carnet d’installation | 11 janvier 2023
hier mon père aurait eu 100 ans | son visage très présent en moi, traits durs renfrognés, bouche réduite à un fil, sa silhouette à peine estompée sans couleur devenue presque étrange | il est parti pendant l’hiver 2017 mais son visage ne me quitte guère, je ne regarde pourtant pas vers le passé, il est simplement là et j’imagine ce qu’il aurait marmonné apprenant mon départ vers une contrée perdue, « dame qu’est ce que tu vas aller faire là-bas ? pourquoi changer ? », aucun motif capable de nuancer sa façon catégorique d’envisager les choses, lui demeuré tout son temps à peu de distance du village de sa naissance
il est parti
il est entré dans mon rêve
je lui raconte ce nouveau lieu même s’il ne veut pas m’écouter
tu verrais ces étendues paisibles dignes d’être peintes ou croquées, l’herbe en pelouse comme taillée au ciseau, tu verrais ces grands animaux à robe fauve, plus blonde sous le ventre et autour du mufle, une race rustique déjà décrite en traits de sang séché sur des parois de grotte, tu verrais les arbres aux ramures immenses et dépouillées qui contrastent fort contre les nuages, tu verrais ces averses de pluie fine juste ce qu’il faut pour attiser le vert et rendre l’air plus transparent, tu verrais ces fermes en pierre de granit posées sur les coteaux au cœur de territoires définis par des lisières de bois et des bordures d’étang, tu verrais la couleur de la terre au jardin fortifiée par quantité de feuilles mortes, tu verrais le corps qui se fait rebelle à force de se confronter au nouveau, de se bousculer dans ses habitudes, de se pousser vers d’autres contemplations et d’autres crépuscules, tu verrais le bonheur qu’on peut avoir si on s’en donne la peine | tu verrais tant d’autres choses encore, tu verrais tu verrais
Photographie FR, 8 janvier2022
Comme tu décris si bien ce père rustique, mais qui est toujours là à côté de toi et en toi. Très bel hommage pour ses cent ans
je me suis juste emparée de cet élément qui m’aurait échappé sans doute si ma petite mère ne m’avait pas murmuré au téléphone « papa aurait eu cent ans aujourd’hui »
du coup le lendemain je m’en suis emparé…
merci Jo
Très émouvant ce lien à ton père qui tient à des fils invisibles tellement puissants, toujours en manque de couleurs, de chaleur, d’étreintes, de dialogue..
Il aurait eu 100 ans et dans ton cœur, quelque part, toujours vivant..
sans doute que ça nous renvoie chacun de nous vers l’arrière plus nous avançons dans le temps…
nos « petits morts » demeurent dans notre corps et notre mémoire
merci amie Marie-Claude pour ta fidélité à ce lieu qu’est Terrain fragile…
Tu verrais… Volga sommeiller profondément indifférente à tes refus de changement. Quelle image rassurante comme la pluie fine et la terre et les pierres et les arbres…Ton texte est magnifique mais peut être ton Père te dirait aussi » et les gens comment sont ils ? Il va falloir les conquérir, vous apprivoiser…Dame, c’est pas facile tout ça… » Et j’opinerai de la tête du bord de l’étang qui a remplacé l’immensité de la Mer. Jacqueline.
Laisser le temps au carnet de se développer…
laisser l’hiver avancer doucement pour rencontrer ceux que se croisent au gré de mes passages dans les bourgs
les laisser venir à moi, laisser les choses se faire…
et toi aussi, amie Jacqueline, toujours si fidèle en ce lieu d’écriture… merci merci…