Je savais qu’il était né dans ce pays et qu’il habitait la ville, du moins qu’il y avait habité à une époque, des faits bien loin de ma pensée en ce jour mouvementé de juillet où je parcourais les rues en compagnie d’un couple d’amis venus me rendre visite. Depuis le remarquable édifice du lycée Jourdan, on avait enfilé la rue de la République, tourné un peu au hasard sur la droite pour se diriger vers la ville ancienne. Les façades crépies d’ocre du petit théâtre à l’italienne promettaient un intérieur charmant. En voie de rénovation m’avait-on dit, des fonds ayant été récemment attribués pour ce projet. En dehors du Grand Café aux boiseries turquoise déjà photographié au cours de l’hiver et des hautes façades sombres des bâtiments municipaux et préfectoraux, je ne savais pas grand-chose du lieu, n’étant venue depuis ma campagne qu’une paire de fois pour raisons administratives. Remontant à contre-courant la rue du Prat on avait fini par rejoindre la Grand Rue piétonne, agréablement en pente. Des portes condamnées nombreuses et des vitrines couvertes d’affiches et de graffiti témoignaient du peu d’activité de la cité. Ruelles quasi désertes. Ou alors n’était-ce pas la bonne heure. Tout de même quelques tables en terrasse sous de beaux arbres avec gens attablés pour le café. Tout ça jusqu’à tomber à l’angle de la rue Jules Sandeau sur une vitrine de librairie.

Jolie façade d’un gris doux récemment refaite, albums jeunesse en présentation, porte ouverte aux passants. Le nom de la librairie était inscrit en belles lettres majuscules couleur rouille.

Ça m’a drôlement secouée, ça m’a forcée à rétablir le lien de façon forte et immédiate entre l’écrivain et la ville. La librairie portait le nom d’un de ses livres les plus célèbres paru en 1984, son tout premier livre, un nom et un adjectif, le tout accordé au pluriel. Ah ce livre qui lui était venu, huit vies, huit portraits inspirés par ses ancêtres creusois, petites gens enfermés dans une vie âpre et sans issue. Et, repensant à Antoine Peluchet, à Claudette ou à l’abbé Bandy, je voyais très clairement le dessin de son crâne, ses joues creuses, réinventais cette façon qu’il avait de choisir et d’articuler les mots accompagnés par le jeu constant des mains.

On avait poursuivi jusqu’à l’église Saint-Pierre et Saint-Paul insérée dans le vieux quartier comme une pièce dans un puzzle. J’ai lu qu’elle avait été reconstruite à l’emplacement d’une chapelle édifiée au XIIIe siècle, ne conservant d’elle que la première travée de la nef et le porche sud. Et c’est devant ce porche que je l’ai croisé. Il était en compagnie d’une femme et il la tenait par la taille. Ils avançaient heureux entre les maisons ornées de petits jardins à la végétation exubérante. Son regard a croisé le mien, il a haussé les sourcils comme si nous nous connaissions, presque ébauché un signe de la main. Mais venez donc prendre un café avec nous, là-bas sous les arbres, c’est un petit coin charmant ! Bien sûr que je les aurais suivis si j’avais été seule, nous aurions parlé du hameau de la naissance, de la compassion, de la résurrection. Nous aurions aussi parlé de Madeleine, la petite morte, que nous avions finalement en commun tous les deux. Scellées dans la pierre rose du porche, vibraient cent petites figures érodées par les vents et les pluies limousines. Je les avais regardées avec intensité. Elles semblaient si vivantes. Elles me parlaient de Madeleine.

Photographies ©Françoise Renaud, église Saint-Pierre et Saint-Paul, Guéret, 5 juillet 2024

16 commentaires

  1. Jacqueline Vincent

    Un texte qui m’inspire et me renvoie à cet Auteur que tu m’as fait connaître et dont « la Grande Beune » m’a enchanté… Je vais d’ailleurs ressortir cet ouvrage pour mes soirées d’été…

  2. Trois mots, mais bien choisis, et tu fais entrer le lecteur dans ton récit poético-mystérieux. On voudrait en savoir plus. Bravo

    • j’étais en peine, je voulais parler de cette visite étrange et de la découverte de cette librairie, et le tour qu’a pris le texte m’a surprise !
      merci Den pour ton attention et ton écho de lecture

    • Belle balade entre ruelles anciennes et souvenirs d’un passé mystérieux, avec cette rencontre quasi magique, bravo et merci !
      À te lire encore et toujours …

      • un petit signe qui fait du bien après notre rencontre à nous… le temps est habité de rencontres réelles ou imaginaires… essentielles pour la survie, elles nous soutiennent, nous nourrissent, nous donnent de la matière à rêver…
        merci Gwenn

  3. Falconetti sicard

    Merci ma chère Françoise encore une fois de plus pour ton très beau texte je t embrasse bien fort Martine toujours autant de plaisir de te lire

  4. Ah Michon ma chère Françoise, il parle d’aubes froissées, de brumes, de vies qui se sont échappées, humbles, il confesse aussi des livres qui vous donnent à réfléchir dans le lit, tard le soir, il a un rapport d’amour avec notre langue comme peu d’écrivains…
    Des lieux, souvent proches diffusent une envie d’écriture et d’humilité, la table même sur laquelle on écrit ressemble à une amie. Une confidente. Je t’embrasse.

  5. Quel plaisir de lire ce récit ma chère Françoise. Quelle balade entre pierres et papier. Et cet homme à qui tu brûlerais de parler et qui sans doute brûlerait lui aussi de te parler : littérature bien sûr. Merci, c’est tout simplement beau.

    • le texte est né d’une proposition d’écriture et c’est lui qui m’est venu à la bouche, comme une évidence, et puis cette rencontre arrivera forcément d’une façon ou d’une autre…
      et ta fidélité, belle elle aussi cher Pascal

  6. Rencontre fortuite imprévue mais très forte…..
    Je me rappelle d’une émission de la grande librairie où il était avec Marie Hélène Lafon…
    Un jour peut être vous parlerez vous…le mystère des rencontres…..

  7. L’art de rendre toute déambulation passionnante, poétique, mystérieuse, transgénérationnelle, hors du temps. Et comment nous partageons ce qui n’est plus. Merci, Françoise.

  8. Très joli texte, et véritable hommage, sur les traces de…

  9. escapade entre amis pour visiter la ville sans oublier la librairie qui ravive les émotions de lecture. et puis la rencontre fortuite et le petit café manqué…
    Merci Françoise de nous offrir ce si beau texte, il me fait penser à une malle où on trouve des trésors.

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