carnet d’installation | 9 avril 2023
Terre assoupie depuis plusieurs années, toute en herbe, hérissée de jaune pissenlit. Terre abandonnée. Terre en attente. Terre réclamant qu’on la bêche pour retrouver son aspect organique et sombre, révéler les lombriciens qui s’y tortillent en nombre, garants de sa texture et de sa qualité. Terre pressée qu’on l’entreprenne, qu’on la bouscule, qu’on la fouille, qu’on lui restitue son beau grain avant de lui confier arbustes bulbes plantules et graines de fleurs, toutes choses prêtes à raciner et à croître au soleil montant. Tout de même elle résiste au mouvement de l’outil, lourde à soulever, mottes innombrables à piétiner ou émietter à la main jusqu’à la rendre lisse et noire, prête à semer ou planter. Une bonne surprise : peu de cailloux vite rassemblés au fond de bacs à fleurs pour servir de drainage. Chaque parcelle ratissée se voit dotée d’une barrière rustique en bois de châtaignier récolté dans le taillis sur l’autre bord du coteau.
Le travail est long mais le plaisir est grand.
Je suis loin des villes mais je suis proche de la terre qui donne. Je suis loin des foules mais j’observe le peuple des oiseaux affairé à ses ouvrages de printemps. Je suis loin des grandes bibliothèques et des lieux de conférence mais j’ai sous la main tout ce qu’il faut pour apprendre et affûter mes perceptions de vivante. Je suis sans amis proches mais pour toutes sortes de raisons je me sens entourée et sais qu’on veille sur moi. Je suis loin de l’aspiration des grandes capitales mais je détiens de grands espaces simples et bruts comme avant, quand l’homme s’occupait lui-même de ce qu’il mangeait. Je suis loin des musées et des cabinets de philosophie mais je dispose de toutes les prairies et de toutes les clameurs du ciel. Je demeure sans fioritures et sans manières. Ici les fantaisies sont inutiles, ciel bleu grand lavé, champs ouverts et forêts mystérieuses à portée de pas. Il est temps de se satisfaire du présent à l’heure des plantations miraculeuses. Oignons échalotes salades rouges framboisiers petits pois et pommes de terre précoces sont en terre. Ils profiteront d’une surveillance quotidienne et composeront d’ici peu quelques assiettes croquantes.
Photographies Françoise Renaud©, avril 2023
Tu décris tellement bien la terre ❗qui une fois remise de ces longs moments d’inactivité, va revivre sous vos mains et vous donner tant de belles choses… Quel régal…
Avoir ces petits retours de lecture est précieux… je sais que j’écris pour quelqu’un, pour quelques uns… et cet échange m’est nécessaire
Et toi aussi tu aimes tellement la terre et les jardins…
merci Jo.
Te lire, éplucher tes phrases, tes photos, c’est lire avec le corps, c’est mes mains dans ta terre à renifler, moi qui ne jardine pas. Tes deux derniers textes lus à la suite, le bien que cela fait. Dis, tu nous feras un livre à tenir en mains ? Comme tu écris la vie, c’est vraiment fort. A réveiller les morts. Sous tes mots tout devient magique, même les choses les plus simples. La terre en herbe, hérissée de jaune pissenlit… J’adore.
Ton commentaire fait lui aussi tellement de bien…
la vie c’est fort et dur aussi et parfois si doux… la terre c’est pareil…
et on va la suivre dans l’installation de ce jardin qui sort peu à peu du sommeil…
Merci Anne.
Merci Françoise pour ces belles lignes qui montrent à quel point tu es connectée avec cette terre avec la nature .
Bises Nathalie
Il fallait dire tout ça…et tu l’as dit…et tellement bien dit qu’il n’y a pas lieu de douter un seul instant que tu as trouvé ton havre de paix…bonheur!
Oh! moi aussi j’adore tes mots qui dessinent la terre, la nature et la simplicité de la vie dans un environnement non encore envahi par le bruit et la foule. Avec tes photos et les mots qui les accompagnent c’est bien la beauté du monde qui nous pénètre et nous réchauffe tel un rayon de soleil en ce matin de printemps. Jacqueline.
« chaque jour se contenter de pain et de thé »
Un peu léger chère amie, si tu veux continuer à pouvoir bêcher, semer, récolter … et déguster les futurs produits de ta terre : nos muscles ont besoin d’un peu plus de nourritures terrestres, même si ton cœur semble en belle harmonie avec ton nouveau « chez-toi ».
Bien affectueusement. Marc
Rendre vie à la terre comme s’il fallait nourrir ton ventre de l’essentiel, comme s’il fallait une fois de plus enraciner ton besoin d’exister la plus libre possible des contraintes humaines. Tu écris si bien ce que tu ressens. Tu as pourtant besoin de nos retours, de nos passages comme tu le confies, de nos regards sur ta vie, sur tes batailles, sur ta vulnérabilité également, sur ce que tu nous « livres » en pesant bien le mot !
Loin de l’océan à creuser la terre pour y sentir les algues, toujours en toi, à vif comme les crêtes des rochers…
L’écriture a du sens dans le partage, raison pour laquelle j’ai intitulé mes ateliers « Écrire Lire Partager ». Elle est un mouvement vers l’autre, une « petite lumière » (ce qui résonne avec Antonio Moresco si envoûtant)
Vos échos sont autant de petites lumières qui bordent ma route.
Merci pour ta perception et ta fidélité…