peuple des fleurs

Je me demande parfois si je fréquente le même monde que celui qu’on donne à voir à la télévision. Quand je sors de chez moi à la nuit tombée, c’est un chambardement d’étoiles qui emplit la voûte et la route est noire, progressant le long de la petite rivière qui coule de façon permanente dans son lit de cailloux. Lit du ciel, lit de l’eau. Le bruit de mes pas dans le gravier prend une allure démesurée. Tous les bruits sont plus sensibles qu’ailleurs à cette heure, sous les tuiles, dans les charpentes, les planchers. À cause du silence. Entre veille et sommeil je les perçois. Il faut que j’apprenne à décrire tout cela pour mieux le distinguer encore, qu’il s’agisse des bruits, des rumeurs dans la nuit, des couleurs, des herbes et des fleurs dans le jour.

Ici on se sent seul au monde et on peut vivre heureux. Toujours ce quelque chose de grisant dans les cimes des grands arbres immobiles qui s’efforcent à chaque seconde et de toutes leurs forces d’atteindre la lumière.

Les fleurs ne se posent pas de question. Elles ameutent leur peuple par vagues successives dans le même ordre, parfois en léger décalage avec la saison d’été précédente et en fonction des nouvelles plantations, presque se déchaînent comme enragées. L’ordre végétal continue de m’impressionner par sa profusion et sa vivacité : organes végétaux avec ou sans inflorescences, tiges lianes lancées à l’assaut, branches épineuses féroces, graminées légères et ondulantes, d’autres soumises ou griffeuses plumeuses, folie de formes coexistant et combattant pour l’espace la lumière et l’eau, folie de corps enchevêtrés grimpants et rampants s’épanchant s’étouffant jusqu’à porter des graines à faire jaillir dans l’espace avoisinant ou à offrir à tous les vents.

De chez moi j’envisage l’étendue verticale végétale du versant comme un monde en soi, un monde au long de la vallée pareille à une gorge douce régulièrement ravinée par les eaux violentes d’automne. Je dois progresser dans mes observations dans l’espoir d’y distinguer le passage de certains animaux sauvages — chevreuils renards sangliers blaireaux serpents simples mulots —, tous vivant et furetant au-dessous la ligne d’horizon.

Photographies Françoise Renaud, juin 2021

en mon for intérieur – jour #19

 

admirer cette terre qui se relève (dévastée par l’eau  il y a cinq ans)

approcher, planter, apprivoiser chaque saison un peu plus, conjuguer couleurs et vibrations, développer d’improbables combinaisons en bordure ou le long des murailles ou entre pierres tels des serpents de lumière

partager sa beauté avec ceux qui œuvrent à nous tenir debout vivants
parce que moi je ne fais pas grand chose pour aider sinon demeurer sage