carnet d’installation | 22 janvier 2023
le mot chantier ravive des sensations déjà connues, je parle de confrontation avec le bâti, avec des matières lourdes et rugueuses, le ciment qui durcit les mains, les outils qui blessent, la fatigue dans les muscles à force de répéter la même tâche | le mot chantier évoque une remise en cause de l’existant, un remaniement parfois profond des structures, et donc une part à détruire, une mise à bas de pans entiers de mur s’il le faut | j’utilise aussi le mot chantier pour un livre en cours d’écriture, une prise de conscience de ce qui fait tenir les choses entre elles et délivre le récit, et il faut donner de soi physiquement, se mettre en action pour que ça advienne grâce aux informations transmises par le corps, puiser loin, se risquer dans des contrées inhospitalières, dépasser les frontières | alors c’est parti, une nouvelle fois en chantier à peine le cocon installé, casser pour reconstruire, transporter des tas de matériaux — sacs, carrelages de pierre, lames de bois –, faire des tournées de déchèterie, comme un pas de côté par rapport à l’ordinaire, une relance de la vie pour ne pas se satisfaire
trop de permanence anesthésie, l’impression d’acquis, dos tassé, gestes ralentis, petit à petit endormis sur notre passé
PETIT À PETIT ENDORMIS SUR NOTRE PASSÉ
le chantier fait se redresser des reins jusqu’à la racine du crâne, se remettre aux aguets, observer, faire des plans, réfléchir, trouver des solutions à tout, bonifier ce qui existe, se dire qu’on s’aime infiniment et se souvenir de tout ce qu’on a fait ensemble jusque là, battre une nouvelle fois les cartes, continuer au proche de la ligne jusqu’au prochain virage | le chantier réactive les sens et secoue la conscience de la volupté comme soudain lancés à la recherche de la beauté, comme soudain en quête de fleurs parmi les espèces les plus sauvages et les plus magnifiques pour animer notre décor même si on sait qu’elles finiront sur le tas de compost pour nourrir les suivantes
assise sur le muret encore mouillé de neige, je contemple les bâtiments en pierre de granit, je me dis que c’était une bonne idée de se relancer à ce stade d’existence dans un projet d’ampleur comme enfants indisciplinés, comme frondaisons en voie de se rejoindre
Photographies Françoise Renaud© – 20 janvier 2023
Je viens prendre des mots dans ma lecture du moment « Les grandissants » de Marion Muller-Colled pour te rejoindre, Françoise.
« Claire Marin envisage que la maturation soit le déploiement de la multiplicité d’être(s). Or le déploiement des possibles ne va pas sans le risque de perdre nos refuges, de nous éloigner du familier, voire d’extirper de soi le familier trop invasif, ne laissant plus d’espace pour le neuf. »
Continuer la métamorphose des « Fougères » et de toi-même !
partir du point de vue que nous serions capables de métamorphose en permanence, que le moindre point de conscience a la capacité de nous faire vibrer et de modifier quelque chose de nous, en nous…
être aux aguets de cela peut-être, faire zazen…
merci à toi d’avoir posé des mots ici…
Que c’est beau, ce chantier sera encore une belle réalisation, comme vous avez fait, et avec au passage une belle déclaration d’amour ❤️ merci pour ce partage.
je ne sais pas ce que ça donnera, mais c’est toujours un gros effort pour se relancer, pour y croire, pour se coller au boulot, pour rassembler la force
parfois aussi ces petits espaces de découragement, ces inquiétudes qui reviennent pendant la nuit…
mais petit à petit les choses finissent par avancer
à te lire souvent par ici, chère Jo
Ah, rentrer en chantier, souffrir et réussir, peines et joies.
Transformation des êtres et des choses.
Bon courage à vous.
Vince.
Plaisir de te savoir attentif à ce qui se passe sur Terrain fragile
Je tente d’y être un peu régulière, de rassembler tout ce qui peut être observé dans ce passage de vie et constituer des fragments de quelque chose
c’est cela écrire, observer le présent dans ce qu’il a de plus simple et de plus immédiat et de le saisir au cœur
j’espère que tu reviendras par ici et que tu continues le travail des mots…
Pour moi, les deux photos qui illustrent ce texte « début de chantier » illustrent de manière magistrale la nécessité de ce renouveau annoncé, et espéré pour toi et P. mais aussi pour LA MAISON. Regarde comme elle réclamait des soins et de l’attention du toit aux fenêtres des murs aux sols alentours. Un abandon qui fait écho à celui de ce passé qui nous ronge et nous endort. Oubliée la passivité ! Le chantier d’une vie prend forme et gomme la routine des habitudes pour faire à nouveau respirer le corps et LA MAISON.
De longue haleine toujours, mais que faire de nos vies sinon bâtir, prendre en main, progresser, se mettre en éveil corps et âme ?
oui, une bonne idée pour donner naissance à ce carnet aussi. Merci. Un vif élan que tu impulses.