je cherche à la voir, assise dans la lumière paisible. Matin calme. Corps de femme avec encore de l’épaisseur, des cheveux épais ébouriffés, des petits mouvements sur les lèvres alors qu’elle ne se sait pas observée — à quoi pense-t-elle ?
un peu comme une peinture
sa tombe sera la même que celle de sa fille aînée et de celui qui a été son mari, tous les trois reposeront dans la même terre
toute ma famille poussière, mes petits morts
de nos bouches sortent des mots forts qui se partagent, qui se comprennent, qui remplissent ce temps ensemble, le paysage passe à l’arrière-plan comme sur une scène, coude à coude nous franchissons la côte depuis l’église au bord de la mer jusqu’à la maison
je la vois vivante dans le vent, joues colorées, pourtant je l’imagine morte, visage enseveli déjà dans l’oubli
je ne garderai pas son image jusqu’au bout de la vie sauf sur les petits cartons photographiques qui la fixent à tous les âges, son image se transformera, mutera, se mêlera à mon sang et à celui de mon frère, se mêlera au sable orangé du pays de Jade, se diffusera à travers mes journées, enfin s’effacera à toute fin d’y voir plus clair alors que j’irai moi aussi vers les cieux d’une autre fin, c’est une sorte de vision qui s’annonce à partir de ce que nous avons vécu et vivons encore aujourd’hui, jour de février, jour de pluie et de vent au pays de l’enfance, son image à la fois effacée et incarnée dans l’incapacité de l’éternité, dans ce silence à couper au couteau qui s’engendre de l’ombre et l’aspire et la repousse vers l’oubli
aucune écriture ne peut se rapprocher d’une autre, chacune file son chemin
je prends sa main
la peau est infiniment douce, très fine, érodée usée, veines en relief, elle ressemble à un tissu un peu flottant par-dessus les os, je pourrais reconnaître sa texture rien qu’à la caresse
bientôt elle ne sera plus devant mes yeux mais pas encore tout de suite, sa bouche ouverte dans le sommeil raconte la vie encore
les cyprès sont noirs contre les lueurs au-dessus de l’île au loin, les cyprès logent quantité de créatures qui ne craignent pas le sel, les cyprès sont des repères au cours des errances au bord du continent, les cyprès donnent mesure du temps bleu et de l’histoire du pays de mer où elle m’a donné naissance
Photographie françoise renaud, février 2024
C’est un chemin âpre teinté d’ombres et de lumières, tu l’arpentes magnifiquement…
Merci Francoise pour ce partage, je marche avec toi à petits pas discrets
on fait le chemin ensemble, c’est tout à fait vrai, et chaque chemin est singulier
tout comme l’écriture…
merci Gwenn pour ta présence ici
Le titre est magnifique, le texte bouleversant.
Instant de vie tellement dense en percevant l’approche de la disparition d’un être cher.
Cyprès vivants pour l’éternité
Très touchant et plein de tendresse. C’est beau.
Très beau te texte, tellement vrai et tellement mélancolique.. Hélas
mouvant comme le souvenir,
étrange comme l’éloignement,
précieux comme l’attachement,
bouleversant comme l’amour…
Très beau titre , le Texte Est très Bouleversant je t’embrasse très fort ma chère Francoise à bientôt Martine
Peur de perdre cette présence si chère. Don du sang, complicité mère fille, communion de pensées. Nostalgie du soir de vie.
Merci Françoise
La mère. La mer. L’amer de la vie, aussi. Et les mots, magnifiques. Merci Françoise.
Quel texte sublime, que de délicatesse tendre ! De poésie aussi, merci.
Merci pour vos tendres échos…
Partager ce genre de texte permet d’avancer avec le temps de la vie et celui de la mort.
Ode à la mer, Ode à la mère, symbiose, osmose.
Très beau texte Françoise qui ne laisse pas indifférent, tellement!
Une histoire qui t’appartient et pourtant qui nous parle à chacun et chacune dans la simplicité des jours qui passent…
Une histoire de transmission sur le chemin de vie qui nous touche profondément comme seuls peuvent toucher ces moments de complicité avec un être cher.
Et au bout il y a l’océan et la lumière…
c’est vrai que l’océan est toujours présent dans mes paysages d’enfance, et le vent aussi d’ailleurs, des éléments indissociables du pays de mer
et ce genre d’histoires nous appartient à tous
merci Jacqueline pour passer par ici
Comme ce texte prend le cœur à s’y bien décrire l’inéluctable, à si bien saisir le précieux du moment avec une lucidité, une tendresse tellement émouvantes.. Certains trajets vers les êtres aimés ressemblent à de possibles dernières fois, les larmes au bord du gouffre qui s’annonce.. Tu as cette sensibilité hors norme te permettant de ressentir le précieux d’une vie dans ses détails souvent négligés par beaucoup..
Je t’embrasse très fort, vraiment émue..
… un véritable exercice d’écriture que d’essayer de conserver ces sensations très singulières que j’éprouve à accompagner la femme qui m’a donné naissance dans le grand âge et à faire moi aussi mon chemin….
» … chacune file son chemin… »! Une douce tristesse poignante et enchanteresse s’exhale de ton texte magnifiquement fort!
Douceur, mélancolie, amour ….Et surtout le sentiment de cette marche irrémédiable, irréversible.
Comme toujours magnifique écriture.
Merci.
J’aime ta délicatesse dans l’écriture et dans l’amour. Cette femme, cette mère, je la vois belle et digne. Il a fallu résister toute une vie pour atteindre cette dignité, ce voile élégant et humble. Je t’embrasse Françoise.
ton sentiment de lecture me fait relire le texte ce matin car je me demande ce qui te fait écrire « qu’elle est belle et digne »
je m’aperçois que je ne dis rien d’elle vraiment et pourtant elle est là à chaque mot
sans doute ce sentiment à la fois de fragilité et de solidité dans l’âge qu’on atteint qu’après une vie entière…
merci Pascal
tendresse
Merci de si bien baliser de tes mots ce chemin sur lequel nous avançons toutes et tous plus ou moins vite et plus ou moins sereinement …
Y être en bonne compagnie réconforte