la pluie frappe les vitres, on nous avait prédit du vent et tout est bousculé, on l’entend dans les conduits de cheminée et les prés sont d’un vert ardent
je regarde les gouttes glisser de haut en bas et se frayer un passage entre les autres gouttes, ce sentiment d’être à l’abri dans la maison, et puis il y a l’autre maison, celle de l’enfance toujours en arrière-plan parce qu’elle a beaucoup compté pour moi, à deux pas de la mer et régulièrement secouée par les tempêtes depuis sa construction dans les années cinquante, une maison à façade modeste avec porte d’entrée et fenêtres des chambres donnant sur le jardin — elle avait été construite au courage par mon père qui voulait mettre sa famille à l’abri — et le temps s’annonce où il va falloir s’en séparer, l’estimer, la mettre à la vente, la réduire à quelques mots qui composeront l’annonce immobilière, une page tourne, la vie change, de toute façon les gens ont la folie de la mer et ils achètent tout ce qui existe dans les parages, ils pensent que les falaises tiendront le coup suffisamment longtemps pour qu’ils en profitent leur vie durant, ils n’imaginent pas la force de l’érosion des vagues, ils n’imaginent pas qu’avant il n’y avait que de la campagne avec des haies pleines d’oiseaux qui ourlaient les champs et quantité de cyprès si beaux vivant là depuis un siècle, tout s’est défait si rapidement du paysage et de la nature de ce pays d’océan, trop de monde désormais, rivages bondés sitôt qu’il fait beau, glaciers, restaurants, aucun lien avec le passé sinon le tracé du chemin de côte, la géométrie encore conservée des criques et le positionnement des ports, quelque chose de mort déjà dans la vibration et la clarté des eaux
rien ne peut se transmettre de la beauté perdue, beauté ancrée quelque part dans le corps, souffle du large ayant façonné les images au profond du cerveau, sable caresse à ma peau, de même l’eau en rage, voilà ce qu’il reste de ces années et sans doute que c’est déjà beaucoup
lentement je m’habitue à l’idée que bientôt je ne pourrai plus rentrer à la maison
Photographie ©Françoise Renaud, peau de rocher, 2023
Comme d’habitude ma chère Francoise quel beau texte et quelle vérité par rapport à la nature je t’embrasse très fort Martine
Ma maison d’enfance … les parents, les miens, le jardin, l’église l’école pas si loin et puis la corniche, les rochers, les cyprès certains majestueux… le bruit des vagues, le cri des mouettes… l’attachement est viscéral, se séparer de tous ces souvenirs c’est un coup de poignard. Mais Maman est là encore un peu, et son regard bienveillant mérite en retour tant d’amour pour accepter la nouvelle étape.
Je partage ton humeur chagrine.
Se séparer d’une maison familiale est un crève cœur impitoyable. L’impression de trahir serre le dos. On ne pourra pas la revoir pendant longtemps, trop douloureux, espérant avec l’œuvre du temps. L’argent servira à des travaux, c’est mieux, c’est un peu d’âme de nos aïeuls dans un autre lieu, même inconnu… Puis les souvenirs d’enfance reviennent dans le bras, dans le ventre, dans la poitrine, puis dans le dos, un fardeau qu’un aïeul nous dit de lâcher, dans un rêve. Ils faut revivre ailleurs. Merci pour ton témoignage si touchant ma chère Françoise, je retrouve ton écriture avec plaisir.
C’est tout à fait ce que j’ai ressenti lorsque j’ai vendu La Rulade. Et pourtant c’était un mal pour un bien… J’imagine que ça doit être très compliqué de vendre la maison où l’on a tous ses souvenirs d’enfance..
Gros bisous ma Françoise
« Rentrer à la maison », comme c’est bien dit ! Et la maison « construite au courage », comme c’est fort, tout comme le texte si juste aussi avec la description de l’évolution, « les gens ont la folie de la mer »…, « réduire la maison à quelques mots » de l’agence immobilière, tout est dit, enfin écrit. Merci, relu une deuxième fois juste pour savourer à nouveau. Nostalgie bien transmise. Merci, chère Françoise.
Tellement bien exprimé …Une lucidité rare sur l’état des lieux , passé, présent , à venir …
Tu touches toujours là corde sensible qui fait vibrer le cœur..
Rappelle toi ce texte écrit à St Etienne de Cuines sur l’adieu à la maison de mon enfance…. Au bord du Rhône. Un coeur lourd de souvenirs, des larmes mais aussi des joies exprimées pour accepter le temps qui s’écoule comme l’eau de mon Fleuve ou les vagues de ta Mer….
Ton beau texte me fait penser que nous avons (eu) la chance d’avoir une maison dans nos souvenirs et notre coeur. Oui, une vrai chance.
ton enfance, ta vie dans cette maison au bord de l’océan, tu le dis si bien que l’on s’y voie là-bas chez toi, avec toi, ton père et ta mère
une vie s’achève, ne resteront que les souvenirs forts et indélébiles
c’est une tristesse et une fin
la vie que tu as maintenant est inspirante pour toi et puis ta maison où tu vis et ton jardin te donne un nouveau bonheur
Je t’embrasse très fort
tendrement à toi
Chantal
je vois combien nous réagissons tous à cette idée de lieu, de maison qui a compté et compte encore… les images sont fortes et vivaces
il faut apprivoiser un ailleurs, une autre place où vivre sans perdre en intensité
et puis se réjouir (comme dit Den Roux) de l’existence en nous de lieux repères qui ont nourri certaines de nos années…
J’aime dans ton écriture ma chère Françoise cette façon en deux trois traits de nous donner à voir et le chemin de côte, et l’annonce de vente, et les oiseaux nombreux (joyeux sans doute), et d’autres visions encore, la maison dans la tempête, les touristes…
le dessin a les traits, l’écriture a les mots
écrire c’est donner à voir, c’est dessiner des impressions (enfin, pour moi)
et les oiseaux sont nombreux et toujours joyeux…
merci Pascal d’être passé…
L’état des lieux est triste, une autre façette de ton écriture, c’est un pan de l’enfance qui s’en va et ce n’est jamais gai, comme un abandon?
tu parles d’abandon… et ça me fait réfléchir
oui quand la mère lâche prise avec sa vie ordinaire et décide de tourner la page pour une ultime fois, on peut avoir le sentiment qu’elle abandonne la vie qu’elle a eue, les enfants qu’elle a eus… et tu sais combien elle m’a toujours manqué bien qu’elle soit encore là… cette part d’elle qu’elle a réservée à l’autre fille dans l’enfance, cette part d’elle qu’elle n’a jamais livrée… peur, pudeur, retrait de protection ?… le fond de l’être peut-être jamais exploré…
On a tous une maison dans le cœur, ou même un appartement…
Beau texte mélancolique et voguant sur le souvenir. 🙂