion, mais on gomme le narrateur, on ne retient que l’image fixe devant soi, si possible sous forme d’un paragraphe monobloc. Écriture bouclée en 20′.
Photographie Françoise Renaud, 2017
A la première lecture, je me suis attardée sur la description poétique d’une pièce que le narrateur semble bien connaître, dans sa simplicité et même sa pauvreté… Mais arrivé à la dernière phrase, l’histoire dans sa densité d’écriture m’a laissé entrevoir une problématique qu’une seconde lecture m’a dévoilée… Celle de la dimension émotionnelle rattachée à cet endroit où rien n’a bougé comme pour préserver les souvenirs (odeurs, objets, lumière..)dans une ville qui, elle est en permanente évolution. L’importance du retour est palpable…dans ce lieu inchangé, comme un ancrage. Jacqueline.
Poésie en prose. Avec un rythme grave et tranquille. Tu nous transportes d’un bout du monde à l’autre.
le pouvoir d’évocation des mots ; en peu de mots, un être, une vie, un corps se condensent, assez pour que l’imaginaire fermente et que lève le pain du rêve.
Quel exercice. En quelques lignes on peut voir de l’autre côté de la fenêtre par les jardins et aussi de l’autre côté du monde.
Retour dans un lieu familier ponctué par la lumière en attendant le repos.
Je peux peser grâce à vos commentaires que le texte atteint son but, une image fixe loin en arrière attachée à un lieu loin en arrière capable de soulever une émotion personnelle rare…
Nous avons chacun quelques lieux de cette nature (c’est de cela il était question dans l’exercice #01) et je suis restée au même endroit,
et l’exercice va se poursuivre dans les épisodes suivants…
Le #03 est en cours et paraîtra bientôt, ensuite je ne sais…
à suivre comme un feuilleton d’été !